Thomas Nicholson : “Le scandale de corruption en Slovaquie est un bien pour la démocratie”

Publié le 14 mars 2012 à 14:34

Thomas Nicholson est l’homme qui a ébranlé la Slovaquie. Pendant des années, ce journaliste d’investigation canadien qui réside en Slovaquie a tenté de rendre public l’affaire "Gorille” sur la corruption de la classe politique dans le pays. Personne ne lui a prêté attention, jusqu’au début de l’année, quand les documents que lui avait transmis un agent des services secrets ont fait surface sur Internet. Le dossier a eu un impact retentissant sur les législatives du 10 mars. “Les politiques auront de plus en plus de mal à continuer de se livrer à la corruption,” nous a déclaré Nicholson dans un café de Bratislava au lendemain des élections.

Certains disent que “le Gorille” a poussé plus de gens dans les bras du social-démocrate Robert Fico. Que pensez-vous du retour de Fico au pouvoir ?

Je suis surpris du peu d’effet qu’a eu l’affaire du Gorille surces élections. On s’attendait à une participation plus faible parce que les gens étaient censés avoir perdu foi dans la démocratie ; la droite devait être totalement détruite, parce que c’est surtout elle qui est touchée par ce scandale de corruption. Elle était au pouvoir quand ça a eu lieu, mais en fait, on a eu la plus forte participation depuis 2002 (60 %). La droite a été battue, mais elle se voit offrir une deuxième chance.

Il y a beaucoup de points positifs dans ces élections. Tout d’abord, les nationalistes ne sont pas revenus au Parlement. Et enfin, nous avons Fico, et un gouvernement d’un seul parti qui n’aura aucune excuse, personne sur qui rejeter la corruption ou l’échec, ni les nationalistes, ni les populistes. C’est une bonne recette pour un meilleur gouvernement que la dernière fois qu’il a été au pouvoir [2006-2010].

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Je crois que l’un dans l’autre, la droite, même si elle pris une leçon, s’en tire mieux que ce qu’elle aurait pu espérer dans ces élections. Les gens en ont assez de l’instabilité, des querelles idiotes et de l’incapacité à parvenir à un compromis. Le Gorille n’a pas grand-chose à y voir, en fin de compte. Les gens se sont lassés. Fico lui-même n’a rien d’un ange, mais comparé à la droite, il incarne la stabilité, et c’était ce que voulaient les gens.

Apparemment, Fico serait cité dans le dossier Gorille. Pensez-vous que l’enquête se poursuivra sous le deuxième gouvernement Fico ?

Fico n’est pas directement menacé par le Gorille, mais son parti l’est. Manifestement, son directeur de cabinet se serait trouvé dans l’appartement incriminé [où des hommes politiques rencontraient les représentants du groupe financier Penta et qui avait été mis sur écoute par les services secrets. Les enregistrements constituent l’essentiel du dossier Gorille], il aurait accepté de l’argent de Penta pour financer son parti, Smer. Il est très difficile de savoir s’il va ou non soutenir l’enquête. Ce dossier suscite une grande colère dans l’opinion publique, colère qui s’étend à tout le spectre politique. S’il veut marquer des points, il a intérêt à donner l’impression qu’il soutient l’enquête. Mais on sait comment fonctionne la politique. Il peut facilement tout arrêter. Le dossier a été enterré en 2006 par Josef Magala, le chef du SIS, les services secrets slovaques, et quand la police en a hérité sous Fico, elle n’en a absolument rien fait. Donc, il est probable qu’il ne soit pas très enthousiaste à l’idée de l’enquête.

Pensez-vous que grâce aux révélations sur un tel scandale, la Slovaquie va devenir un pays plus démocratique ?

Oui. Ça peut avoir l’air naïf, mais j’ai des raisons concrètes de le penser. Je ne crois pas qu’il soit désormais possible pour un quelconque groupe financier de faire des affaires avec le gouvernement ou les politiques, à l’avenir, les relations de ce genre seront synonymes de grand danger pour la classe politique.

Conséquence de cette enquête sur le Gorille, beaucoup d’initiatives se sont déjà lancées, axées sur la transparence et la clarté en politique. J’en suis un bon exemple. Je vais sans doute quitter le journalisme pour monter un site Internet qui servira de base de données sur les connexions entre la politique, les groupes financiers et le crime organisé. Les électeurs pourront y avoir publiquement accès, surtout à l’approche de la prochaine échéance électorale. Nous allons voir naître toutes sortes d’initiatives de ce genre dans les quatre prochaines années.

Le fait de savoir comment fonctionne la corruption donne davantage de pouvoir au public, ces informations sur l’oligarchie, les politiques, les hauts fonctionnaires, comment ils fonctionnent. L’important, c’est que les gens soient au fait de ces liens. Aucun groupe gouvernemental ne fournit ce genre d’informations. Tout cela bouleverse l’environnement qui existait auparavant. Les politiciens auront de plus en plus de mal à continuer de se livrer à la corruption.

Un tribunal de Bratislava a interdit la publication de votre livre sur le Gorille. Mais vous avez commencé à en publier quand même des passages dans les journaux. Le groupe Penta, considéré comme un requin financier qui chasse dans les eaux d’Europe Centrale, vous poursuit en justice. Pensez-vous que vous pouvez l’emporter contre eux ?

L’acte d’accusation contre moi fait 500 pages. Mais en même temps, ils ne peuvent s’appuyer sur rien. Ces gens-là, quand ils ne peuvent pas acheter quelqu’un ou lui faire peur, ils se retrouvent à court d’idées parce qu’ils ne connaissent que ça. Si l’on ne tient pas compte de l’inconfort personnel lié au fait d’être menacé par ces gens-là, je n’ai pas besoin d’argent, ni d’être célèbre, de rien, à vrai dire. Et je n’ai rien à perdre. Comme l’a dit Janis Joplin il y a longtemps : la liberté n’est qu’une autre façon de dire que l’on n’a rien à perdre. Je ne me soucie pas vraiment de leur procès. J’ai la maison d’édition Petit Press qui me représente. Peu importe que le tribunal penche en ma faveur ou contre moi, parce que Penta a perdu devant le tribunal de l’opinion publique et je crois qu’ils ne font plus peur à personne. Donc, quoi qu’ils puissent gagner, en termes de pression financière sur ma maison deux fois hypothéquée, grand bien leur fasse.

Propos recueillis par Martina Buláková

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