Le stockage des déchets, un sujet radioactif

A Cernavodă, près de la Mer noire, fonctionne depuis 1996 l’unique centrale atomique du pays. Mais l’implantation d'un nouveau centre de stockage des déchets radioactifs suscite l’inquiétude des habitant qui craignent une catastrophe.

Publié le 8 septembre 2011 à 15:12

C'est un village ordinaire de la Roumanie profonde, avec ses routes poussiéreuses, dépourvu de réseau de distribution d'eau et d'un éclairage public digne de ce nom. Situé dans le sud-est du pays, à proximité de la mer Noire, Saligny s'apprête à accueillir, dans son sous-sol calcaire, les déchets radioactifs de la centrale nucléaire de Cernavodă, à une dizaine de kilomètres de là.

Le 2 août, la mairie a donné son feu vert au projet de l'Agence nucléaire pour les déchets radioactifs (ANDR), mais le souvenir de l'accident de la centrale japonaise de Fukushima tourmente les paysans. "Nous avons une véritable bombe à côté du village, s'insurge Florin Gheorge, un habitant de Saligny. Si quelque chose arrive aux deux réacteurs de Cernavodă, ce sera pire qu'au Japon."

Le maire, Gabriel Tatulescu, ne partage pas les inquiétudes des villageois. "Nous allons bénéficier de beaucoup d'avantages : des routes, l'eau courante, le tout-à-l'égout et l'éclairage, souligne-t-il. Nous n'allons pas céder facilement, mais négocier pour obtenir un maximum d'équipements pour la commune. De toute façon, j'ai l'intention d'organiser un référendum dans le village."

Cernavodă produit 20% de l'électricité du pays

Malgré sa pauvreté, le village est fier du nom qu'il porte et de son histoire : Anghel Saligny, un pionnier des ponts et chaussées de la fin du XIXe siècle, a construit, à Cernavoda, un pont sur le Danube qui a gardé sa splendeur passée. Son père, Alfred Saligny, était un Français venu d'Alsace pour s'installer en Roumanie comme pédagogue. Le fils allait y révolutionner la construction des ponts, avant d'être nommé ministre des travaux publics, en 1910. A cette époque, la Roumanie connut un essor économique considérable, seulement stoppé, après la seconde guerre mondiale, par l'avènement du régime communiste.

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C'est dans la ville de Cernavoda que le dictateur Nicolae Ceausescu avait décidé de construire, dans les années 1980, une centrale nucléaire. Contrairement aux autres pays du bloc communiste, désireux de produire leur énergie grâce au nucléaire, il avait refusé toute coopération avec Moscou et s'était tourné vers les Canadiens et la technologie de type Candu, à base d'uranium non enrichi et d'eau lourde pressurisée.

A plus long terme, cette technologie devait permettre à la Roumanie de se doter de la bombe atomique. Mais la chute du régime communiste, en 1989, et l'exécution de Nicolae Ceausescu mirent fin à cette perspective.

A Cernavoda, le chantier des cinq réacteurs de la centrale fut abandonné, alors que la Roumanie connaissait une longue transition économique et politique aggravée par les pénuries. Ce n'est qu'en 1996 que le premier des cinq réacteurs entra en fonction. Le deuxième suivit en 2007. D'une puissance de 750 mégawatts chacun, ils assurent aujourd'hui 20 % des besoins énergétiques du pays.

Si les résidus les plus radioactifs sont gardés dans l'enceinte de la centrale, les autres produits contaminés se sont accumulés et leur stockage est devenu un problème. L'ANDR a sillonné 37 villages autour de Cernavoda afin de trouver l'endroit approprié pour accueillir les déchets de la centrale. Les experts ont conclu que le village de Saligny réunissait toutes les conditions requises. Un terrain d'une quarantaine d'hectares a été choisi pour abriter, sur trois niveaux, 64 cellules en béton. Le site devrait ouvrir en 2019. Sa capacité lui permettrait d'accueillir des déchets radiocatifs jusqu'en... 2110.

La première étape du projet sera dotée de 180 millions d'euros, l'Etat prévoyant un budget total de 340 millions d'euros pour la construction du dépôt souterrain. "Nous avons besoin de l'accord de la population et nous allons organiser des débats, assure Ion Nastasescu, le directeur de l'ANDR. Les gens doivent comprendre qu'il s'agit d'un projet robuste et sûr. Nous n'allons pas laisser aux générations futures un site dangereux."

La porte ouverte aux Chinois

Mais le projet ne fait pas l'unanimité dans le village. "Je ne suis pas d'accord, lance Mircea Ion, un habitant. Nous avons déjà assez de problèmes avec la centrale. Nos arbres ne font plus de fruits, nos jardins ont été abîmés et nos enfants sont affectés. Qu'ils aillent au diable, avec leur dépôt radioactif !"

Malgré la catastrophe de Fukushima, les autorités roumaines ne veulent pas remettre en question le vaste programme nucléaire prévu pour les décennies à venir. Le gouvernement roumain projette de construire deux nouveaux réacteurs à Cernavoda, grâce à un partenariat public-privé portant sur 4 milliards d'euros.

Mais, en janvier, trois des cinq sociétés qui s'étaient associées à ce projet - GDF-Suez, l'allemande RWE et l'espagnole Iberdrola - s'en sont retirées. Entre-temps, Bucarest a ouvert la porte à des investisseurs extérieurs à l'Union européenne. La compagnie chinoise Guangdong et le consortium coréen Korean International Nuclear ont déjà manifesté leur intérêt.

A terme, la Roumanie compte se doter d'une seconde centrale, située dans le centre du pays. Les futurs déchets seraient également stockés à Saligny. L'opposition des habitants ne semble pas de nature à faire reculer le gouvernement.

Vu de Roumanie

"Nos veaux seront gros comme les hangars…"

"Désunion totale à Saligny", déplore Evenimentul Zilei. "Entre ceux qui disent qu'ils n'ont pas peur et ceux qui pensent que les veaux deviendront grands comme leurs hangars à cause des radiations, rien ne va plus. Saligny va bientôt imploser". Les discussions au village, portent toutes sur le même sujet : accepter ou pas le centre de stockage de déchets nucléaires de la centrale de Cernavoda. Si pour Ion Antohie, ancien technicien à Cernavoda, "le danger n'est pas dans les déchets", pour d’autres, le dépôt ne ferait qu’empirer les choses. La construction du centre de Saligny était prévue depuis l’époque communiste et elle avait reçu le feu vert de l’Agence Internationale pour Energie Atomique. Mais malgré cela, explique le quotidien de Bucarest, l’Agence atomique roumaine pour les déchets radioactifs, qui devra gérer le site, ne possède toujours pas tous les documents, “juste un maigre certificat d'urbanisme, qui doit par ailleurs être accompagné par l'accord des villageois !" note "EVZ".

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