Opinion, ideas, initiatives Elections présidentielles en Autriche

Un avertissement pour toute l’Europe

A quelques voix près, le candidat indépendant soutenu par les Verts Alexander Van der Bellen a battu celui de l’extrême droite Norbert Hofer. Le pays est à présent plus polarisé que jamais et le système politique qui a régi l’Autriche depuis la guerre a volé en éclats.

Publié le 23 mai 2016 à 21:44

En Autriche, la politique n’a rien de spectaculaire. Pendant des lustres, le pays a été gouvrné par l’un ou l’autre – ou les deux – partis de centre-droit et de centre-gauche. Au sein de l’administration, les postes sont soigneusement répartis entre les chrétiens-démocrates de l’ÖVP et les sociaux-démocrates du SPÖ. Il y a même deux Automobile clubs et deux clubs de randonnée alpine. Le président de la République n’a pas de véritables pouvoirs. Mais l’éventualité qu’un candidat d’extrême droite ait pu être élu a attiré l’attention de l’Europe sur un pays qui en est le reflet à plusieurs égards.

Pendant des décennies, la politique autrichienne s’est résumée à des transitions douces d’une grande coalition à la suivante, sans véritable alternative, ni initiative ou réforme importante. C’est ce système qui a perdu les élections de dimanche dernier ; et c’est ce système de politique routinière qui est en train de perdre dans d’autres pays européens.

En Autriche, les partis traditionnels ont fait de leur mieux pour transformer la politique en une bouillie insipide, qui s’est soudain transformée, pour devenir dure et directe”, écrivait The Economist à la veille du vote : “la paresseuse coalition autrichienne est en première ligne d’une bataille que plusieurs autres partis centristes en Europe sont en train de mener.

Le second tour de l’élection présidentielle n’a vu participer aucun des candidats des deux partis traditionnellement au pouvoir. Les électeurs avaient le choix entre le parti d’extrême droite ÖVP et les Verts. Les candidats issus du premier tour, Norbert Hofer et Alexander Van der Bellen, ne pouvaient être plus éloignés politiquement.

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Mais la victoire de justesse de Van der Bellen ne doit pas masquer la réalité : selon les résultats officiels, la moitié du pays a tout de même voté pour le candidat d’extrême droite. La plupart des observateurs considèrent que l’immigration est une des principales raisons de la montée du FPÖ ; mais la récente crise des réfugiés n’a fait qu’accélérer un phénomène – l’avancée de l’extrême droite – en cours depuis des années qui reflète la perte d’attrait des deux partis principaux.

Contrairement à l’Allemagne, l’Autriche n’a jamais fait son introspection post-nazisme. Le pays n’est pas immunisé contre une résurgence des partis d’extrême droite, voire néo-nazis, comme la coalition entre l’ÖVP et le FPÖ qui a gouverné entre 2000 et 2006 l’a démontré. Avec pour adversaires des partis à bout de souffle, le FPÖ, sous la houlette de son charismatique leader Heinz-Christian Strache, est passé de scores à un chiffre à près de 30 % dans les sondages, puis à 49,7 % lors des élections de dimanche.

Norbert Hofer incarne le visage respectable du parti. Ses positions sur l’immigration et l’UE ne sont pas aussi extrêmes que celles portées par son parti par le passé. Mais il est toujours membre d’une association étudiante d’extrême droite et il a participé à la rédaction de la feuille de route de son parti – une sorte de programme – qui contient des positions propres à la droite extrême.

Mais pour la moitié des électeurs, voter pour un candidat d’extrême droite n’est plus un tabou. Le vote pour Hofer n’a pas été que symbolique, pour parer à la sempiternelle Grande coalition ÖVP-SPÖ. Selon un expert de Der Standard, une des raisons principales pour voter pour un des deux candidats était de faire barrage à l’autre. Van der Bellen a tiré parti de cette tendance, mais le pays reste polarisé entre deux visions du monde : une ouverte et pro-européenne ; l’autre nationaliste, qui promet des frontières fermées et qui rejette l’UE.

Entre les deux tours, Van der Bellen a récolté les votes libéraux et sociaux-démocrates, tandis que les électeurs chrétiens-démocrates se sont divisés en deux , selon une analyse publiée par la télévision publique. Contrairement à la France, il n’y a pas en Autriche de tradition du “front républicain” qui ferait barrage à l’extrême droite. Malgré le soutien de plusieurs personnalités politiques, aucun des partis traditionnels n’a formellement soutenu le candidat écologiste : le FPÖ pourrait très bien arriver en tête des prochaines législatives, et les deux partis pourraient envisager une coalition pour rester au pouvoir.

C’est passé quasiment inaperçu dans les médias européens, mais l’Autriche a un nouveau chancelier. Le social-démocrate Christian Kern a entamé son mandat entre les deux tours de la présidentielle en s’en prenant à la politique ronronnante de ses prédécesseurs. Il a appelé de ses vœux la fin de la politique “assoiffée de pouvoir et à ”. “Les deux grands partis pourraient même disparaître”, a-t-il déclaré, “et ce serait probablement pour de bonnes raisons.”

La défaite de l’extrême droite cette fois-ci représente peut-être le dernier avertissement aux partis centristes, non seulement en Autriche, mais dans toute l’Europe. L’Autriche frôle le plein emploi et ne connaît pas de problèmes majeurs. Raison de plus pour prendre le vote au sérieux.

L’Autriche ne s’est pas réveillée xénophobe d’un jour à l’autre. Le pays n’est pas raciste à 50 %. Les événements récents ont contribué à ce que l’extrême droite atteigne des scores records ; mais la crise des réfugiés ne doit pas servir d’excuse pour continuer comme si de rien n’était. Lors de sa première allocution, Van der Bellen a appelé à l’unité, au dialogue et à la raison : “nombreux sont ceux apparemment dans ce pays qui ont le sentiment de ne pas être entendus ou vus. Nous avons besoin d’une autre forme de politique, qui n’est pas concentrée sur elle-même, mais sur les véritables peurs”, a-t-il déclaré.

Le message selon lequel les électeurs sont de plus en plus lassés des partis traditionnels et tentés par les discours populistes, extrémistes, simplistes et xénophobes, devraient être entendus en Autriche et à travers l’Europe. Et vite.

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