Ni “Grexit”, ni “Greprise”

Un an après son accession au pouvoir, le gouvernement d'Antonis Samarás essaie de persuader quiconque veut bien l'écouter que la fin de la crise est proche. Mais la réalité qui monte des rues d'Athènes dément l'optimisme du Premier ministre.

Publié le 17 juin 2013 à 11:27

Quand les scénaristes veulent changer le cours d'une histoire, ils cherchent le point d'inflexion. C'est ce que fait le gouvernement grec depuis quelques semaines : "Personne ne parle plus de Grexit, mais de Grecovery", a déclaré le Premier ministre Antonis Samarás le13 juin à Helsinki, après un entretien avec son homologue finlandais. Une devise efficace pour le message que l'exécutif tente de faire passer depuis plusieurs mois, d'abord avec prudence, aujourd'hui avec plus d'assurance : la Grèce ne risque plus de quitter la zone euro et la reprise est une réalité.
Les chiffres récents faisant état d'une amélioration du climat économique, la décision de Fitch de remonter d'un cran la note de la dette grecque, la trève décidée par les marchés : tout cela donne des arguments pour recommencer à enchaîner "les succès", comme l'a dit lui-même Samarás lors de sa récente visite officielle en Chine. Mais le point d'inflexion choisi par l'exécutif n'a guère d'incidence sur la vie quotidienne des Grecs.

Une stratégie de communication

"Ils disent que les choses vont mieux ? Mon portefeuille est aussi vide aujourd'hui qu'il y a 6 mois", déplore Iliria, une graphiste de 36 ans. Elle travaille en indépendante. "Ça, pour travailler, je travaille, mais l'argent n'arrive pas", lance-t-elle, inconsolable, tout en regardant vers la place Syntagma, à moitié vide en ce jour d'appel à la mobilisation européenne contre la troïka, il y a une semaine. "Où sont les gens ? Qu'est-ce qui nous reste si nous ne protestons pas ?", renchérit-elle. Deux des rares manifestants essayent d'installer entre deux arbres un calicot où l'on peut lire ce slogan : "Les peuples unis contre la troïka".
La place vide n'est pas un signe d'optimisme. Six ans après le début de la grande crise, les manifestations ne sont plus aussi massives. En effet, les trois années d'austérité sans répit sont passées par là, entraînant un essoufflement des mobilisations. Les actions des divers collectifs touchés par les économies budgétaires restent presque quotidiennes, mais leur intensité a diminué.
"On pourrait épiloguer pendant des heures sur la démobilisation des gens", reconnaît Alex, l'un des rares participants à la manifestation paneuropéenne. "Mais c'est aussi parce que beaucoup en ont assez de manifester qu'ils se recentrent sur leur quotidien", ajoute cet ingénieur qui, en 2010, a décidé de retourner en Grèce depuis le Danemark, où il travaillait après avoir terminé ses études de troisième cycle. ll s'est installé ici à son propre compte, même si les commandes se font plus rares.
"Si les gens manifestent moins, c'est qu'on proteste quand on a un espoir, lorsqu'on croit que les choses peuvent changer", commente Dimitris Cristopoulos, professeur de sciences politiques à l'université Panteion d'Athènes. "Ces derniers mois, les décideurs politiques tentent de nous faire croire que nous nous en sortons mieux. Il faut se poser trois questions. Est-ce la vérité ? Est-ce seulement une stratégie de communication ? Est-ce que cette stratégie fonctionne ? La première réponse est non, ce n'est pas vrai. La deuxième, oui, il s'agit bien d'une stratégie de communication : il faut comprendre que cette expérience violente tentée sur la Grèce fonctionne. Et la troisième, oui, cette communication fonctionne. Parce que même si la situation est pire qu'il y a deux ans, on assiste aujourd'hui à une débâcle sociale, à une résignation face à ce qui se passe".

La troïka et l'économie réelle

Le 18 juin, Samarás va de nouveau rencontrer à Athènes les chefs de la troïka des créanciers internationaux, alors même que la polémique ne faiblit pas à propos du [rapport du FMI](3858591, qui reconnaît des erreurs dans le premier renflouement de la Grèce, en 2010. Pour le Premier ministre, il y a d'autres sujets d'optimisme. Les sondages replacent son parti en première position devant la formation de gauche Syriza. "Nouvelle Démocratie reprend le dessus, car les gens veulent croire à la reprise", estime Cristopoulos. "Ils savent que ce n'est pas vrai, mais ils ont besoin d'y croire. L'autre facteur est l'immaturité de la gauche".
De plus, force est de reconnaître que la stabilité politique est revenue. "Les choses vont mieux qu'il y a un an. Il faut dire qu'aujourd'hui, au moins, nous avons un gouvernement qui fait quelque chose", reconnaît Nikos Skikos, professeur d'informatique, même si son salaire est passé de 1 400 à 1 000 euros.
"La psychologie est un élément important et le gouvernement s'en sert", commente l'analyste économique Dimitris Kontogiannis. "Les entrepreneurs sont plus optimistes. En effet, ils perçoivent une amélioration de la stabilité politique. Mais n'allez pas croire pour autant que les ventes soient en hausse — elles baissent seulement un peu moins. A l'aune de la réduction du déficit, la politique d'austérité est un succès. Tel est le point de vue du gouvernement et de la troïka. Mais dans l'économie réelle, la misère est toujours là. Les chiffres s'améliorent généralement avant d'avoir un effet sur la vie des gens. La reprise et la misère peuvent continuer à coexister pendant encore un an, voire plus". Au moins jusqu'à ce que, dans la vie réelle, il n'y ait plus comme aujourd'hui 27 % de chômeurs.
Depuis trois ans, une jeunesse qui s'est retrouvée soudain sans avenir déverse sa colère sur les murs d'Athènes. Sur l'un d'entre eux, quelqu'un a écrit : "Et moi, où est mon plan de sauvetage ?" Des mots gênants, qui n'ont pas leur place dans le nouveau scénario.

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