Les catholiques voudraient bien y croire

La Lombardie, région la plus peuplée et la plus riche du pays, sera décisive pour déterminer le vainqueur des législatives des 24 et 25 février. Mais l’électorat catholique, crucial pour l’issue du vote, y est indécis comme jamais, échaudé par le manque d’éthique de la classe politique.

Publié le 22 février 2013 à 15:57

Des rangées de chaises en plastique ont été installées, comme tous les dimanches, à côté des vieux bancs de bois. La nef baroque un peu décrépite de Santa Eufemia est pleine à craquer. C’est une paroisse milanaise comme tant d’autres près de Porta Romana, quartier désormais boboïsé de la capitale lombarde. Loden et visons côtoient blousons et survêtements. Des familles, quelques personnes âgées et beaucoup de jeunes. Environ 20% des Italiens vont, en moyenne, une fois par semaine à la messe, mais les pratiquants sont plus nombreux encore dans le diocèse de Milan, le plus important du pays.

A l’issue de l’office, des petits groupes discutent des prochaines élections. “Les frasques de Berlusconi nous ont tous écœurés mais, plus encore que la question morale, il y a toutes les réformes promises qu’il n’a pas faites pendant dix-huit ans”, s’indigne Matteo, instituteur dans une école catholique. “Chacun doit se demander, en conscience, quelles sont aujourd’hui les principales urgences et quel parti y répond le mieux. Mais la réponse est moins évidente que jamais”, renchérit Riccardo, diplômé en lettres à la recherche d’un emploi. Comme des dizaines de milliers de jeunes catholiques de la capitale lombarde, ils sont engagés dans le “volontariat”, s’occupant des malades d’un hôpital psychiatrique et de cours de soutien scolaire.

Pogressistes versus CL

A l’autre bout de la ville, en lisière de Sesto San Giovanni, banlieue industrielle en crise jadis surnommée la “Stalingrad italienne” pour son vote communiste massif, se dresse la Fondation de la maison de la charité, installée dans une ancienne école primaire. Cet établissement accueille des immigrés en détresse, des chômeurs sans ressources et, effet direct de la crise, quelques petits entrepreneurs en faillite.
La société civile est aussi vivante que créative, mais elle n’a pas encore réussi à trouver sa représentation politique”, soupire Don Virginio Colmegna, figure de proue de la gauche chrétienne milanaise, engagé à fond dans le social. Près de 33% des Italiens sont encore indécis sur leur vote. Les catholiques sont particulièrement nombreux dans ce cas, notamment en Lombardie, qui représente un enjeu électoral crucial. L’importante prime de majorité, allouée au parti qui arrive en tête, est calculée à l’échelle nationale pour la Chambre des députés, mais région par région pour le Sénat. En remportant la Lombardie, la droite aurait de bonne chance de garder la majorité à la Chambre haute.

A Milan, et plus encore dans le reste de cette région de plus de 10 millions d’habitants - de loin la plus peuplée, la plus riche et la plus productive de la péninsule -, les mouvements catholiques représentent depuis toujours une force politique et culturelle.
D’un côté, il y a les progressistes au sens large, qui se reconnaissent toujours dans le message social du défunt cardinal Carlo Maria Martini, jésuite de grand prestige, qui fut de 1980 à 2002 l’archevêque de la ville. De l’autre, il y a ceux qui, dans l’esprit de Jean Paul II, brandissent avant tout la primauté des valeurs catholiques, comme le mouvement Communion et Libération (CL). L’actuel archevêque, le cardinal Angelo Scola, un des grands favoris pour la succession de Benoît XVI, est proche de ce courant, dont le poids politique est déterminant dans la région grâce à ses vastes réseaux dans la société et l’économie.
Si les progressistes ont clairement opté pour la gauche et le Parti démocrate, les autres - et en tout premier lieu CL, qui a soutenu Silvio Berlusconi pendant des années - sont aujourd’hui perplexes. Le trouble d’une bonne partie des catholiques lombards est d’autant plus fort que Roberto Formigoni, tout puissant président de la région pendant dix-sept ans et membre de CL, a été contraint de démissionner pour des accusations de corruption.

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Ne pas rendre vains les sacrifices

La hiérarchie catholique a longtemps soutenu le Cavaliere, mais, depuis le début de l’automne 2011, avant même qu’il ne soit contraint à la démission sous la pression des marchés, elle est passée à l’offensive, clamant l’urgence d’un renouveau éthique. “Il ne s’agissait pas de donner des indications de vote, mais de réaffirmer des principes et réfléchir à comment renforcer la présence de la société civile pour revivifier la politique”, explique Massimo Ferlini, dirigeant milanais et vice-président national de la Compagnie des œuvres.
Un réseau de près de 40 000 PME, dont près de la moitié en Lombardie, qui pèse environ 70 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Des entreprises qui opèrent dans la santé, la restauration, le traitement des déchets, les biotechnologies ou le high-tech, mais parrainent aussi des banques alimentaires ou pharmaceutiques pour aider les plus démunis. Ses adversaires y voient le bras armé de CL dans l’économie et le cœur d’un système de pouvoir adossé à l’administration régionale.

Pour Massimo Ferlini, ancien cadre des Jeunesses communistes revenu à la foi de son enfance, l’important est “de garder le cap sur l’Europe” et de ne pas rendre vains les sacrifices imposés depuis un an par Mario Monti et son gouvernement de techniciens. Ils sont nombreux à faire ce choix, y compris des élus de premier plan comme le député européen Mario Mauro, qui a démissionné du parti de Berlusconi, le Peuple de la liberté (PDL). D’autres restent malgré tout fidèles au Cavaliere, faute d’alternative crédible à leurs yeux.

La région peut-elle basculer ?

Jamais les catholiques n’ont été aussi éclatés entre les différentes forces politiques, mais cela peut être l’occasion de revivifier une gauche en panne de vision au travers de valeurs humanistes communes”, clame Paolo Sorbi, ex-soixante-huitard devenu patron de la formation communiste et révolutionnaire Lotta Continua, revenu à un catholicisme fervent au point de devenir, pendant des années, l’un des dirigeants milanais du Mouvement pour la vie. Cette fois, il est tenté par le Parti démocrate. D’autant que certains candidats sont issus du monde catholique ou mènent campagne sur des thèmes chers aux croyants.
Ces vingt dernières années, nous avons vu les effets dévastateurs de l’égoïsme forcené et de l’arrogance individualiste”, répète volontiers Umberto Ambrosoli, qui rappelle “qu’une valeur, celle de la légalité, est à la base de son engagement”. Novice en politique, ce jeune pénaliste, fils de Giorgio Ambrosoli (avocat de renom tué en 1979 par la mafia), porte les couleurs de la gauche pour la présidence de la région après avoir remporté la primaire à la tête d’une liste civique. Il y a à peine deux ans, lors des régionales, Roberto Formigoni décrochait la Lombardie pour la troisième fois avec plus de 54% des voix.
Traditionnellement à droite, cette région pourrait-elle basculer, comme l’an dernier la ville de Milan ? Les sondages donnent Umberto Ambrosoli au coude à coude avec Roberto Maroni, le leader de la Ligue du Nord, allié de Berlusconi. Beaucoup de catholiques s’inquiètent de voir ce parti aux tendances sécessionnistes remporter la Lombardie, alors qu’il contrôle déjà les autres régions du Nord. Et les relents xénophobes des “leghistes” irritent nombre de croyants.

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