Actualité Energies renouvelables
L'une des alternatives possibles à l'énergie fossile.

La révolution verte va coûter cher

La chancelière Angela Merkel rêve d’une Allemagne totalement convertie aux énergies renouvelables d’ici 2050. Un projet courageux et ambitieux. Mais elle ne dit rien des risques et des coûts terribles qu’entraînera cette révolution verte — pour l’Allemagne comme pour toute l’Europe.

Publié le 24 septembre 2010 à 13:59
L'une des alternatives possibles à l'énergie fossile.

Dans la petite ville de Morbach, nichée dans des collines boisées dans le sud-ouest de la région du Hunsrück, le rêve allemand d’une révolution énergétique est déjà réalité. Morbach abrite fièrement 14 éoliennes, 4 000 mètres carrés de panneaux solaires et une usine de biogaz, le tout sur le site d’une ancienne base militaire qui s’étend sur une hauteur au-dessus de la ville. Ensemble, ces installations produisent trois fois plus d’électricité que ce dont a besoin cette commune de 11 000 âmes.

Des politiciens et des chefs d’entreprise du monde entier sont venus visiter le site. Morbach a déjà réalisé ce que Merkel veut désormais appliquer à toute l’Allemagne.

Elle espère que la République fédérale atteindra le niveau de Morbach en tout juste quarante ans, ce qui permettrait alors à la plus puissante économie d’Europe de satisfaire l’essentiel de ses besoins en énergie à l’aide du soleil, du vent, de la biomasse et de l’eau. Le recours aux réserves d’énergie infinies sur terre et sur mer contribuerait à la lutte contre le réchauffement climatique. Cela mettrait également un terme à la dépendance vis-à-vis du pétrole arabe, au spectre d’accidents nucléaires et aux sautes d’humeurs des fournisseurs de gaz russe.

C’est au début du mois que le gouvernement allemand a dépeint cette vision audacieuse d’un avenir écologique dans son projet de plan énergétique. Les autorités veulent faire passer la part des énergies renouvelables de 16 % aujourd’hui à 80 % en 2050.

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Silence sur le coût énorme du plan énergétique

Ce sera la fin d’un système énergétique qui s’est presque exclusivement fondé sur les carburants fossiles — le charbon, le pétrole et le gaz — au cours des deux derniers siècles. C’est pourquoi Merkel ne cesse de mettre l’accent sur l’étendue de la révolution qui attend l’Allemagne. En revanche, elle ne dit rien du coût énorme de l’affaire.

Pour commencer, il faut installer de nouveaux réseaux pour transporter les quantités croissantes d’énergie éolienne venue du nord de l’Europe et d’énergie solaire venue du sud. Le secteur calcule que la mise en place de ces autoroutes énergétiques — les câbles, les commutateurs et les transformateurs — représentera environ 40 milliards d’euros dans les dix prochaines années.

Dans une étude interne, les stratèges de RWE, la plus grande compagnie d’électricité allemande, estiment qu’il faudra que l’Europe investisse la somme faramineuse de 3 000 milliards d’euros uniquement pour adapter son système de production aux énergies vertes. Cela n’englobe pas les frais nécessaires aux réseaux et au stockage. Le prix de la production électrique augmenterait rapidement en un quart de siècle, jusqu’à 23,5 centimes par kilowatt/heure dans le pire des cas, si l’Allemagne parvenait à l’autosuffisance complète, par rapport à 6,5 centimes aujourd’hui.

Il est impossible de se livrer avec précision à des prévisions quant au coût de la révolution verte au fil des quarante prochaines années. Par ailleurs, la plupart des scénarios ne prennent pas en compte les problèmes qui pourraient se faire jour au moment de l’approbation en termes de litiges procéduriers, de chicanes juridiques et de contestation publique. On peut cependant identifier six facteurs clés susceptibles d’aider à établir si un système d’énergie renouvelable peut fonctionner de façon fiable et à quel prix.

1. Subventions à l’énergie solaire

Cette jeune industrie est le théâtre d’un incroyable boom, mais dont le coût est élevé. Les opérateurs de panneaux solaires perçoivent un tarif fixe pour chaque kilowatt/heure qu’ils produisent. Ce tarif est bien supérieur aux prix du marché de l’électricité, garanti depuis plus de 20 ans. Au cours des dix dernières années, les subventions ont représenté un total de 60 à 80 milliards d’euros, pour un rendement modeste en comparaison. L’énergie solaire ne couvre qu’1,1 % des besoins de l’Allemagne en électricité.

2. Soixante-quinze milliards d’euros pour des éoliennes en haute mer

L’expansion de l’énergie éolienne est incontestable, mais elle a atteint ses limites. On ne peut plus agrandir les zones les plus favorables sur terre. Il devient complexe d’obtenir des permis de construire pour les nouvelles éoliennes qui, bien souvent, sont deux fois plus hautes que les anciens modèles.

Par conséquent, les entreprises se tournent vers des sites off-shore où le vent est plus constant, mais où les coûts de construction sont exorbitants. Le plan du gouvernement estime que le développement des éoliennes au large atteindra 75 milliards d’euros d’ici 2030, mais ajoute que les risques en termes d’investissements sont “difficiles à calculer”.

3. Des autoroutes de l’électricité sur tout le continent

La construction d’éoliennes ne suffit pas. Il faut également des lignes à haute tension pour convoyer l’énergie du vent de la mer du Nord vers le sud. L’extension du réseau, le troisième facteur de coût, jouera un rôle majeur dans le futur système énergétique. La Commission Européenne estime que les investissements dans le réseau dépasseront les 500 milliards d’euros.

Il faudra poser environ 6 000 kilomètres de câbles électriques sous-marins, dans le cadre d’un projet baptisé Seatec qui coûterait 30 milliards d’euros. Quelque 50 milliards supplémentaires devraient être investis dans le sud du continent pour raccorder l’Europe au projet de centrale solaire Desertec. Le plan prévoit que l’Europe soit couverte par un réseau intelligent capable de procéder à une distribution équilibrée de l’électricité.

4. La Norvège peut-elle devenir la pile verte de l’Europe ?

Les compagnies d’électricité peinent déjà à réguler la production des centrales thermiques et nucléaires, ce qui peut engendrer des problèmes de surcharge, de plus en plus fréquents selon les ingénieurs. En raison de leur excellent rendement, de l’ordre de 80 %, les stations de transfert d’énergie par pompage sont considérées comme la meilleure solution. Le principe est simple. En cas de surplus d’électricité, l’eau est pompée dans des réservoirs qui sont situés à plusieurs centaines de mètres plus haut. Et quand on a besoin d’électricité, l’eau reflue par des tubes pour faire redémarrer les turbines.

Du fait de sa topographie et de sa densité de population, l’Allemagne n’a pas assez d’espace pour augmenter sa capacité de stockage. Tous les regards sont donc tournés vers l’Europe du Nord et la Norvège en particulier. Le problème c’est qu’il n’y a pas de réseau électrique pour acheminer cette électricité vers l’Europe centrale pour l’instant. Il faudra donc investir des milliards si l’on veut transformer la Norvège en pile verte de l’Europe.

5. Le boom de la biomasse fait flamber les prix

Les besoins des consommateurs en blé et en maïs pour l’alimentation et les biocarburants font que 2 des 12 millions d’hectares de terres arables en Allemagne sont déjà consacrés aux énergies vertes — le maïs pour le biogaz, le seigle et le colza pour les biocarburants. Le gouvernement envisage de multiplier par 13 à 17 l’utilisation de la biomasse d’ici à 2050.

Avec les technologies actuelles, les agriculteurs devront alors convertir des millions d’hectares à la production d’écocarburants. La monoculture du mais ou du colza deviendrait la norme. La biomasse devrait être également importée d’Asie et d’Amérique Latine, où l’huile de palme est souvent cultivée sur des terres de forêt vierge déboisées et bradées à vil prix. Il ne s’agit plus vraiment de développement durable.

6. Le prix à payer

Si les Allemands souhaitent vraiment renoncer aux énergies fossiles et au nucléaire, il leur faudra accepter d’en payer le prix. Et ils devront vaincre la résistance des grandes compagnies d’énergie qui essayent discrètement d’enrayer ce processus. Les entreprises industrielles, notamment les plus gourmandes en énergie, dans le secteur de l’industrie lourde comme l’acier, le ciment et l’aluminium, ne partagent pas cette volonté. L’industrie consomme un quart des besoins du pays en électricité et en gaz.

L’industrie lourde allemande emploie 875 000 personnes, c’est donc un lobby puissant. Le PDG du groupe chimique BASF, Jürgen Hambrecht, s’est déjà alarmé d’une “désindustrialisation rampante en Allemagne”. Et les entreprises menacent de faire construire leurs usines à l’étranger où l’énergie est moins chère et où les normes environnementales sont plus souples.

Une révolution essentielle

Qui peut dire qu’il est insensé de sacrifier l’industrie lourde traditionnelle au profit d’un nouveau secteur plus moderne ? Chaque euro dépensé dans l’énergie solaire, éolienne ou dans la biomasse est un investissement qui ne profitera pas seulement aux grandes entreprises comme Siemens mais également aux petites.

Au niveau local, les pouvoirs publics cherchent à s’affranchir de la tutelle des grandes compagnies d’énergie et elles investissent donc dans les énergies renouvelables et les petites centrales thermiques qui fournissent de l’électricité et du chauffage aux consommateurs les plus proches - comme par exemple les écoles. Les entreprises régionales sont discrètement en train de faire la révolution verte sur le terrain.

Cette révolution ne doit pas se confiner à des lignes d’électricité transcontinentales, des stations de transfert d’énergie dans les montagnes et des parcs à éoliennes sur les côtes. Le gouvernement n’a pas suffisamment pris en compte cette donnée dans son plan pour l’énergie.

Nul ne peut nier que les coûts de la révolution verte seront monstrueux. Mais c’est au gouvernement de s’assurer qu’ils ne deviennent pas incontrôlables. Renoncer aux investissements nécessaires pourrait s’avérer bien plus onéreux, en augmentant la dépendance de l’Allemagne envers les importations de matières premières et en accélérant les effets délétères sur le climat.

Le plan d’Angela Merkel risque de ne jamais voir le jour sous sa forme actuelle, d’autant plus que la politique énergétique se décide désormais en grande partie à Bruxelles. Le Commissaire européen à l’Energie Günther Oettinger envisage de présenter un nouveau plan en février pour montrer comment les marchés de l’énergie en Europe peuvent se développer ensemble. Ce plan comportera des propositions concernant l’installation de lignes de transport d’électricité et l’harmonisation des subventions affectées à l’énergie verte, très variables selon les pays. Le plan de Berlin pour l’énergie risque de ne pas être le dernier, sauf peut-être pour Angela Merkel.

Kim Bode, Frank Dohmen, Alexander Jung, Kirsten Krumrey et Christian Schwägerl

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