Le crépuscule du Cavaliere

Désavoué par une partie de ses proches, qui l’ont contraint à voter la confiance au gouvernement d’Enrico Letta, et en passe d’être évincé du Sénat – qui décidera le 4 octobre de le déchoir de son mandat ou non—, Silvio Berlusconi se dirige vers une inéluctable sortie de scène.

Publié le 3 octobre 2013 à 15:15

Pour la première fois depuis vingt ans, la crise politique a été évitée non pas grâce ou malgré Berlusconi, mais dans l’indifférence absolue de ce qu’a pu faire ou ne pas faire le Cavaliere, prisonnier depuis des jours d’une spirale infernale qui l’a fait changer de position au moins une dizaine de fois. Le fait qu’à l’issue d’une journée parlementaire mouvementée, et d’une certaine manière historique, le leader du centre-droit, comme pétrifié, ait annoncé personnellement au Sénat, à la surprise générale, qu’il voterait la confiance (alors qu’il avait ordonné la démission de ses ministres le 28 septembre et qu’il avait demandé peu de temps auparavant à ses sénateurs de voter la défiance), n’a eu aucune influence sur l’issue de la partie de poker complexe qui s’est jouée ces derniers jours.

Les dés étaient d’ores et déjà jetés, depuis que les dissidents du PDL avaient annoncé, dans la nuit du 1er au 2 octobre, qu’ils ne lâcheraient pas le gouvernement, lequel pouvait ainsi compter sur l’appui d’un nombre suffisant de parlementaires pour lui assurer une nouvelle majorité au Palazzo Madama [le siège du Sénat].

Ainsi, celui qui fut le symbole de la Deuxième République [le cadre institutionnel né après le raz-de-marée de l’enquête anti-corruption "Mains Propres" au début des années 1990], la pièce maîtresse de tous les chapitres politiques de ces vingt dernières années, le leader qui était toujours parvenu à jouer un rôle déterminant non seulement dans son propre camp mais également dans le camp adverse, est devenu partout superflu.

Berlusconi n’en revenait pas, et a il mis quelques heures à se rendre compte de ce qui s’était passé. Puis, lorsqu’il a compris, il s’est résigné à être utile et à voter pour le gouvernement, pour ne pas être le témoin de la scission de son parti. Son leadership charismatique, qui jusqu’au 30 septembre au soir, lui avait permis d’éviter toute forme de débat interne, a subitement volé en éclats.

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Un nouveau leader

Evaporé en un clin d’œil. Tourné en bourrique, déboulonné par les bordées d’injures des électeurs de centre-droit sur Internet, déboussolés, pour le moins, par l’inconséquence incompréhensible avec laquelle Berlusconi a opéré sa tentative malheureuse de faire tomber le gouvernement. Désormais, tout le monde s’accorde à penser que la nouvelle majorité – de force presque égale à la précédente, mais arrimée à l’accord entre le Premier ministre et la fraction la plus responsable du centre-droit – a donné naissance à un nouveau leader en la personne du vice-président du conseil.

Et il ne fait aucun doute que [le vice-président du Conseil et numéro deux du PDL] Angelino Alfano a joué un rôle clé dans cette crise, refusant dès le départ de provoquer la scission du PDL, s’employant jusqu’à la dernière minute à persuader le Cavaliere de faire machine arrière, et y parvenant, non seulement grâce à sa force de persuasion, mais aussi au consensus qu’il était entre-temps parvenu à dégager au sein des groupes parlementaires, auprès de sénateurs et de députés désormais disposés – une première – à désobéir à Berlusconi. [[Alfano, à qui les siens avaient toujours reproché par le passé un certain manque de courage, a cette fois montré les muscles]].

Au-delà des louvoiements et de la crise d’un leadership usé depuis longtemps – malgré les beaux succès électoraux, les "Silvio, Silvio !" et la réaction émue des Italiens face à ses déboires personnels – ce qui s’est produit ces derniers jours, jusqu’au point d’orgue spectaculaire de la journée du 2 octobre, était déjà inscrit dans les prémices de l’ouverture politique. Non pas la pacification, dans laquelle Berlusconi voyait à tort la fin de ses déboires – et que toutes ses ultimes manœuvres ont contribué à empêcher. Mais plutôt la naissance, avec la bénédiction du président de la République, Giorgio Napolitano, d’un "axe d’urgence" qui s’est révélé inoxydable entre Letta et Alfano, les Castor et Pollux du gouvernement.

Un avenir politique incertain

Il est trop tôt pour dire jusqu’où nous mènera un épisode de cette importance, qui ne fut soudain et surprenant qu’en apparence. Entre autres choses, nous vivons la fin d’un changement de génération, avec tous les contre-coups auxquels on peut logiquement s’attendre. Il est possible qu’au sortir de la crise économique et à la fin d’une législature qui, à l’heure qu’il est, a gagné au moins une année de vie, nous assistions à un nouveau bras de fer entre un centre-droit et un centre-gauche profondément changés, plus proches de ceux qui s’affrontent dans la plupart des pays d’Europe.

Mais il est inutile de se le cacher : le poids de la tradition italienne et des protagonistes de cette nouvelle phase ne devra pas être sous-estimé. En d’autres termes, il est possible, et peut-être même plus que probable – et à craindre selon les points de vue – que la Démocratie chrétienne ne survive pas à l’avènement de la Troisième République.

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