La BCE dans le piège italien

Confrontée au risque d’un défaut de paiement de l’Italie, la Banque centrale européenne avait soutenu Rome, qui s’était engagée à adopter en urgence un plan d’austérité. Mais les hésitations du gouvernement Berlusconi menacent à présent la crédibilité de la BCE.

Publié le 6 septembre 2011 à 14:28

Il y a un mois, l’écart entre les bons du trésor pluriannuels italiens et les Bund allemands a atteint 413 points de base (c’est-à-dire 4,13%). Sans l’intervention immédiate de la Banque centrale européenne (BCE), le gouvernement italien risquait de perdre l’accès au marché économique, et donc d’être en cessation de paiement.

C’est pour cette raison que Trichet a écrit à Berlusconi : dans cette fameuse lettre, la BCE s’engageait — dit-on — à acquérir des titres italiens en échange d’une opération de la part de notre gouvernement afin d’anticiper l’équilibre budgétaire pour 2013 et de relancer la croissance.

L'intervention de la BCE reposait sur l’hypothèse selon laquelle le marché - excessivement pessimiste - mettait en doute les capacités du gouvernement italien à rembourser ses dettes et à relancer la croissance. Cette lettre d’intention avait pour but de rendre plus crédible l’action du gouvernement italien. Associée à quelques achats stratégiques sur le marché secondaire, elle pouvait stabiliser la situation.

Les conséquences des luttes intestines

Toutefois, une condition était nécessaire pour le succès de cette intervention : le gouvernement italien devait pouvoir approuver rapidement un plan d’ajustement adéquat. Bien qu’élevés, les achats de titres italiens par la BCE n’étaient qu’un palliatif. En effet, même si elle effraie les spéculateurs, la BCE peut réduire leur pression. Toutefois, ces bénéfices sont temporaires. Car si la situation réelle ne change pas, les conséquences de cette intervention s’évanouissent presque aussitôt.

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C’est du reste ce qui s’est passé. L’intervention de la Banque centrale européenne et la présentation immédiate d’une nouvelle, et plus ambitieuse, opération de la part du gouvernement italien ont fait descendre provisoirement l’écart en dessous des 300 points. Ce n’était cependant qu’une pause, pas un tournant définitif. Le marché voulait être certain de pouvoir encore croire à la nouvelle opération du gouvernement italien.

Malheureusement, les luttes intestines au sein du gouvernement ont eu des répercussions négatives. La Banque centrale européenne espérait qu’il suffirait de dicter ses conditions pour inciter le gouvernement italien à faire ce qu’il aurait dû faire depuis début juillet. Ses espoirs n’étaient pourtant que des voeux pieux. Rassuré par la diminution des écarts, le gouvernement italien a commencé lentement à faire marche arrière. La suppression des provinces [départements] a été abolie, la "contribution de solidarité" a été évincée, et la portée de l’ensemble de l’opération a été fortement atténuée.

La Banque centrale européenne se trouve dès lors face à un dilemme. Si elle veut favoriser le processus d”intégration européenne, elle doit punir l'Italie, ou, du moins, son gouvernement qui n’a pas maintenu sa parole. La faisabilité d’une union fiscale, avec tous les transferts que cela engendre, repose sur la capacité des institutions européennes à contrôler les gouvernements nationaux excessivement dépensiers. Sans cette mesure de contrôle, les transferts ne feraient que prolonger la crise financière des gouvernements nationaux, sans la résoudre. Continuer à soutenir l’Italie alors qu’elle n’a pas tenu sa promesse anéantit toute crédibilité future, et met donc en péril l’avenir de l’Union européenne.

La BCE victime du gouvernement Berlusconi

Cependant, la BCE sait pertinemment que, si elle abandonne maintenant l’Italie à son destin, cela signifie la fin de l’euro. En poussant le gouvernement à faire son devoir, la BCE a dévoilé son manque de fiabilité, en aggravant paradoxalement son image. C’est pour cela qu’il est posisble que, demain, même avec les achats de la BCE, les écarts repartent à la hausse.

Naturellement, sans le soutien de la BCE, la situation serait bien plus grave encore que celle du 5 août. Même si le Mécanisme européen de stabilité financière (MESF) décidait d’intervenir, elle n’aurait pas assez de ressources pour le faire. En outre, même si elle était soutenue par une volonté politique, elle n’aurait pas le temps de faire voter à tous les parlements européens l’augmentation de la dotation du MESF.

Si la BCE abandonne l’Italie, la Péninsule -— et, par conséquent, les banques italiennes qui détiennent d’importantes quantités de titres publics — se retrouverait presque inévitablement en cessation de paiement. Cette crise se propagerait aisément vers les banques françaises et allemandes, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer. L’euro survivrait difficilement à ce scénario. En d’autres termes, punir le gouvernement italien serait tellement catastrophique que la Banque centrale européenne ne peut vraisemblablement même pas le menacer.

Et, comme elle ne peut pas le faire, elle perd sa crédibilité. Elle pensait pouvoir contrôler facilement le gouvernement italien. Paradoxalement, elle en est aujourd’hui la victime. Quelle est donc l’issue de ce dilemme ? Il faudrait que notre parlement punisse le gouvernement italien pour son inaptitude. Ce n’est pas tant une question de majorité que de capacité et de crédibilité de l’action du gouvernement. Soit on change, soit on sort de l’Europe.

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