Comment Merkel veut réformer l’Europe

La chancelière semble enfin prête à assumer son pouvoir et ses responsabilités en Europe. Mais comme ses projets de réformes vont dans le sens des sociaux-démocrates, elle a besoin d’un allié : le président du Parlement européen Martin Schulz.

Publié le 29 octobre 2013 à 13:05

C’était à l’occasion d’un dîner donné au siège bruxellois du Conseil européen. On venait de servir le dessert lorsque, peu avant minuit, Angela Merkel fit ce que les chefs de gouvernement européens lui réclamaient depuis des mois : qu’elle fasse preuve de leadership. Les pays de la zone euro doivent devenir plus compétitifs, a martelé la chancelière, le droit de regard exercé jusque-là par la Commission européenne ne suffit pas, il faut “contraindre davantage”. Quant à la “dimension sociale”, elle ne doit pas être négligée pour autant, a jugé la chef de file de la CDU. L’Europe a besoin d’un “bond qualitatif”.

Angela Merkel est déterminée à devenir chancelière européenne à la faveur de son troisième mandat. Aux dernières élections, les Allemands lui ont accordé plus de suffrages qu’ils ne l’avaient jamais fait, elle passe pour être “le dirigeant politique le plus puissant d’Europe” ([The Economist]), et elle pilotera bientôt une grande coalition aux côtés du deuxième parti d’Allemagne. Angela Merkel est persuadée qu’elle est en position de force pour promouvoir un projet qui est censé devenir son héritage politique : la réforme de l’Union européenne. Pour autant, si le risque d’une désintégration prochaine de la monnaie européenne est écarté pour l’heure, et si la conjoncture de la zone euro montre elle aussi ses premiers signes de vie depuis longtemps, Angela Merkel n’ignore pas que la crise peut repartir de plus belle à tout moment. De la France à l’Italie, les partis eurosceptiques ont le vent en poupe, les réformes sont au point mort dans de nombreux pays endettés, les banques rechignent à accorder des crédits.

Un programme teinté de “social”

C’est pourquoi la chancelière prépare un train de réformes européennes, et elle sait d’ores et déjà comment elle pourra imposer son projet : avec l’aide de ses nouveaux partenaires de coalition pressentis – les sociaux-démocrates – elle entend teinter de “social” sa politique européenne. Il est question de mettre en place des programmes contre le chômage des jeunes, contre l’évasion fiscale, ainsi qu’un budget propre à la zone euro pour relancer la croissance. En contrepartie, Bruxelles verra son droit de regard étendu sur les politiques financières et économiques des Etats membres.

De l’argent contre des réformes : Angela Merkel entend désormais poursuivre son programme controversé sous une forme “social-démocratisée”. Pour ce faire, elle s’est trouvé un allié de poids. Angela Merkel veut faire passer son projet en binôme avec le président du Parlement européen, Martin Schulz, qui préside la délégation du SPD sur les questions de politique européenne dans le cadre des pourparlers en vue de la formation de la coalition, mais pense aussi déjà aux prochaines étapes de sa carrière : pour l’instant, il ambitionne d’être la tête de liste des socialistes aux européennes de mai prochain. Après quoi, s’il est parvenu à recueillir suffisamment de suffrages, il briguera le fauteuil de président de la Commission européenne à Bruxelles. Angela Merkel se débarrasserait alors enfin de celui qu’elle prit naguère sous son aile, mais qui est aujourd’hui tombé en disgrâce, l’actuel président de la Commission, José Manuel Barroso. Du même coup, elle pourrait mettre en route des réformes en faveur de la croissance et de la compétitivité en tandem avec Martin Schulz.

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Une estime réciproque

La ligne du nouveau gouvernement berlinois est prévisible : pas d’obligations européennes, mais plus d’argent pour les programmes de relance, et un droit de regard étendu pour Bruxelles. Pour imposer son nouveau cap, Angela Merkel, volontiers surnommée “Mutti” [maman] dans ses propres rangs, s’est trouvé un nouveau favori en la personne du président du Parlement européen, Martin Schulz. Le cadre du SPD a beau déclarer publiquement qu’“Angela Merkel n’est pas [sa] meilleure amie”, chacun dit toute son estime de l’autre une fois les micros coupés. [[Martin Schulz voit régulièrement la chancelière à Berlin, ils échangent des SMS et élaborent des compromis]], dernièrement sur le budget supplémentaire de l’UE. Tous deux sont opposés à un règlement de tous les problèmes à l’échelon européen. Leurs vues convergent également sur les moyens de parvenir à un renforcement de l’union monétaire et économique.

Martin Schulz serait un “trait d’union” important pour la grande coalition. S’il est proche du chef de file du SPD, Sigmar Gabriel, il peut aussi être utile à Angela Merkel au plan européen. Les élections européennes de l’année prochaine seront les premières à avoir lieu dans les conditions fixées par le traité de Lisbonne. Ses résultats devront donc être pris en compte par les 28 chefs de gouvernement des Etats membres pour la nomination du président de la Commission. Martin Schulz, 57 ans, qui s’est appliqué à nouer des alliances par le passé, a de bonnes chances d’être désigné. Il peut compter sur un large soutien au Parlement comme au Conseil européen, bien au-delà des rangs de sa famille politique. Angela Merkel le sait, et elle s’accommoderait parfaitement de sa présence à la tête de la Commission, notamment parce que le social-démocrate a la confiance du président français, François Hollande. De quoi relancer un moteur franco-allemand fatigué.

Seul hic pour Angela Merkel : en tant que présidente de la CDU, elle ne saurait soutenir ouvertement un membre du SPD. Dans la campagne des européennes, les deux futurs partenaires de coalition feront donc bande à part. [[Toutefois, Angela Merkel s’applique à ne pas ouvrir de nouveaux fronts inutiles avec le social-démocrate]]. Jeudi dernier, la fine fleur du Parti populaire européen (PPE, droite) s’est réunie pour débattre des élections européennes à venir. Beaucoup ont dit souhaiter que le PPE mette sa propre tête de liste en face de Martin Schulz. Angela Merkel et le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, ont à l’inverse émis de fortes réserves à ce sujet. La chancelière veut se garder le droit de divulguer le nom de son favori au poste de président de la Commission après les élections – peut-être même pourrait-il s’agir du social-démocrate Martin Schulz.

Une chose est sûre : le concours des sociaux-démocrates allemands ne sera pas de trop si Angela Merkel veut imposer son programme en Europe.

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