Pourquoi il faut un super-impôt européen

Malgré la crise, la finance européenne dispose d’immenses richesses. Quoi de plus naturel donc de les taxer, afin de dégager les ressources pour relancer l’économie et faire face aux défis de l’avenir.

Publié le 7 avril 2015 à 08:29

Peut-on imaginer période plus heureuse que ce printemps 2015 ? Partout où le regard se porte, dans le monde économique, les bonnes nouvelles sonnent comme des cloches de Pâques. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, classiquement en avance dans les reprises, renouent avec le plein-emploi. La zone euro baigne dans l'euphorie du “quantitative easing” de la BCE et des taux d'intérêt négatifs. Les valorisations boursières s'envolent sur tous les marchés. Les 300 premières capitalisations européennes (Eurofirst 300) vont distribuer près de 200 milliards d'euros de dividendes cette année.

Dans ce bain de liquidités et d'argent facile, les révisions de taux de croissance économique se multiplient à la hausse, sur à peu près toutes les géographies, zone euro et France incluses (+ 1,3% et + 0,9% respectivement). Les capitaux chinois et américains se mettent à affluer dans l'Union européenne : les rachats d'entreprises s'accélèrent suivant le rythme du marché mondial des fusions-acquisitions. On serait fou de ne pas se réjouir et de ne pas profiter d'une fête économique aussi belle.

Belle comme un mirage flottant au-dessus du monde réel : celui d'à côté. Celui de la Grèce, d'abord. Il faut se pincer pour croire que, dans une telle abondance, les puissances économiques occidentales, de Washington à Berlin en passant par Bruxelles, sont prêtes à laisser ce pays de 11 millions d'habitants, voisin de la Turquie, proche de la sphère d'influence de la Russie, faire faillite ou sortir de l'euro, ce qui reviendrait au même.

Car telle est la réalité, aujourd'hui : pour les banques européennes, le risque grec, évalué à 42 milliards d'euros, est désormais gérable, notamment grâce aux opérations de la BCE. Il ne l'était pas en 2008 (175 milliards d'euros d'exposition). L'ardeur de l'union politique européenne se réduirait-elle à une dérivée de l'exposition de ses banques à un risque-pays ?
On n'ignore pas ici la responsabilité éminente de la Grèce dans sa chute actuelle : la corruption et l'amateurisme d'une grande partie de ses élites et de son administration ; une culture politique nationaliste et socialiste ; une culture économique privilégiant la rente, les surprotections sociales, étouffant l'initiative individuelle, la prise de risques et la croissance. Certes.

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Il faut faire un exemple avec la Grèce, l'obliger à rembourser ses dettes, sinon tous les pays du Sud vont demander un ‘haircut’”, entend-on ces jours-ci à Bruxelles. On voudrait, de l'étranger, humilier un peuple sous domination étrangère du XVe au XIXe siècle, et ayant passé l'essentiel du XXe siècle en guerre ou sous les dictatures, que l'on ne s'y prendrait pas autrement.

Existe-t-il, dans l'histoire économique moderne de l'Occident, une période comparable de déconnexion entre l'euphorie économique et financière actuelle, de court terme, et le profond délabrement des équilibres sociaux et politiques ? Et où cette déconnexion s'incarne-t-elle davantage, sinon dans l'Europe actuelle et ses périphéries ?

Il faut bien plus qu'une croissance aux facteurs exogènes (BCE, pétrole) de quelques trimestres, à + 1,5%, pour absorber les 18 millions de chômeurs que compte la zone euro, en particulier les moins de 25 ans. Il faut une volonté politique de fer ; une ambition coordonnée entre les pays membres, autour d'un programme d'investissements massifs pour améliorer les infrastructures délabrées de l'Union européenne – en particulier les infrastructures allemandes – et ses capacités de défense.

Les défis existentiels à l'intérieur de nos sociétés comme dans l'immédiate périphérie de l'Europe se précisent chaque jour davantage : les mouvements des chars russes en Ukraine ; la déstabilisation d'un nombre croissant de pays d'Europe de l'est, et d'Afrique du Nord ; le réarmement des gardes-côtes italiens face aux menaces explicites de Daech ; l'holocauste des chrétiens d'Orient, de la Libye à l'Irak.

Face à de tels défis, a-t-on bien mesuré la réalité de la réponse européenne ? C'est-à-dire l'humiliation d'un de ses pays membres, et l'accumulation d'une richesse qui peine à trouver son réemploi sur le continent européen ? “No taxation without representation” : le mot d'ordre de la révolution américaine au milieu du XVIIIe siècle peut inspirer, à l'envers, une nécessaire révolution européenne aujourd'hui : à quoi bon un Parlement européen et des institutions européennes politiques pléthoriques, si nous sommes incapables de mettre en commun, par un impôt européen restant à définir, un minimum de ressources pour faire face à nos défis existentiels ?

Pas d'union politique européenne sans impôt européen. Le moment est venu d'imaginer et de mettre en oeuvre, dans ce moment de surabondance financière et de fragmentation de l'Europe, un impôt efficace, direct, qui ne s'ajouterait pas mais se substituerait à une partie des prélèvements nationaux existants. Il permettrait à la fois de : donner des emplois et un projet aux nouvelles générations ; maintenir notre unité, Grèce inclue ; protéger notre identité et nos valeurs communes, qui ne sont pas celles de l'islamisme ; et être capable de répondre, militairement s'il le faut, aux défis à nos frontières.

Croire que le seul retour de la croissance économique et la “main invisible” du marché y pourvoiront relève d'une naïveté confondante.

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