Un soldat de l'armée britannique en patrouille à Kaboul (AFP)

Trop douce dans un monde sans pitié

Tandis que les budgets militaires de la Chine, de la Russie, des Etats-Unis ou de l'Inde ne cessent d'augmenter, celui de l'Union européenne stagne depuis dix ans. La capacité d'influence de l'Europe à l'échelle mondiale s'est construite sur le "soft power", au détriment d'une vraie politique de défense commune, regrette El País.

Publié le 27 juillet 2009 à 15:52
Un soldat de l'armée britannique en patrouille à Kaboul (AFP)

Le mois de juillet a été très éprouvant pour les troupes britanniques engagées en Afghanistan. La mort de 19 soldats en trois semaines, causée pour la plupart par des engins explosifs, a relancé le débat à Londres. Les troupes du Royaume-Uni sont-elles bien équipées ? La polémique qui agite le pays, première puissance militaire européenne avec la France, soulève une question fondamentale à l’échelle du continent : quel est l'état des forces européennes ? Correspondent-elles à nos prétentions de puissance mondiale ? Les statistiques en matière de dépenses militaires apportent une réponse sans équivoque : alors que toutes les grandes puissances mondiales ont fortement augmenté leur budget militaire durant la dernière décennie, l’Europe dépense aujourd´hui autant qu’il y a dix ans. La force militaire européenne s’affaiblit donc de jour en jour.

Les faits sont sans appel. De 1999 à 2008, la Chine a augmenté ses dépenses militaires, en termes réels, de 194%, la Russie de 173%, les Etats-Unis de 66% et L’Inde de 44%. Sur la même période, le budget français a augmenté de 3%, l’italien de 0,4%, et l’allemand a diminué de 11%. En raison de son implication en Irak et en Afghanistan, les dépenses militaires du Royaume-Uni ont grimpé de 20%. Le continent dans son ensemble enregistre donc une augmentation de 5%, selon les chiffres du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), l'Institut international de recherche pour la paix, basé à Stockholm.

"Les dépenses militaires sont stimulées par trois facteurs de base", explique Samuel Perlo-Freeman, chercheur au SIPRI. "Un engagement dans des conflits armés, comme c'est le cas des Etats-Unis ; des ambitions de puissance militaire mondiale comme en Chine ou en Russie ; ou une croissance économique forte qui facilite l’augmentation de ces dépenses. Aucun de ces facteurs n'existe en Europe. Les pays du Vieux continent ont donné la priorité à des objectifs pour lesquels ils ne considèrent pas nécessaire ou utile de développer leur puissance militaire".

La capacité d’influence de l’Europe à l’échelle mondiale dépend de plus en plus de ce qu’on appelle le soft power, qui repose sur sa puissance économique et commerciale, son influence culturelle et ce mélange attractif de liberté de marché et de protection sociale. Néanmoins les faits nous rappellent que les concurrents sont féroces, dans un monde bien moins apaisé que celui dont rêvent les partisans du soft power. Un monde dans lequel le hard power compte autant que lorsque Staline, interrogé sur ses relations avec l’Eglise catholique, avait ironiquement répondu : "Le pape ? Combien de divisions ?"

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"L’Europe n’a pas suivi le rythme de croissance des autres puissances. C’est assez préoccupant", observe Yves Boyer, directeur adjoint de laFondation française pour la recherche stratégique. "Si nous voulons éviter une Europe condamnée à la décadence, les gouvernements doivent lui donner des moyens dans les secteurs industriel, culturel, diplomatique, mais aussi militaire. Même si l’opinion publique n’est pas d’accord, les gouvernements ont le droit d’agir dans l’intérêt stratégique d’un pays".

On observe pourtant une stagnation des dépenses militaires ces dix dernières années, et les estimations pour les prochains budgets ne semblent pas inverser la tendance. De plus, la crise économique mondiale réduit encore la marge de manœuvre. "En dépit du ralentissement des investissements qui nuit à la disponibilité de matériel, poursuit Yves Boyer, l’Europe garde encore l’avantage en matière de savoir-faire. Mais même le savoir-faire nécessite des moyens pour perdurer, et la spirale actuelle peut être dangereuse."

Pour avoir un ordre de grandeur, le budget militaire additionné des cinq principales puissances militaires européennes (la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne) équivaut à 40% de celui des Etats-Unis, malgré une population égale et un PIB presque équivalent (il est en réalité légèrement inférieur). D’un autre côté, il est évident que la somme des dépenses militaires relève plus d’une réalité arithmétique que politique. Même si l’élection de Nicolas Sarkozy - et son rapprochement avec l’OTAN et les Etats-Unis - a posé les premiers jalons du développement d’une défense européenne commune, il n’y a en réalité aucune avancée significative en la matière. L’effort militaire européen continue d’être fragmenté tandis que pointent à l’horizon des entités nationales homogènes et de plus en plus armées.

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