Isabella Lövin, eurodéputée contre vents et marées

Depuis son élection au Parlement européen, en 2009, la Suédoise Isabella Lövin n’a qu’un objectif : combattre la surexploitation des ressources halieutiques. Quitte à bousculer les habitudes des élus et l’équilibre de certaines communautés locales.

Publié le 7 mai 2013 à 15:32

Depuis 50 ans, les pêcheurs professionnels du plus grand lac intérieur d’Irlande du Nord préservent soigneusement leurs stocks de poissons. Ils ont créé une coopérative, introduit des quotas, lâché des alevins, pendant que les Français et les Espagnols vidaient les mers de leurs poissons.

Et voilà qu’aujourd’hui, une Suédoise veut se mettre en travers de toute une industrie et de la communauté qu’elle fait vivre en s’employant à obtenir l’appui du Parlement européen pour interdire la pêche à l’anguille dans l’ensemble de l’Union. 300 emplois passeront à la trappe. Et les pêcheurs du Lough Neagh n’en trouveront pas d’autres.

Pêcheur de son état, Pat Close s’était présenté à l’entrevue avec des rapports scientifiques sous le bras, et flanqué d’un expert. Rien qu’un petit répit ? Peut-être pourraient-ils relâcher plus d’alevins en compensation ? Rien n’y a fait. Isabella Lövin n’a pas cédé d’un pouce.

Métamorphose sans précédent

"Ils essaient tous d’obtenir des allègements et des subventions. Mais il faut qu’ils se trouvent un autre gagne-pain, c’est aussi simple que cela". C’est une élue d’un genre particulier qui travaille ici. Là où les autres députés ont épinglé des photos de leur pays d’origine, les murs du bureau d’Isabella Lövin sont garnis de cartes indiquant les zones de pêche du Skagerrak [le détroit qui sépare la Norvège du Danemark] et de photographies de thons.

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Voilà quatre ans qu’elle a pris ses quartiers ici. Non pas comme représentante du peuple suédois, quoi qu’en dise sa carte de visite. Ceux pour qui elle travaille se nomment Anguilla, Gadus morhua, Salmo salar. L’anguille, la morue et le saumon.

Dans son staff, personne n’essaie de vous faire croire qu’elle se préoccupe du reste. La taxe sur les dépôts bancaires chypriotes ? Elle s’alignera sur son groupe parlementaire. L’union bancaire ? Idem. Les autres sujets ? Elle n’a pas le temps.

On connaît l’histoire d’Isabella Lövin. Encore méconnue en 2007, la journaliste publie un livre intitulé Mer silencieuse [Tyst Hav, éd. Ordfront]. Contre toute attente, ce récit de la surexploitation des ressources halieutiques fait un tabac. Isabella Lövin décroche trois prix en Suède, le Grand prix du journalisme, la Pelle d’or [qui récompense les journalistes d’investigation] et le Prix du journalisme environnemental.

A l’automne 2008, elle se voit proposer une offre qu’elle pense d’abord refuser. On lui demande de renoncer à une part de sa crédibilité de journaliste contre une deuxième place incertaine sur la liste des Verts [aux élections européennes de 2009 en Suède]. Elle se laisse convaincre. Les Verts remportent un nouveau siège. Et connaissent une métamorphose éclair qui est probablement sans précédent dans l’histoire de la politique suédoise.

Alliance précaire

Le parti, qui était encore hostile à l’UE l’année avant les élections, compte désormais dans ses rangs une députée qui, dès sa prise de fonction, s’est empressée d’engager ce qui est peut-être la politique supranationale la plus offensive que l’on puisse trouver à Bruxelles. Et la question de la sortie de l’UE semble plus ou moins enterrée depuis les dernières élections au Parlement.

C’est en quelque sorte une expérience de démocratie. Les électeurs verts ont tout bonnement dépêché au Parlement européen une novice en politique, avec pour unique consigne de mettre un terme à l’épuisement des ressources halieutiques. Cela peut-il payer ?

Réponse en juin, lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle réforme européenne de la pêche. Et pour en comprendre les tenants et les aboutissants, il faut oublier ce que l’on a appris à l’école, à savoir que le Parlement est "en fait" impuissant. En effet, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il dispose d’un pouvoir de codécision sur la plupart des sujets, et même du droit de jeter des projets de loi aux oubliettes.

Le Parlement a déjà voté une fois, et les députés se sont très majoritairement ralliés aux positions d’Isabella Lövin. 502 voix pour, 137 contre. Avant que le conseil – composé des ministres de la Pêche des Etats membres – n’en décide autrement. L’Irlande, qui assure actuellement la présidence de l’Union, vient de mettre ses compromis sur la table.

Isabella Lövin doit aujourd’hui veiller à la cohésion de son alliance précaire composée de socialistes du Sud et de conservateurs du Nord, à l’heure où les pêcheurs de la quasi-totalité des pays membres – ceux qui possèdent une façade maritime – s’opposent à la réforme et réclament des dérogations.

Isabella Lövin parle de "lobby de la pêche" à leur sujet. D’autres emploieraient peut-être le terme de "collectif" pour désigner ces quelques milliers de personnes dont l’emploi se trouve aujourd’hui menacé.

Grands manitous

Quel que soit le nom qu’on leur donne, il y a là une pomme de discorde. Les députés du groupe écologiste au Parlement eux-mêmes ne sont pas tous sur la même ligne. Dans le couloir d’Isabella Lövin, un membre basque du groupe Vert dit ainsi se conformer aux consignes de vote de l’industrie de la pêche de sa région.

Isabella Lövin use à plein de ses nouveaux pouvoirs. En l’espace d’un mandat seulement, elle s’est affirmée comme l’une des trois voix qui comptent en matière de politique de la pêche. L’Allemande Ulrike Rodust, la commissaire Maria Damanaki et elle passent pour être les grands manitous de la politique de la pêche.

Isabella Lövin délaisse les réunions corsetées de son groupe parlementaire en Suède et ne sillonne pas le pays pour serrer des mains dans les circonscriptions. Elle privilégie les débats et les conférences à travers l’Europe et le monde. Madrid, Hambourg, Lisbonne, Nairobi, Dakar.

Une expérience de démocratie qui semble faire des émules. Mais il est aussi risqué d’être un électron libre spécialisé sur un seul sujet. Peu de responsables politiques sont aussi exposés aux jugements et aux critiques qu’Isabella Lövin. A-t-elle remporté son pari ? Y aura-t-il à l’avenir plus – ou moins – de poissons dans la mer ?

De la décision finale, qui interviendra avant l’été, dépendront l’avenir des ressources halieutiques et le bilan de l’action d’Isabella Lövin dans les livres d’histoire.

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