Idées L'UE et les Etats-Unis

La tentation d’union transatlantique, une mauvaise idée ?

Avec l’intervention d’Obama condamnant le Brexit et la remise au goût du jour du TTIP ou TAFTA, les perspectives d’établissement de liens plus étroits avec les États-Unis, ainsi qu’avec le Canada (un traité de libre-échange entrera en vigueur autour de 2017) vont de plus en plus dans le sens d’une union transatlantique sur le plan économique. Pourtant, cette tentation, manifestée à Berlin par Angela Merkel, n’est que le symbole de l’incapacité de l’Union Européenne à être une force unie, autonome et souveraine.

Publié le 11 mai 2016 à 15:49

Face aux crises multiples que traverse l’Union Européenne, plusieurs tentations refont surface. Si le rapprochement avec la Russie reste heureusement hors de question avec Vladimir Poutine au pouvoir, le rapprochement des États-membres avec les États-Unis redevient actuel. Cela prouve bien la faiblesse du projet européen aujourd’hui, dont les États-membres se détournent de plus en plus : fermeture des frontières, négociations bilatérales (avec la Turquie) sans intégrer l’exécutif européen, certes peu légitime, comme à Hanovre.

Un combat entre une intégration plus aboutie et une union transatlantique

Pourtant, une plus forte intégration européenne devrait être privilégiée à une union transatlantique. Contrairement à ce que disent tous les eurosceptiques, une plus grande intégration ne signifie pas une perte de souveraineté. La souveraineté économique, la plupart des États l’ont déjà vu fortement diminuée, même si les politiques économiques restent du ressort de l’État, elles n’ont plus le même impact qu’autrefois. L’indépendance diplomatique et militaire des États est aussi contestable.

L’influence des marchés financiers, la dépendance au pétrole du Moyen-Orient et au gaz Russe, la mondialisation des échanges et le changement de l’équilibre géopolitique (une part significative de la dette européenne est détenue par la Chine) vont dans le sens d’une intégration toujours plus aboutie. Mais comme les États-membres s’en détournent, ils préfèrent regarder de l’autre côté de l’Atlantique.

La volonté de coopérer entre l’Europe et les États-Unis perdurera, car elle existe depuis longtemps. Mais un traité de libre-échange comme le TAFTA, qui pousse de plus en plus vers une union transatlantique (entre l’ALENA et l’UE), ne procurera pas un gain économique suffisant comparé à la perte de souveraineté engendrée. La souveraineté des États-nations en Europe est déjà fortement amoindrie, et le rejet d’un transfert de ce qui l’en reste vers l’UE est compréhensible, mais une union transatlantique aurait des effets dévastateurs. Ce serait une perte de souveraineté pour tous, y compris pour l’Europe, qui devrait rester unie plus que jamais.

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Si une Europe unie économiquement les intéresse, les États-Unis n’ont aucun intérêt à voir une Europe forte (qui semblait déjà bien loin), concurrent premier dans le village global qu’est le monde. Être le pilier des États-Unis (tout comme être son ennemi) n’a jamais été le premier but de la construction européenne, au contraire animée par une volonté d’indépendance. Pourtant, les États-membres, rejetant parfois cette union qu’ils ont créée avec leurs peuples, cherchent un allié dans la mondialisation économique, en pensant sûrement que cela leur permettra de “retrouver” leur souveraineté tout en développant leur économie.

Les effets pernicieux d’une Union Transatlantique

Mais il s’avère qu’une union transatlantique aurait plusieurs effets dévastateurs (pour bien préciser, je ne parle pas ici du TAFTA particulièrement, mais plus généralement d’une potentielle union plus aboutie avec l’Amérique du nord).

Tout d’abord, au niveau économique. Il ne faut jamais oublier que l’UE est le refuge de mesures plutôt libérales. Mais ces mesures libérales s’inscrivent à l’intérieur du marché commun. Deux tiers des échanges réalisés par l'UE se font entre ses États-membres, l’Union Européenne n’a jamais eu intérêt à ouvrir complètement ses frontières, et elle ne l’a d’ailleurs jamais fait. Le principe de précaution, les taxes douanières sur certains produits importés (produits agricoles, multiples produits faisant l’objet de dumping comme les panneaux photovoltaïques chinois) et les subventions (agricoles notamment) le prouvent.

Une union transatlantique serait dévastatrice de ce point de vue. Ce que les eurosceptiques n’ont pas compris, c’est que les économies nationales sont trop fragiles. On y a remédié avec l’euro, ce qui n’est pas suffisant puisque les politiques économiques ne sont pas accordées. Les États-Unis ont une politique économique unique, axée sur des ressources naturelles nombreuses, une monnaie mondiale, une puissance géopolitique et diplomatique cohérente et forte, le tout protégé par un protectionnisme “à l’américaine”, notamment sur les marchés publics. L’UE est faible, une union transatlantique ne ferait que l’affaiblir, et affaiblirait encore plus les États-membres.

Ensuite, au niveau politique et diplomatique. Une union transatlantique serait une manière d’affaiblir une potentielle convergence des intérêts diplomatiques européens, contraire aux volontés de Washington. Une Europe diplomatique, forte, cohérente et unique serait à contre-courant de la suprématie américaine sur les affaires mondiales. Le pays de l’Oncle Sam ne veut pas d’une Europe politique unie, qui pourrait étendre son influence sur le pourtour méditerranéen, en devenant, par exemple, l’interlocuteur numéro un du conflit israélo-palestinien ou des conflits en Afrique, tout en restant un allié des États-Unis.

En cela, le discours d’Obama sur le Brexit est un peu hypocrite. La volonté britannique de toujours vouloir élargir l’UE, de rester un partenaire particulier des États-Unis et de refuser l’Europe politique a toujours permis d’affaiblir l’union des pays du Vieux Continent. Si une Europe à deux vitesses n’est pas créée et que le Royaume-Uni reste dans l’UE, l’union transatlantique sera une solution pour les États-membres, ne voyant pourtant pas que leur influence diplomatique s’érode, telle une falaise s’affaissant sous les assauts de vagues déferlantes, celles de la mondialisation, à la fois bénéfique et handicapante pour notre développement.

Enfin, du point de vue idéologique. Une union transatlantique ne serait pas tournée vers le futur. Une nostalgie de la guerre froide anime, d’une certaine manière, la perspective d’une union transatlantique. Une alliance avec les États-Unis, dans un monde dangereux face à un ennemi russe. Si la Russie et ses positions anti-démocratiques peuvent inquiéter, ce n’est plus l’URSS d’autrefois.

Les pays d’Europe doivent prendre leur indépendance, ce qui peut paraitre incompréhensible pour les détracteurs de l’Union Européenne, reprochant justement à la construction européenne de « voler » leur souveraineté. Sauf que cette dernière, sans perdre l’identité culturelle des pays, permet de mettre nos forces en commun pour nous développer dans un monde mondialisé. Une indépendance totale est aujourd’hui impossible. Je préfère une Union Européenne indépendante avec des États-membres respectés mais avec moins de souveraineté qu’une Europe dépendante des États-Unis et des États-membres étouffés par une puissance économique américaine trop forte voire envahissante.

L’étape du TAFTA et la particularité de la construction européenne

Le TAFTA pourrait être la première étape dans la voie menant vers une union transatlantique. Si on en est encore loin et même si ce traité ne sera probablement jamais ratifié par tous dans sa mouture actuelle, la perspective d’union transatlantique demeure toujours un espoir pour certains. Elle amènera forcément un gain de croissance, mais les avantages sont trop peu nombreux par rapport aux inconvénients d’une telle union.

L’Europe et l’Union Européenne doivent rester indépendantes. Une Union transatlantique (déjà un peu en vigueur sur le plan militaire avec l'OTAN) ne doit pas se faire au détriment de la construction européenne, qui pourrait, elle, être garante de cette indépendance, tout en laissant la possibilité aux États-membres de s’exprimer (sur leur appartenance à l’UE par exemple), en informant les citoyens, en laissant du pouvoir aux parlements nationaux.

Il ne faut pas tomber dans l’anti-américanisme. Et il me semble logique de faire perdurer des liens étroits entre nos deux continents. Mais il s’agit ici de comprendre le débat qui anime les pays depuis si longtemps. Depuis l’après-guerre, le monde est marqué par une mondialisation, à la fois heureuse (diversité, progrès), et féroce (concurrence âpre). La réaction des pays fut de s’allier dans des organisations régionales.

Mais la construction européenne va plus loin, elle est particulière, elle est différente des autres organisations régionales, des autres pays. La construction européenne a pour objectif de rallier les peuples derrière des valeurs. Valeurs de démocratie, de paix et de liberté, amenées par des impératifs historiques et une culture commune. Culture commune de la diversité, respectant l’autre, tout en assurant un respect des règles et une solidarité à l’égard de tous. Solidarité qui doit se manifester même dans les moments les plus durs, ne laissant personne au bord de la route, ne laissant personne démunis. Démunis, voilà ce que seront ceux qui veulent partir, ceux qui pensent qu’une alliance transatlantique les préservera.

Qui est satisfait de l’Europe d'aujourd’hui ? Personne. Tout le monde fait le même diagnostic. Pourtant les solutions divergent. Ceux qui ont peur des défis de demain, ceux qui ont peur de l’autre, ceux qui pensent réussir seuls, ceux qui rejettent les racines de l’humanisme européen préféreront partir (ou dénigrer l’UE sans en sortir), mais ils se retrouveront bien seuls.

Faisons l’Europe avant d’envisager une union transatlantique. Notre incapacité à négocier avec les États-Unis comme pour les arbitrages privés ou l’ouverture des marchés publics dans le cadre du TAFTA montre bien que personne n’est prêt. Personne n’est prêt à donner plus de puissance et d’indépendance à l’UE, personne n’est prêt à passer à une intégration plus poussée, personne n’est prêt à être tenu d’être solidaire avec son voisin européen. Mais personne n’est prêt non plus à subir la mondialisation, ni à donner les clefs de son économie, de son agriculture, de son environnement aux États-Unis, personne n’est prêt à abandonner sa souveraineté aux autre pays du monde. Je préfère que nous la donnions à l’Union Européenne, pour le peu qu’il nous en reste.

Cartoon : Alex Falco Chang

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