Actualité Lobbying et fracturation hydraulique
A shale gas test drilling rig near Preston (UK).

Comment les géants des énergies fossiles sabordent les bonnes pratiques

Les compagnies pétrolières telles que BP, Chevron, Shell et ExxonMobil font pression sur les dirigeants de l'Union, avec la complicité des autorités britanniques, afin de les persuader de supprimer plusieurs mesures liées à la sécurité environnementale dans la fracturation hydraulique, révèlent des documents dont le Guardian a pris connaissance.

Publié le 7 octobre 2015 à 07:30
KA/CC 2.0  | A shale gas test drilling rig near Preston (UK).

Les pressions vers une dérèglementation des mesures de sécurité, parmi lesquelles pourraient figurer la surveillance des fuites de méthane et la capture des gaz et des composés volatils qui sinon pourraient se disperser dans l’air, semblent aller à l’encontre des assurances fournies par le Premier ministre britannique David Cameron, selon lequel la fracturation hydraulique ne serait sûre que si “correctement régulée”.

Dans une tribune publiée en 2013, le Premier ministre écrivait “Nous devons nous battre pour que la fracturation soit sûre […] le système de régulation dans ce pays est parmi les plus draconiens au monde.

Mais des sources au sein du gouvernement britannique estiment que des contrôles supplémentaires sur cette industrie pourraient constituer “une entrave non nécessaire vis-à-vis de l’industrie du gaz et du pétrole britannique" et elles souhaitent éviter “de la paperasse supplémentaire”.

Une intense bataille en coulisses se prépare ainsi sur la mesure qui rendrait obligatoire l’utilisation des meilleures techniques disponibles [BAT en anglais, MTD en français. Elles sont regroupées en Documents de référence sur les MTD pour chaque secteur, appelés aussi BREF] dans la fracturation hydraulique, tant pour le pétrole que pour les autres hydrocarbures.

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Dans leur lettre au numéro deux de la Commission européenne, le vice-président Frans Timmermans, les géants du pétrole et du gaz affirment que la proposition serait lourde, chronophage et “*d’un intérêt tellement peu perceptible qu’elle est très difficile à justifier, en particulier à une époque où l’on est déjà passablement focalisés sur la sécurité, le coût et l’efficacité des opérations au quotidien¨".

Nous vous demandons avec urgence d’intervenir et de […] retirer cette proposition qui, si elle devait poursuivre son chemin, exacerberait le climat pour les investissements dans la production du pétrole et du gaz en Europe”, affirme la lettre, datée du 17 juillet et signée par neuf présidents, directeurs et conseillers d’administration.

Les industriels, appartenant à des sociétés telles que ConocoPhillips, Statoil, Petrobas, Total, et HSE, ont promis de préciser leurs craintes lors d’une rencontre privée avec Timmermans.

Alors que l’industrie de la fracturation hydraulique et le gouvernement britannique rassurent le public quant à leur engagement sur les standards de sécurité, en coulisses ils se battent bec et ongles pour éviter tout contrôle”, affirme Antoine Simon, un porte-parole de Friends of the Earth Europe.

Une telle approche cavalière est choquante, lorsque l’on connaît l’impact destructeur que cette industrie polluante a sur les gens et la planète. Il faut interdire purement et simplement la fracturation hydraulique.

Des responsables de l’UE contactés par le Gardian ont affirmé que l’Union ira de l’avant avec ses propositions indépendamment des pressions de l’industrie. Une première réunion d’experts est prévue pour le 13 octobre, en vue de préparer une proposition définitive en mai 2018.

Mais toute nouvelle proposition sera à présent surveillée de près par Timmermans, qui est l’instigateur du plan du président de la Commission Jean-Claude Juncker pour une “meilleure régulation”, afin de réduire le corpus législatif en matière d’environnement, de santé et de social. Et cela, dans le but entre autres de calmer le sentiment eurosceptique au Royaume-Uni.

Un porte-parole du ministère britannique pour l’Energie et le changement climatique a déclaré : “Nous soutenons le plan pour une Meilleure régulation, mais nous souhaitons travailler avec la Commission afin d’éviter les procédures inutiles qui pourraient provenir de nouvelles mesures qui seraient adoptées. La réglementation britannique sur le pétrole et le gaz est une des meilleures au monde”.

Techniquement, la nouvelle mesure ne constitue pas une “réglementation”. Une tentative d’introduire des limitations contraignantes dans toute l’Union sur la production de gaz de schiste a été rejetée l’année dernière après un intense lobbying de la part de David Cameron.

Mais dans une autre lettre, envoyée au mois d’avril, l’Association internationale des producteurs de pétrole et de gaz (IOGP), dont les membres produisent la moitié des hydrocarbures de l’UE, ont affirmé que le BREF constituerait une réglementation en catimini même si elle n’en a pas le nom.

L’IOGP est de plus en plus inquiet en raison de l’apparente prolifération des initiatives BREF en tant que moyen alternatif de réguler l’industrie”, a écrit Roland Festor, le directeur de l’organisation, dans une lettre aux diplomates de l’UE dont le Guardian a pris connaissance. D’autres BREFs sur des questions comme les limites à pollution de l’air provoquée par les centrales électriques ont fait l’objet d’une opposition farouche de la part du gouvernement Britannique et des principales entreprises du sécteur de l’énergie, en raison du risque de procès en dommage et intérêts et d’amendes pour violation de la directive européenne en matière d’émissions industrielles.

La proposition de BREF sur la fracturation hydraulique n’a pas les mêmes bases légales qu’une directive, mais “elle pourrait tout de même être contraignante en raison de la référence aux ‘meilleures pratiques’ que l’on retrouve dans les permis d’exploitation délivrés par les pays membres”, affirme Fester.

Les BREFs sur les hydrocarbures représenteraient une sur-réglementation inutile, ils génèreraient une incertitude juridique importante pendant une longue période et mèneraient à une nouvelle manière prescriptive de réguler l’industrie européenne du pétrole et du gaz”, a-t-il ajouté. “Nous demandons pour cela que l’on mette fin au BREF sur les hydrocarbures”.

Cette lettre est une preuve de l’hypocrisie de l’industrie pétrolière, dénoncent les écologistes, car dans ses déclarations publiques, celle-ci avait fait l’éloge du rôle que “les bonnes pratiques industrielles” et “les technologies fiables ayant fait leurs preuves” pouvaient jouer afin de minimiser les risques pour l’environnement.

Cet article est publié dans le cadre du partenariat entre VoxEurop et l’initiative du Guardian Keep it in the ground en faveur de la décarbonisation.

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