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Europe, où vas-tu ?

Comme l'a confirmé l'abstention massive aux dernières élections européennes, l'Europe n'arrive plus à séduire. Quelles sont les raisons de ce désamour ? Comment raviver l'intérêt des citoyens et redonner un avenir à son projet ? Faut-il poursuivre l'élargissement ou approfondir l'Union ? Des politologues et intellectuels européens proposent des pistes de réflexion.

Publié le 3 juillet 2009 à 15:06
Photo: Estraire

Comment réenchanter l'Europe ? C'est la question posée par le quotidien Libération à Jacques Delors et à Marcel Gauchet. Dans un entretien croisé, l'ancien président de la Commission européenne et l’historien et philosophe français dressent un constat amer sur la situation de l'Europe et le désintérêt qu'elle suscite. "Le danger ce serait de vouloir réenchanter une Europe qui par nature ne peut pas l'être", prévient Marcel Gauchet. Selon lui, il faut plus modestement redonner un sens à un projet élaboré dans des conditions qui ont complètement changé. Aujourd'hui, la question qui se pose est avant tout celle de la place de l'Europe dans le monde. Par son ouverture, l'Europe subit plus profondément le choc de la mondialisation.

Quelle place dans le monde ?

"La mondialisation a conduit les puissances les plus importantes de l'Europe à continuer à raisonner en terme de puissances classiques", regrette Jacques Delors. Dans les moments de crise, notamment, ce sont les réflexes nationaux qui prévalent : l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne tricotent des solutions sans tenir compte du voisin. De son côté, Marcel Gauchet se demande "comment insérer l'Europe dans la mondialisation". Si le rapport des Etats-Unis au monde est fortement teinté d'ethnocentrisme (ce qui est bon pour eux est bon pour le reste du monde), les Européens, remarque Marcel Gauchet, ont une grande "pratique du monde", ce qui leur donne "une carte intellectuelle à jouer dans l'organisation du polycentrisme qui vient". Mais pour Jacques Delors, cette carte ne pourra être jouée que si l’UE devient plus fédérale et facilite le processus de décision. Dans le même temps, souligne encore Gauchet, l'Europe doit réinventer son originalité historique, celle d’une "société de citoyenneté cultivée".

Le problème de la place de l'Union européenne dans le monde tel qu'il fonctionne aujourd'hui pose une autre question, celle de l'élargissement. Faut-il intégrer de nouveaux pays ou s'attacher à approfondir l'Union telle qu'elle existe aujourd'hui ? Dans un texte publié par "la fondation progressiste" française [Terra Nova](http:// http://www.tnova.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=790&Itemid=13) et repris par le quotidien tchèque Lidové Noviny, Michel Rocard, défend l'idée selon laquelle l'UE, à travers le projet d’élargissement, a pour vocation "de contribuer à rapprocher les peuples". L’ancien Premier ministre français voit dans l’entrée de la Turquie une étape déterminante, "l’exemple du dialogue pacifié entre la civilisation judéo-chrétienne et l’islam". Dès lors, assure-t-il, "l’essentiel est moins la pérennisation d’une identité européenne territoriale dans ses frontières d’origine que son extension géographique".

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Une vision angélique de l'élargissement

Réagissant à ce texte dans Lidové Noviny, le politologue tchèque Petr Robejšekcritique cette vision poétiquede l’élargissement européen et son côté "aimez-vous les uns les autres et élargissez-vous". Pour lui, "l’idée d’une Union européenne missionnaire" est vide de sens. Vingt ans après l’apparition de la thèse, aujourd’hui infirmée, de Francis Fukuyama selon laquelle la démocratie allait inévitablement s’étendre dans le monde, l’idée de l’Europe développée par Rocard n’est pas raisonnable, écrit le politologue tchèque. Il s’étonne que ce dernier ne prenne pas en considération le risque que court l’Union européenne, à travers cette politique d’élargissement, "d’une dissolution de ses contours et d’un affaiblissement de sa cohésion". La crise financière a mis à jour les difficultés de l'Union européenne. "Au lieu du marché libre règne le protectionnisme, au lieu de l’euro stable, le déficit", constate Petr Robejšek, qui estime que l’Union européenne "a franchi le ‘Rubicon d’une taille ingérable". "L’idée d’une Europe où le soleil ne se couche jamais sonne creux", conclut-il.

Quitte à avoir une vision poétique, autant qu'elle vienne d'un homme de lettres. “Rien de mieux qu'un poète irlandais pour nous rappeler la grandeur fondamentale de ce projet nous appelons l’Union européenne,” exulte le journaliste et historien Timothy Garton Ash dans le Guardian. Les Irlandais vont se prononcer à nouveau sur le traité de Lisbonne en octobre, et à l'occasion du lancement de la campagne “Ireland for Europe” en faveur du texte, le prix Nobel de la littérature Seamus Heaney a tenu à s’exprimer. "Remuons les lèvres, les esprits, que de nouvelles significations flambent", a-t-il déclamé. "Ce n’est pas le genre de langage que l'on associe à un débat sur l’Europe," soupire Garton Ash. De leur côté, les jeunes militants de "Generation Yes" proclament que "l’UE est notre abri contre la tempête". La beauté de l'Europe, s’enthousiasme Garton Ash, c’est que "les jeunes Irlandais, Britanniques et Polonais travaillent et vivent ensemble sur un même pied d'égalité – et considèrent que c’est absolument normal." Du futur de l'Europe dépend aussi celui de l’Iran, suggère-t-il. Car Lisbonne crée "la machinerie institutionnelle pour une politique étrangère européenne mieux coordonnée et plus efficace."

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