Idées Politique agricole commune

Pauvres paysans !

La réforme de la PAC négociée fin juin n’est pas à la hauteur, regrette l’inspirateur du mouvement Slow Food. Elle dépend trop des Etats membres et ne fait pas assez pour promouvoir la durabilité des cultures ou la réduction des inégalités entre exploitants.

Publié le 2 juillet 2013 à 11:21

Sommes-nous unis dans la diversité ou divers dans l’unité ? Les négociations de Bruxelles sur la nouvelle Politique agricole commune, la PAC, viennent de se terminer. Si l’accord apporte quelques nouveautés intéressantes, il est décevant pour qui a à cœur l’environnement et l’agriculture durable de petite échelle, mais avant tout, il nous pose des questions sur l’Europe. Il nous interroge sur nos perspectives, sur ce qui nous est commun et ce qui ne l’est pas.

Cette réforme qui aurait dû promouvoir la qualité de notre nourriture, le retour, possible et souhaitable, des nouvelles générations à la terre, et la sauvegarde de l’environnement, a raté une occasion historique. Elle a suscité des débats sans précédent : la société civile et le monde associatif ont fait entendre leurs exigences avec force et clarté ; pour la première fois, le Parlement européen est intervenu pour donner voix aux citoyens.

Mais dans une large mesure, les décisions permettant de mettre en place une politique agricole plus verte et plus équitable, capable d’investir des fonds publics (40 % du budget européen) en faveur de biens publics comme les paysages, la qualité des sols et la santé, n’ont pas été prises, ou alors elles ont été laissées à la discrétion des Etats membres.

Une rente qui peut s’avérer nuisible

Au-delà de ces décisions, penchons-nous sur les questions qui n’ont pas fait l’objet d’un accord, et sur lesquelles chaque Etat est libre de choisir : le soutien aux petits agriculteurs ; la réduction des aides les plus importantes (20 % des entreprises ont touché 80 % des subventions) et du plafond annuel ; la possibilité de distribuer une bonne partie des ressources destinées au développement rural – c’est-à-dire à des pratiques écologiques, sociales et productives innovantes – sous forme de rente foncière (versement direct calculé en fonction de la surface des terres détenues) ou d’assurance privée qui peut s’avérer nuisible.

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A présent, c’est aux citoyens de faire pression sur leurs gouvernements. Le travail n’est pas fini. Mais à quoi sert au juste une politique agricole dite "commune", qui bénéficie d’un budget et de débats si importants, si elle n’est pas commune ? Si l’Europe n’est pas capable de proposer des idées fortes, qui permettent de réaliser, avec notre argent, quelque chose dont nous pouvons tous tirer parti ? Quelque chose qui relève du bien commun ? D’aucuns font remarquer que ce manque de décisions laisse entrevoir une sorte de "déseuropéisation".

Il existe plusieurs "fronts" que la PAC devrait aborder, à propos desquels elle devrait servir de médiatrice ou intervenir directement en faveur des citoyens. On pourrait appeler le premier front "l’agro-industrie contre la petite agriculture". On peut deviser à l’infini sur la question de savoir s’il est mieux ou non d’obliger toutes les entreprises à affecter un petit pourcentage de leurs terres à la conservation de zones à fonction écologique – 3, 5 ou 7 % ? Pour mémoire, c’est le taux de 5 % qui a gagné. Mais le fait est que d’un côté, nous avons de grandes entreprises qui perçoivent 300 000 euros de subventions par an, de l’autre, des petits agriculteurs, que les Etats peuvent choisir ou non d’aider avec une contribution annuelle limitée à 1 250 euros. Que change ce genre de somme dans l’économie d’une entreprise ?

Les centaines de milliers d’euros de la PAC maintiennent en place un système de monoculture non durable. Le malheureux millier d’euros, lui, ressemble à un "petit cadeau" qui ne modifie en rien la vie d’une entreprise. Il est vrai que les petits agriculteurs ont été dispensés de nombreuses obligations bureaucratiques, mais une aide concrète, c’est autre chose. Du reste, la contribution qu’ils apportent en termes de nourriture bonne et saine, d’entretien du territoire et de bien commun vaut infiniment plus que ces mille euros. De ce point de vue, on dirait que la réforme de la PAC a "changé les choses pour que rien ne change" : la plus grande partie du gâteau continue d’aller aux plus grands.

Un goût amer

Autre front : les agricultures des vieux Etats membres face à celles des nouveaux arrivants, les pays de l’Est. Ces dernières sont plus fragiles, moins modernes, et de ce fait, encore diversifiées sur les plans naturel et productif : elles ont le droit de croître, mais aussi d’être protégées. On a parlé de "convergence interne" pour harmoniser les subventions, mais là encore, ce sera en fin de compte à chaque Etat de décider.

Et puis il y a la question de "l’Europe contre les pays en développement". Cette fois-ci, alors que les Etats regardent au-delà des frontières du continent, comme par enchantement, l’union est de retour : aucun mécanisme n’est prévu pour contrôler les effets des politiques commerciales de la PAC – comme les subventions aux exportations ou le maintien de prix artificiellement bas – sur les petits agriculteurs d’Asie et d’Afrique.

Les Etats sont aussi restés unis pour édulcorer les mesures de "greening" ou reverdissage, qui visent à rendre plus vertes les pratiques agricoles. Il est important que ce concept ait été introduit, certes, mais les exceptions prévues sont si nombreuses que 60 % des terres cultivées de l’UE pourraient finalement y échapper. Une bonne mesure, mais qui n’est obligatoire que sur le papier.

Malgré certains aspects positifs, comme l’assouplissement des formalités bureaucratiques et l’augmentation des ressources destinées aux jeunes agriculteurs, cette nouvelle PAC laisse un goût amer. L’Europe semble rester engluée dans les vieux systèmes du libéralisme et du lobbying des multinationales, et manquer du courage nécessaire pour proposer de réels changements législatifs, ainsi que des perspectives nouvelles, mondiales, modernes. Cette Europe a donné forme à une Politique agricole commune qui n'a de commun que le nom, une politique qui semble se cacher derrière les différentes factions au lieu d’imposer à tous une direction haute et noble, rigoureuse, au service de l’intérêt public.

Dans les domaines de la nourriture et de l’agriculture, cette même Europe nous presse de repartir de notre diversité pour parvenir à une unité qui, manifestement, reste encore à définir. Pendant que les petits agriculteurs luttent seuls, les jeunes ont du mal à revenir à la terre, l’agro-industrie continue à dominer le paysage, et le développement de nouveaux paradigmes sociaux, économiques, culturels, agricoles et alimentaires, est entièrement laissé aux mains des citoyens et des paysans européens qui regorgent de bonne volonté et d’idées fraîches. Et ce sont peut-être justement les seuls qui nous donnent à voir ce que sera l’"Union européenne" de demain.

Vu d'Allemagne

"Une occasion manquée”

La réforme de la Politique agricole commune entérinée par les Vingt-Sept lors du Conseil européen des 27 et 28 juin est loin de représenter le "changement de paradigme" prétendu par le Commissaire européen à l'agriculture Dacian Cioloş, les ONG et les Verts, estime la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Pour le quotidien allemand, "ce n’est même pas une vraie réforme". "Qu'est-ce qui change ?", demande-t-il :

Les subventions aux agriculteurs sont désormais davantage liées à la protection de l'environnement. Ils perdent un tiers de leurs subventions s’ils ne renoncent pas à la monoculture pure et ne réservent pas une (petite) partie de leur terrain à des zones écologiques prioritaires, comme des haies ou des friches. […] Cela ressemble plus à un conte de fées qu’à la réalité, [car] de nombreux agriculteurs rempliraient probablement déjà ces critères aujourd’hui. Il vaut donc mieux dire, comme le font certains critiques, que la PAC est juste peinte en vert. Ce qui manque [...] c’est une nouvelle base pour la PAC, car cela fait longtemps qu’il n’y a plus de justification pour les subventions.

Cette "toute petite réforme" est "une occasion manquée pour donner une base crédible à la PAC", regrette encore le quotidien. C’est d’autant plus grave que les nouvelles règles seront valables jusqu’en 2020. Peut-être, espère le journal, "y aura-t-il à ce moment là un commissaire à l’Agriculture qui lancera un vrai changement de paradigme au lieu de ne faite qu'en parler."

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