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La démocratie peau de chagrin ?

Publié le 13 septembre 2012 à 09:59

Face à la paralysie des responsables nationaux, ce sont d’autres structures — Banque centrale européenne, Cour constitutionnelle allemande, Cour de justice européenne — qui ont pris le relais dans la conduite des affaires européennes. Une entorse à la démocratie qu’il est urgent de réparer, estime un politologue français.

Peut-on mieux dire le paradoxe actuel de la démocratie européenne qu’en relevant que son sort a été, ces jours-ci, suspendu aux décisions du conseil de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Cour constitutionnelle allemande ? Au moment où les dirigeants politiques européens, désormais convaincus de leur impuissance, voire de leur illégitimité, à gagner la "bataille de la crédibilité" des Etats face aux marchés, consentent à se dépouiller de leurs marges de manœuvre au profit d’organes "indépendants" et de procédures de sanction automatiques (le fameux traité de stabilité), juges (nationaux et européens) et banquiers centraux jouent ainsi les premiers rôles dans la conduite quotidienne des affaires européennes.

Mieux, par une forme d’inversion symbolique, ce sont désormais les "indépendants" qui occupent le terrain du débat sur l’avenir de l’Union politique déployant leur champ d’intervention bien au-delà de la seule légitimité fonctionnelle qu’ils tiennent de leur mandat initial. Ainsi, de la défense de la "stabilité des prix", les dirigeants de la BCE sont rapidement passés à la revendication de "réformes structurelles" (marché du travail, modération salariale, etc…) pour s’inviter plus récemment au cœur même des discussions sur l’architecture de la future union politique…

Quand ce n’est pas directement dans l’écriture des futurs traités eux-mêmes qu’il s’agit, comme c’est le cas actuellement avec la mission assignée au groupe dit des "4 sages" (présidents respectivement du Conseil européen, de la Commission, de l’Eurogroupe et … de la BCE). Ironie suprême, ces "indépendants" n’hésitent plus à interpeller les Etats sur leurs obligations démocratiques : le président de la Bundesbank Jens Weidmann comme celui de la BCE Mario Draghi n’ont-ils pas dit à plusieurs reprises la nécessité de maintenir une certaine place à la "responsabilité démocratique" dans les nouveaux dispositifs institutionnels ; la Cour constitutionnelle allemande ne s’est-elle pas plusieurs fois posée en dernier rempart pour la défense du Parlement national ? etc…

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Tout concourt en somme à marquer, malgré deux décennies de renforcement volontariste des pouvoirs du Parlement européen, la grande précarité de la légitimité démocratique dans l’Union et l’assise solide des institutions de l’apolitique, tribunaux, banques centrales, agences ou autorités, etc... La chaîne de délégation qui va des pouvoirs démocratiquement élus aux institutions "indépendantes" ne cesse ainsi de s’allonger.

Difficile, du coup, de faire sienne l’assurance d’un José Manuel Barroso qui estimait encore en juin dernier à l’occasion du sommet du G20 que "l’Europe n’avait pas de leçon de démocratie à recevoir" des pays émergents. Quiconque entend "réorienter le cours de la construction européenne" ferait mieux de partir du constat, plus réaliste, d’une démocratie européenne en forme de peau de chagrin. Dès lors, la seule introduction de l’élection directe du président de la Commission – le mot d’ordre de la diplomatie allemande — ne saurait suffire à impulser un nouvel élan démocratique à l’ensemble politique européen. Elle pourrait même s’avérer être une nouvelle chimère européenne si elle s’accompagnait – comme le souhaitent ardemment les conservateurs allemands — de la concession de nouveaux pouvoirs à la Banque centrale et à la Cour de justice.

La refonte de l’Union politique devra en fait prioritairement s’atteler à inventer de nouvelles formes de liens démocratiques avec ces institutions "indépendantes". Il n’est sans doute plus temps de rogner sur leur sphère de compétence, mais plutôt de repenser les deux piliers sur lesquels on a jusqu’ici assis leur autorité : une certaine idée de leur indépendance conçue comme mise à distance des intérêts en présence d’une part, et une certaine prétention à l’objectivité scientifique de leurs diagnostics et verdicts d’autre part.

Concernant le premier point, l’introduction d’une forme de représentation des partenaires sociaux et minorités politiques permettrait d’assurer une authentique "indépendance", en évitant que ces nouveaux espaces de la politique européenne ne soient pas accaparés par un groupe, un camp ou une idéologie. Ce pluralisme est seul en mesure d’ouvrir les controverses indissociablement techniques et politiques qui élargiront le périmètre du débat au-delà du seul cercle des économistes ou des juristes : c’est le second point. Parce qu’ils contrôlent encore la nomination des membres de ces institutions, les gouvernements ont encore les moyens d’ouvrir ces boîtes noires ; c’est à cette condition que les institutions démocratiques européennes – Parlement européen en tête — ne deviendront pas de simples trompe-l’œil.

Illustration de Gorilla.

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