Ne tuez pas l’euro !

Alors que se succèdent renflouements et budgets d’austérité et que rien ne semble devoir tempérer l’agressivité des marchés, nombreux sont ceux qui prédisent que les jours de la monnaie unique sont comptés. Mais un effondrement de l’euro aurait des conséquences sans précédent en termes techniques, économiques et politiques, prévient The Economist.

Publié le 3 décembre 2010 à 14:58

Les marchés obligataires ont dédaigné le renflouement de 85 milliards d’euros offerts à l’Irlande le 28 novembre dernier. Les taux d’intérêt ont augmenté non seulement pour l’Irlande, mais aussi pour le Portugal, l’Espagne, l’Italie et même la Belgique. L’euro a repris sa dégringolade.

Pendant que les tentatives de sauvetage bâclées s’enchaînent, les dirigeants de l’Union Européenne ont beau répéter qu’une dissolution de la monnaie unique est impensable et impossible, ils peinent désormais à convaincre. Ce qui poussent beaucoup à se demander si l’euro peut en réchapper.

Ses adversaires l’affirment : les citoyens d’Europe ne peuvent plus vivre sous son joug. A la périphérie de l’Union, certains espèrent se voir épargner les années d’austérité éprouvante qui pourraient être nécessaires afin que salaires et prix deviennent compétitifs.

Quitter le navire pendant qu'il est encore temps ?

Plusieurs pays menés par l’Allemagne sont fatigués de devoir payer pour les autres et redoutent, en tant que pays solvables, de souffrir si la Banque centrale européenne (BCE) choisit l’inflation pour apurer la dette des pays à la traîne. Mais surtout ils craignent que la zone euro soit éternellement condamnée à vivre ce genre de crise. Alors pourquoi ne pas quitter le navire tant qu’il est encore temps ?

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L’histoire de la finance est jalonnée d’événements qui, après avoir longtemps paru impensables, ont pris du jour au lendemain un caractère inévitable : la Grande-Bretagne a quitté l’étalon-or en 1931, l’Argentine a désindexé le peso du dollar en janvier 2002. Un effondrement de l’euro aurait toutefois des coûts techniques, économiques et politiques sans précédent.

Un tel scénario pourrait se dérouler de deux manières. Première possibilité : un ou plusieurs membres faibles (Grèce, Irlande, Portugal, peut-être l’Espagne) pourraient quitter la zone euro, vraisemblablement pour dévaluer leurs propres nouvelles monnaies.

Deuxième éventualité : une Allemagne excédée, peut-être rejointe par les Pays-Bas et l’Autriche, pourrait décider d’abandonner l’euro et de rétablir le deutschemark, qui alors s’apprécierait.

Dans un cas comme dans l’autre, les coûts seraient considérables. Pour commencer, il faut prendre en compte les difficultés techniques liées à la réintroduction d’une monnaie nationale, à la reprogrammation des ordinateurs et des distributeurs automatiques, à la fabrication des pièces et des billets (il a fallu trois années de préparation pour l’euro).

Dès qu’on apprendrait qu’un pays en difficulté est sur le point de quitter la zone euro, il se produirait une ruée vers les dépôts, si bien que les banques, déjà à la peine, s’en trouveraient encore plus affaiblies. Il en résulterait un contrôle des capitaux et peut-être un plafonnement des retraits bancaires, ce qui aurait pour effet d’étrangler le commerce. Les pays ayant quitté la zone euro ne bénéficieraient plus des sociétés de finance étrangère, peut-être pendant plusieurs années, ce qui asphyxierait encore davantage leurs économies.

Les exportateurs allemands, grands bénéficiaires de l'euro stable

Le calcul serait peut-être un peu plus judicieux si c’était l’Allemagne qui quittait l’euro. Mais une fois encore, on verrait des paniques bancaires en Europe : les déposants fuiraient les pays affaiblis, entraînant un rétablissement du contrôle des capitaux.

Même si les banques allemandes gagnaient des dépôts, leurs importants actifs libellés en euros perdraient de leur valeur. Car enfin, ne l’oublions pas, l’Allemagne est le plus grand créancier de la zone euro. Enfin, les exportateurs allemands, après avoir été les grands bénéficiaires d’une monnaie unique plus stable, pousseraient les hauts cris en se retrouvant une fois de plus avec un deutschemark en forte hausse.

S’il peut paraître douteux, sur le plan économique, de démanteler l’euro, en termes politiques, cela pourrait déclencher une réaction en chaîne qui menacerait le tissu même du marché unique, voire de l’UE.

L’Union et l’euro ont été les points d’ancrage de l’Allemagne de l’après-guerre. Si elle abandonnait la devise, à un coût énorme, et laissait le reste de la zone euro se débrouiller, cela remettrait sérieusement en question son engagement vis-à-vis de l’UE.

Si c’était un pays plus faible qui quittait l’euro, il deviendrait un paria qui exporterait ses maux chez ses voisins. Une fois le contrôle des mouvements de capitaux en place, les marchés financiers européens se retrouveraient en lambeaux et il serait difficile de protéger le commerce transfrontalier européen.

L’effondrement du marché unique, qui a tant fait pour souder le continent, deviendrait alors une menace pour l’UE. Les Etats qui en sont membres peuvent certes regretter d’avoir rejoint l’euro, mais il serait absurde de s’en détacher. Toutefois, ce n’est pas parce qu’il devrait survivre qu’il y parviendra effectivement. Et à moins que les dirigeants européens n’aillent plus loin et plus vite, il ne s’en tirera peut-être pas.

Un démantèlement serait trop coûteux

Les dirigeants européens ont réagi mollement aux pressions des marchés. La Grèce et ensuite l’Irlande ont dû leur forcer la main pour obtenir un plan de sauvetage. Et c’est seulement tardivement qu’ils ont reconnu que certains pays n’avaient pas simplement besoin d’un dépannage, mais seraient sans doute incapables de rembourser leurs dettes. Et ce retard va maintenant se répercuter sur les porteurs d’obligations d’Etat.

Si l’euro doit survivre, les pays solvables devront apporter une aide plus importante aux pays en difficulté. Cette aide pourra se faire directement ou par l’intermédiaire de la BCE qui pourrait fournir des liquidités aux banques ou acheter des obligations d’Etat avant qu’elles ne chutent trop bas. La BCE a indiqué son intention de poursuivre son rachat d’obligations publiques.

L’Allemagne désapprouve fortement l’idée d’aider les pays endettés – d’où ses tergiversations et sa détermination à pénaliser les porteurs d’obligations d’Etat. Si sa réticence à financer les mauvais élèves est compréhensible ; l’alternative est bien pire.

Le démantèlement de la zone euro n’est pas impensable, seulement très coûteux. Mais parce qu’ils refusent d’envisager cette éventualité, les dirigeants européens ne prennent pas les décisions qui s’imposent pour éviter le pire.

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