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Pavel Schreiber dans le musée du gant qu'il a crée à Abertamy.

Chez les derniers Allemands des Sudètes

Malgré les expulsions qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, une forte communauté germanophone subsiste dans l’Ouest du pays. Leur culture disparaît progressivement, mais ceux qui sont restés portent un regard conciliant sur leur “coexistence” avec les Tchèques.

Publié le 15 avril 2013 à 09:32
Pavel Schreiber dans le musée du gant qu'il a crée à Abertamy.

Il gèle à Abertamy. Une mince couche de glace recouvre les rues adjacentes et de la neige sale s’amoncelle sur la place de la ville. Au milieu, une scène de désolation attire le regard : un hôtel croulant, l’Uran, auquel il manque les fenêtres, et dont quelques briques se sont détachées. Deux hommes aux cheveux gris passent en se promenant devant le bâtiment. Ils sont la mémoire d’une Abertamy totalement différente. Comptant trois fois plus d’habitants qu’aujourd’hui, des dizaines de boulangers et de commerçants,  et riche de maisons soigneusement entretenues.

Gerhard Krakl, 73 ans, et Pavel Schreiber, 79 ans, ont grandi ici, et parlent toujours entre eux l’allemand d’Abertamy, le dialecte utilisé pendant des siècles par leurs ancêtres. Avec leur génération qui s’éteint, ce n’est pas seulement un dialecte local qui disparaît des rues d’Abertamy, c’est toute la culture des Allemands des monts Métallifères. Pendant 500 ans, ils ont modelé cette zone frontalière inhospitalière. Ils ont survécu à l’expulsion qu’a subie la majorité de leurs compatriotes sudètes. Mais aujourd’hui, les survivants de cette communauté sont en train de se fondre définitivement dans la population tchèque locale.

Pas de profond changement

Un jour, avec Gerhard, on est allés se promener dans Abertamy et on s’est demandé ce qui restera de nous après notre mort”, se souvient Pavel Schreiber. Ils ne voulaient pas que seuls subsistent des noms à consonnance allemande et des tombes dont on prend soin dans les cimetières. Les deux vieux compagnons ont alors eu l’idée de créer un musée du gant, dont le métier leur a permis de rester à Abertamy.

Sur une population de 3 millions de personnes, 150 000 Tchèques allemands environ ont pu échapper aux expulsions de l’après-guerre. La plupart étaient des travailleurs indispensables, sans lesquels les usines nationalisées situées à la frontière auraient fait faillite. Parmi eux, il y avait également des paysans, qui n’ont pas été expulsés car l’Allemagne, alors en ruine, n’était tout simplement plus en mesure d’accueillir davantage de déplacés.

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Jusqu’à la fin des années 1950, les courriers internes de la manufacture de gants d’Abertamy étaient rédigés en allemand. Encore au début des années 1960, la moitié des élèves du CP ne parlaient pas le tchèque. Les parents étaient bien incapables de leur apprendre cette langue, ne l’ayant eux-mêmes jamais maîtrisée. Ils parlaient allemand à la maison et parvenaient toujours d’une façon ou d’une autre à se faire comprendre à l’usine, auprès de l’administration et chez le médecin. Ils écoutaient la radio bavaroise et se fiaient à ses informations et ses prévisions météorologiques. Jusqu’au début des années 1990, il était fréquent que les vendeuses parlent allemand avec leurs clients. Et encore aujourd’hui, des “Grüss Gott” volent de temps en temps au-dessus des clôtures des jardins.

Les églises et la foi catholique sont également restées des lieux de refuge pour les Allemands, ce en quoi ils se distinguaient de la plupart des Tchèques nouvellement établis. Jusque dans les années 1960, les offices étaient bondés de croyants allemands. Mais leur nombre a peu à peu décliné.

Les Allemands des monts Métallifères ne vivaient donc ni tout à fait en Bohême ni tout à fait en Allemagne. Mais pour beaucoup d’entre eux, contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, la situation n’avait pas profondément changé. Même avant-guerre et sous l’Empire austro-hongrois, ils vivaient avant tout dans leurs montagnes, sans trop se soucier de ce qui se passait au centre politique du pouvoir et ils ne quittaient que très exceptionnellement leur village natal. Sauf si une impérieuse nécessité les y obligeait. La plupart des chants folkloriques célébraient d’ailleurs son caractère tout à fait unique.

Une culture du silence

Retour en 1948. Des murs de barbelés aux frontières ont commencé à séparer l’Ouest et l’Est. La période des expulsions a pris fin. Il semble certain que la famille de Bertha Růžičková ne quittera pas la Tchécoslovaquie. Elle a vu disparaître la moitié de ses voisins. Des Allemands, il n’est resté qu’une petite minorité dans une Bohême désormais ethniquement homogène. “Ils sont tous partis et nous sommes restés seuls ici. Nous étions habitués à vivre ensemble et tout d’un coup, ça a été le silence”, dit Bertha en se remémorant l’époque où, du jour au lendemain, elle a fait partie de la minorité nationale. “Ce sentiment d’être un étranger chez soi a été terrible. Plus rien ne nous appartenait”.

Mais les anciens habitants des monts Métallifères et les nouveaux arrivants, originaires de l’intérieur du pays, cessèrent rapidement d’être les uns pour les autres des étrangers. Il faut dire aussi que les histoires d’amour, ignorant les frontières nationales, se mirent à fleurir allégrement. “Mon mari parlait tchèque et je lui répondais en allemand. On ne saisissait pas exactement ce que disait l’autre, mais on n’avait pas besoin de mots pour se comprendre. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai appris le tchèque avec lui”, dit en riant Bertha Růžičková.

La génération actuelle des septuagénaires, octogénaires et nonagénaires s’est ainsi progressivement accommodée à cette nouvelle société. Elle a développé la même stratégie qu’avaient adoptée la plupart des Tchèques durant l’époque du communisme : ils s’efforçaient d’éviter toute provocation et d’accepter leur destin, en se retirant dans la sphère privée.

Comme si une culture du silence s’était imposée parmi les derniers Allemands des Sudètes, si différente de cette culture de la nostalgie, qu’aujourd’hui encore, leurs contemporains expulsés entretiennent avec tant d’ardeur.

Un habitant sur sept ayant déclaré être de nationalité allemande lors du recensement de 2001, la commune avait en principe le droit d’utiliser des inscriptions bilingues. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. En 10 ans, la population allemande a chuté de moins de 200 à 70 habitants.

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