Mauvais climat pour le marché des émissions

Pour faire face à la baisse du cours des droits d’émissions de CO2, le Parlement européen veut retirer 900 millions de tonnes du dispositif européen d’échanges. Mais cette mesure ne suffira pas à enrayer une tendance due à la crise économique.

Publié le 20 février 2013 à 15:31

L’instrument-phare de la lutte contre le réchauffement climatique, disons-le tout net, risque de faire long feu. Depuis des mois, les certificats d’émission de dioxyde de carbone voient leur valeur fondre ; polluer l’atmosphère en émettant des gaz à effet de serre devient de moins en moins cher. Car le système d’échange de droits d’émission a obtenu le résultat inverse à celui escompté : à l’origine, une pénurie artificielle [des droits d’émission] était censée rendre l’émission de gaz polluants plus onéreuse. Or, aujourd’hui, on les trouve en abondance. Si l’on ne fait rien, le système d’échange des droits d’émission pourrait peu à peu perdre de son utilité jusqu’à sombrer dans une totale insignifiance.
A première vue, la chute des prix est dans la logique du dispositif. Sa clé de voûte et son pivot est un plafond des émissions de dioxyde de carbone qui vaut pour toutes les usines et centrales électriques sur l’ensemble du territoire européen. En cas de pénurie de certificats, les prix grimpent, et il devient intéressant d’investir dans des installations plus respectueuses du climat. En revanche, ceux qui refusent de moderniser leurs installations doivent mettre la main à la poche.

Eviter que le système ne tourne au ridicule

Une idée géniale, vraiment. Si l’économie se met à tanguer, les prix baissent, car les émissions reculent. La baisse actuelle des prix intervient dans un contexte de récession qui touche une grande partie de l’Europe et de restructuration de l’approvisionnement énergétique. Plus on injecte d’électricité "verte" dans le réseau, plus la demande de certificats baisse. Mais ce n’est là qu’une partie de l’explication de la récente chute des prix.
Le vrai problème du système européen d’échange des droits d’émission est plus ancien et trouve notamment ses racines dans le lobbying intensif – et fructueux – mené par l’industrie européenne. Car, dès le départ, les entreprises ont été largement dotées en droits d’émission. S’il leur en manque quelques-uns, elles se les procurent à l’étranger à des prix avantageux. Quant à ceux dont elles n’ont pas besoin, elles peuvent les thésauriser pour plus tard.
Résultat des courses : même la troisième "période d’échanges" du dispositif, qui s’est ouverte le mois dernier et court jusqu’en 2020, affiche d’ores et déjà un excédent de près de deux milliards de certificats selon les estimations. De quoi subvenir aux besoins de l’industrie allemande pendant plus de quatre ans. Le prix tourne autour de cinq euros. Dans ce contexte, la mesure prise mardi par la commission Environnement du Parlement européen relève de l’opération de sauvetage. A titre exceptionnel, 900 millions de certificats doivent être retirés du marché dans les années à venir afin de stabiliser les prix. Ce type d’intervention tardive est peu orthodoxe dans un système régi par le marché. Néanmoins, en l’état actuel des choses, c’est la seule manière d’éviter que le système d’échange de droits d’émission ne tourne au ridicule.

L'Allemagne reste passive

Cette situation découle avant tout de l’incapacité des Européens à prendre la seule mesure cohérente qui s’imposait, à savoir corser leurs objectifs de lutte contre le réchauffement climatique. Voilà quatre ans, les pays membres de l’UE avaient prévu de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’un cinquième à l’horizon 2020, en se servant des émissions de 1990 comme base de calcul. Or, cet objectif est quasiment atteint. Son dépassement est la suite logique – et ce peut-être dès 2013, et non 2019. Un relèvement de cet objectif à 30% s’imposerait. Ne serait-ce que pour envoyer un message aux autres puissances industrielles.
Mais voilà : l’Allemagne fait piètre figure en la matière. Jadis précurseur de la lutte contre le réchauffement climatique, le gouvernement allemand pourrait œuvrer en faveur des réformes à Bruxelles. Or, il n’en fait rien.
C’est faire preuve de courte vue, à plusieurs égards. Pour commencer, du fait de la chute du prix du CO2, les centrales à gaz perdent du terrain par rapport aux centrales à charbon pourtant plus nocives pour le climat – alors que l’on a un besoin urgent de ces centrales et de leur souplesse de fonctionnement pour compenser les fluctuations de production de l’éolien et du solaire. Par ailleurs, le Fonds pour le climat, censé permettre au gouvernement allemand de soutenir le tournant énergétique, voit son budget diminuer – sur la seule année 2013, il pourrait être perdant de 1,4 milliard d’euros, soit le produit des ventes aux enchères de certificats. Des problèmes auxquels il est aisé de remédier.
Au lieu de quoi, Berlin observe passivement le déclin du système européen d’échange de droits d’émission – le seul instrument mondial de lutte contre le réchauffement climatique qui soit proche du marché. Et le seul qui soit "mondialisable" : les autres pays peuvent s’y greffer sans problème – la Norvège l’a fait, l’Australie et la Suisse sont en pourparlers avec l’UE pour le faire, la Chine, la Corée du Sud et la Californie planchent sur des dispositifs comparables. Ce serait une catastrophe si l’Europe abandonnait ce dispositif.

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