"Pavlos vit, cassez les fascistes". Manifestation en mémoire de Pavlos Fyssas, à Athènes, le 25 septembre

Pavlos Fyssas, les dessous d’un assassinat politique (1/2)

Dans la nuit du 17 au 18 septembre, le rappeur grec était assassiné par un militant d’Aube dorée. Ce meurtre de trop a signé la chute du parti néo-nazi, dont on découvre aujourd’hui les connivences implicites avec le pouvoir et les liens avec les puissants armateurs.

Publié le 31 octobre 2013 à 12:32
"Pavlos vit, cassez les fascistes". Manifestation en mémoire de Pavlos Fyssas, à Athènes, le 25 septembre

Sur le buffet du salon, les photos forment un petit autel à la mémoire du fils perdu : Pavlos au mariage de sa sœur, Pavlos en concert ou encore Pavlos adolescent. C’était un beau garçon, avec d’immenses yeux noirs, un joli sourire. “Un grand cœur surtout. Tout le monde s’attachait immédiatement à lui”, murmure Magda, sa mère, hypnotisée par les images des jours heureux. Derrière elle, Panagiotis, le père de Pavlos, ne réagit pas, muré dans sa douleur.

Deux coups de couteau reçus en plein cœur ont fait de leur fils un symbole : celui de la dérive criminelle du parti d’extrême droite Aube dorée, entré pour la première fois au Parlement grec en 2012. Pavlos Fyssas, rappeur de 34 ans, aurait certainement préféré devoir sa célébrité à ses chansons. Il a fait la une des journaux grecs en martyr, poignardé dans la nuit du 17 au 18 septembre par des militants d’Aube dorée, une formation désormais ouvertement qualifiée de néo-nazie. La mort du jeune homme, un soir de match de foot dans une banlieue populaire, va déclencher en quelques jours un séisme politique et se transformer en affaire d’Etat. Pour la première fois depuis le retour de la démocratie, en 1974, l’état-major d’un parti représenté au Parlement se retrouve passible des plus graves poursuites pénales.

Après le crime, nombreux sont ceux qui ont souligné l’importance de ce “mort de trop” qui aurait réussi à réveiller l’opinion et les autorités. Car Pavlos Fyssas était grec, contrairement aux précédentes victimes d’Aube dorée, quasi exclusivement des immigrés. Mais cela ne répond pas à la question essentielle : comment Aube dorée, ce parti qui se prétend farouchement nationaliste, réservé “aux seuls Grecs de souche”, a-t-il pu franchir ce pas de trop et assassiner un jeune Grec en pleine rue ? Qui a réellement guidé la main du meurtrier, un camionneur de 45 ans, père de deux enfants, à l’allure plus que banale, et qui avait en principe tout à perdre en s’impliquant dans un crime ?

Un soir d'Olympiakos-PSG...

En réalité, il s’en est fallu de peu pour que personne ne s’intéresse au meurtre de Pavlos et que son assassinat reste une affaire locale, vite classée sans suite. C’est le soir du crime que le scénario a dérapé. Grâce au réflexe inattendu d’une policière. Ce 17 septembre, Pavlos retrouve sa petite amie, Chryssa, et quelques copains pour aller voir la rencontre entre l’Olympiakos et le Paris-Saint-Germain. Comme tous les jeunes de la région du Pirée, Pavlos est un supporteur d’Olympiakos, prêt à hurler au moindre penalty raté. “Ils sont arrivés juste avant le début du match. Je m’en rappelle très bien car je connaissais Pavlos de vue, même si je ne savais pas qu’il était rappeur. Pour moi, c’était juste un jeune du quartier, confie le patron du Coralie Café, un bar de Keratsini dont la terrasse couverte dispose d’un grand écran plat. Pendant la rencontre, rien à signaler : Pavlos et sa bande buvaient des bières, l’ambiance était assez animée, comme à chaque fois que l’Olympiakos joue. Mais sans aucun débordement”. Lui affirme ne pas avoir remarqué les deux ou trois types (les versions divergent) qui, selon certains témoins, auraient envoyé des SMS en observant Pavlos pendant le match. “Ce n’est qu’à la fin de la soirée, quand tout le monde sortait du café, que j’ai aperçu moi aussi cette bande, surgie de nulle part, sur le trottoir d’en face”, poursuit le patron.

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Une vingtaine d’hommes déjà échaudés commencent alors à interpeller le rappeur et ses amis, qui traînent encore dans la rue. Très vite, le ton monte. Trois hommes se détachent du groupe et se rapprochent de Pavlos, le bousculent. Restée en retrait, Chryssa, sa petite amie, voit tout et s’alarme. Elle tente d’alerter un groupe de policiers qui, curieusement, observent passivement la scène à distance. En vain. Elle les supplie encore, lorsqu’une voiture arrive soudain en trombe et s’arrête pile devant l’attroupement. Un homme en sort, saisit Pavlos comme s’il voulait l’embrasser et lui plante deux coups de couteau en plein cœur. Avant de s’effondrer, le jeune homme a juste le temps de montrer son meurtrier aux policiers qui ont fini par se rapprocher. C’est à ce moment-là que, [[rompant avec l’inertie de ses collègues, une policière sort soudain son arme, la braquant sur l’assassin]]. Lequel semblait tellement certain de son impunité qu’il s’attardait encore dans sa voiture après avoir jeté le poignard dans le caniveau. “Sans le courage de cette policière qui a arrêté le meurtrier, on en serait encore à spéculer sur les causes d’un meurtre jamais revendiqué. Et certains affirmeraient toujours qu’il s’agit juste d’une bagarre d’après-match qui a mal tourné”, souligne le célèbre journaliste Pavlos Tsimas de Mega TV, la principale chaîne privée.

Aube dorée, un allié politique commode

Dans un premier temps, c’est d’ailleurs la version qui s’impose : une embrouille entre jeunes de banlieue liée au foot. Mais la justice découvre très vite que Georges Roupakias, le meurtrier arrêté, est membre d’Aube dorée. Et l’examen de son portable révèle qu’il a appelé plusieurs responsables du parti, juste avant et juste après le crime. Encarté depuis seulement un an, il était payé par le parti et apparaît sur plusieurs photos prises lors des rassemblements organisés par les néonazis, malgré les dénégations initiales des chefs d’Aube dorée, qui ont d’abord affirmé ne pas le connaître. Ces derniers vont être, eux aussi, rapidement interpellés. Grâce aux dossiers détenus par les services secrets grecs, qui les avaient placés sur écoute depuis longtemps.

On peut s’en féliciter. Mais certains commentateurs ont fait part de leur trouble : ainsi la police avait sous le coude de quoi les coffrer depuis longtemps… Pourquoi, alors, n’a-t-elle pas agi plus tôt ? “Aube dorée a longtemps joué un rôle bien commode. Ce parti est devenu populaire en se déclarant “antisystème”, opposé à la classe politique traditionnelle que tout le pays déteste. Mais ce n’est qu’une apparence. Au Parlement, Aube dorée a toujours voté comme le gouvernement : pour les licenciements, les privatisations, les baisses de salaire. Même topo pour ses agressions contre les étrangers : elles permettaient aussi de justifier ou minimiser l’impact des politiques contre l’immigration. [[La nuit, Aube dorée orchestrait des pogroms ; le jour, le gouvernement encourageait les rafles et les emprisonnements des migrants]] dans des camps où les conditions de vie sont inhumaines, explique dans son bureau du centre d’Athènes Dimitri Zotas, avocat de plusieurs immigrés victimes du parti néonazi. Le problème, c’est qu’Aube dorée a fini par échapper à ses démiurges. Forts de leur popularité en hausse, à près de 15% à la veille du meurtre de Pavlos, jamais inquiétés pour leurs agressions contre les immigrés, les néo-nazis se sont sentis invulnérables. Ils ont cru qu’ils pouvaient aller encore plus loin, peut-être trop loin”.

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