Actualité Elections anticipées en Grèce
Athènes, le 18 mai 2014. Rena Dourou et Alexis Tsipras après la victoire aux élections locales.

Dans le laboratoire politique de Syriza

L’inquiétude est grande à Bruxelles et dans plusieurs capitales européennes au moment où les sondages donnent Syriza, la coalition anti-austérité menée par Alexis Tsipras, gagnante lors des législatives du 25 janvier. Pourtant, le parti de la gauche radicale a déjà une petite expérience du pouvoir. Reportage.

Publié le 22 janvier 2015 à 18:36
Vasileios Katsardis  | Athènes, le 18 mai 2014. Rena Dourou et Alexis Tsipras après la victoire aux élections locales.

Lorsque Rena Dourou a pris son poste de préfêt, elle a comparé la conquête du gouvernement de la région de l’Attique à la prise de la Bastille en 1789. La militante de Syriza, étoile montante de la gauche grecque, avait prononcé son discours dans un lieu choisi à dessin : un gymnase gréco-romain du quartier de Drosoupolis, à Ano Liosia, au nord-est d’Athènes. L’attique, avec près de quatre millions d’habitants, est la région la plus peuplée et la plus influente du pays, car elle comprend Athènes, le Pirée et plusieurs îles.

Rena n’est pas que le chef du gouvernement de l’Attique, c’est une amie personnelle d’Alexis Tsipras, le chef de Syriza. Et l’Attique est son laboratoire — et celui de Syriza. “Le symbole est très fort : jusqu’à récemment, c’était un bastion de la droite ou des Socialistes”, assure Corina Vasilopoulou, une des adjointes de Rena Dourou et militante de Syriza. [[L’Attique est plus qu’une région, c’est l’antichambre du possible premier gouvernement anti-austérité d’Europe]].

Un sondage publié après que le Premier ministre Antonis Samaras n’a pas obtenu la majorité nécessaire pour faire élire le président de la République lors de la première votation accorde 24,2% des intentions de vote à Syriza. Nouvelle démocratie, le parti de Samaras, 21%, Potami 5,6%, le PASOK 5,5%, le Parti communiste 5% et Aube dorée (extrême droite) 4,5%. [Un sondage paru le 19 janvier crédite Syriza de 33,5% des intentions de vote].

Séisme politique

Syriza est devenu le premier parti du pays lors des élections européennes, avec 26,6% des voix. Les élections locales ont eu lieu au même moment et Syriza, avec d’autres petits partis, a conquis de nombreuses administrations dans un véritable séisme politique. En plus de l’Attique, le mouvement d’Alexis Tsipras a conquis les îles Ioniennes, neuf municipalités de la ceinture métropolitaine d’Athènes et Larissa (la cinquième ville du pays).

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Les élections européennes ont confirmé un autre phénomène politique : la popularité du parti Potami (“La Rivière”). Fondé par le journaliste télévision Stavros Theodorakis, Potami joue à la nouvelle politique et s’adresse de manière ambigüe à tous les citoyens. Les mouvements sociaux se méfient de Potami : “il est néo-libéral, progressiste et ultraconservateur en même temps. C’est le parti des hipster et des bobos friqués et des jeunes entrepreneurs. Ils combattent la corruption et le népotisme autant que les immigrés et les sans-abri”, affirme la militante Tina V.

Le discours néo-libéral est hors-jeu en Grèce. Nous sommes à un changement”, affirme Mihail Panagiotakis, un des responsables de Syriza. L’arrivée au pouvoir de Syriza va apporter un changement radical ? Alexis Tsipras s’est efforcé d’adoucir son image face aux marchés et aussi à la société. “Nous défendons une renégociation de la dette et le maintien dans la zone euro”, nuance Panagiotakis, conciliant.

Y a-t-il eu des initiatives ou des mesures adoptées par les gouvernements locaux de Syriza qui pourraient anticiper l’action d’un gouvernement national ? “Le contexte pour les nouveaux maires et présidents de région est plutôt hostile : ils veulent éviter les privatisations massives et les mesures néo-libérales imposées par le gouvernement central et la Troïka, comme le licenciement de 15 à 20% des fonctionnaires. Rena Dourou a multiplié par six le budget des prestations sociales”, assure pour sa part Corina Vasilopoulou.

Si l’Attique est le grand laboratoire, [la métaphore du changement de peau de la Grèce se retrouve dans le nouveau gouvernement de Chalándri, un ancien bastion bourgeois]]. Son maire, Simos Rousos, est en train de bloquer les licenciements en masse de ses fonctionnaires, au risque d’être arrêté pour insubordination aux ordres du gouvernement. “Chalándri a été pendant des décénnies un quartier riche d’Athènes. Pendant la crise, il a vu sa population changer vers les classes moyennes ou moyennes inférieures. Des dizaines de magasins fermés, un taux de chômage élevé et le succès croissant des populistes de droite d’Aube dorée”, assure Stelios Foteinopoulos, militant de Syriza et membre du collectif Résistance avec les habitants de Chalándri.

Méfiance vis-à-vis de tous les partis

Le triomphe de Syriza dans le quartier conservateur de Chalándri a été rendu possible grâce au soutien de “la gauche plus radicale, les maoistes, les trotzkistes, les écologistes et les anciens sociaux-démocrates”. Le nouveau “mouvement” de Chalándri essaye, selon Stelios Foteinopoulos, “de soutenir l’économie coopérative et de mettre les gens au centre de la politique, des la gestion des services et de l’éducation”.

Les murs d’Exarchia, le quartier historique des anarchistes à Athènes, rejettent le langage partisan : “la plupart des mouvements d’Exarchia ne font pas trop confiance à Syriza. Le front des gauches Antarsya est en train de surgir de la base, en tant qu’alternative”, affirme Kostas Latoufis, un militant historique des mouvements sociaux. Les sondages créditent Antarsya de 2% des voix.

Lors des élections municipales, Syriza et Antarsya ont indiqué à leurs électeurs qu’ils devaient voter pour les candidats de gauche arrivés au second tour. Ce n’est pas le cas du Parti communiste (KKE), qui n’a pas pris position, tout comme plusieurs mouvements sociaux.

Syriza s’approche, une fois encore, au pouvoir. Pour de vrai ? Face à une occasion historique, les communistes et les sympatisants d’Antarsia voteront pour Syriza ? Le front des gauches parviendra-t-il à se consolider autour de Syriza après les élections, à partir des laboratoires politiques locaux ? Le populisme particulier de Potami va-t-il croître ?

Personne ne sait ce qui se passera lors des élections du 25 janvier. Il y a toutefois une certitude : les Socialistes, qui ont fait le jeu de la droite et de la Troïka, ont perdu quarante points en quelques années, ont devant eux un avenir électoral aussi sombre qu’un récent titre de journal. “Cocktail Molotov dans les bureaux du PASOK”.

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