Antonio Tajani : “Les Européens ont besoin de réponses que les Etats ne peuvent donner seuls”

Publié le 10 mai 2011 à 09:50

Presseurop a interviewé Antonio Tajani, vice-président de la Commission européenne et commissaire à l’Industrie et à l’entreprenariat, à l’occasion du Festival international de journalisme de Pérouse (Italie), en avril dernier.

Presseurop : A l’occasion des révoltes populaires en Afrique du Nord, l’UE a été très discrète, voire absente. Etait-ce bien la peine de créer un Service européen d’action extérieure (SEAE) et de dépenser des millions d’euros pour le mettre en place si, au moment où l’Europe devrait parler d’une seule voix, son chef, Catherine Ashton, est muette ?

Antonio Tajani : Dire qu’on a peu vu Mme Ashton n’est pas correct. On aurait certes du la voir davantage. Le SEAE est encore en phase de construction. Mme Ashton s’est rendue dans les pays où ont eu lieu des mouvements de révolte des changements sont en cours. Mais il faut dire que la Commission européenne a été très présente : [le président José Manuel] Barroso s’est rendu en Tunisie, pour affronter la question de l’émigration et les problèmes qui concernent le Maghreb et la Libye. La commissaire [à la coopération internationale, à l’aide humanitaire et à la gestion des crises Kristalina] Georgieva était en première ligne pour l’action humanitaire ; la commissaire [aux Affaires intérieurs Cecilia] Malmström s’est rendue en Tunisie elle aussi pour discuter des questions d’immigration et moi-même, je suis allé en Algérie pour discuter avec les ministres de l’Industrie de l’Union africaine pour élaborer une stratégie de développement. La Commission a élaboré un document stratégique sur son action en Afrique. On pouvait peut-être faire plus, mais il est vrai qu’on était en pleine phase de structuration du SEAE. Je crois que Lady Ashton a fait son possible pour donner à l’Europe le rôle le plus ample possible, compte tenu des divisions existantes. Car il faut se souvenir que l’Europe, c’est la Commission, mais aussi le Conseil, le Parlement et les Etats membres jouent parfois leur propre partition.

Justement, les Etats-membres suivent leurs propres intérêts. À quoi bon alors parler d’Europe si, dans les moments décisifs, les Etats vont chacun de leur côté ? Cela a-t-il encore un sens de parler de politique étrangère européenne ?

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Il faut la construire, cette politique étrangère. On ne passe pas en 24 heures de la politique étrangère nationale à celle européenne d’un coup de baguette magique. C’est un changement de stratégie qui comporte aussi que les Etats membres, qui ont leur propre diplomatie, leurs propres intérêts, s’habituent à ce qu’en politique étrangère aussi, ils se sentent représentés plus par une voix européenne que par leur diplomatie. De même, nous devrions avoir une défense commune, nous en sommes tous convaincus ; mais ça aussi, cela prendra du temps, car les deux politiques sont liées : l’intervention militaire est un des instruments de la politique étrangère. Par rapport à ce qu’elle était il y a dix ans, la politique étrangère de l’UE a fait des pas en avant.

À propos de défense commune, pensez-vous que l’attitude des pays membres sur la Libye, où Paris et Londres ont pris l’initiative de l’intervention militaire, alors que Berlin s’y opposait, va dans la bonne direction ?

Elle démontre qu’une politique commune de la défense est nécessaire, car, tant que nous ne l’avons pas, les Etats membres agiront sur la base de leurs intérêts, qui ne coïncident pas forcément avec ceux de l’Europe, ou sur la base de choix certes légitimes, mais qui ne sont pas l’expression de l’Union. A l’ère de la mondialisation, ou bien nous nous rendons compte que la compétition est globale, ou bien nous nous contenterons d’en être des acteurs de second plan. L’Europe a un sens si on se rend compte que les citoyens ont besoin, à l’ère de la mondialisation, de réponses que les Etats membres ne peuvent donner seuls. C’est cela, faire les intérêts des citoyens.

Justement, les citoyens…récemment, l’essayiste et philosophe allemand Hans Magnus Enzensberger a publié un ouvrage, "Le doux monstre Bruxelles", dans lequel il reproche en particulier aux institutions européenne de souffrir d’un grave déficit démocratique, un Léviathan composé de personnes non élues et qui décident ce qui est bon pour les citoyens sans les consulter. En tant que commissaire européen, avez-vous conscience de ce déficit et de cette perception ?

Une partie de l’ambiguïté repose sur les mots : si les commissaires européen s’appelaient simplement ministres et les directives ou autres règlements — même à Bruxelles on a du mal à les distinguer — des lois, leur rôle serait plus clair parmi la population. Certes, les commissaires ne sont pas élus par les citoyens, mais leur nomination est soumise au vote du Parlement européen, au terme d’une audition préventive. Puis, la Commission doit obtenir la confiance du Parlement. Et les commissaires sont responsables face à l’assemblée. Il est vrai que parfois il y a des excès de la bureaucratie européenne, mais elle doit rester l’instrument pour des politiques au service des citoyens. Et non l’inverse. Pour cela, il faut que les commissaires puissent faire de la politique.

Et, face à un Conseil qui semble vouloir reprendre la main sur les décisions et la stratégie politique, reste-t-il de la place pour faire de la politique ?

Oui, mais il ne faut pas voir les choses en termes d’opposition entre les institutions. La politique, c’est aussi le dialogue : la Commission propose au Conseil, le président de la Commission défend ses proposition face au Conseil. On discute, on tente de convaincre le Conseil et au final, celui qui a le plus d’arguments l’emporte. Cela dépend aussi de la capacité et de la force de persuasion des commissaires. Et la machine à décider européenne est absolument unique au monde.

Il est question d’une réforme du traité de Lisbonne afin d’y intégrer le pacte pour la compétitivité approuvé pour faire face à la crise de la dette dans plusieurs pays de la zone euro. Une pause dans l’intégration européenne est-elle envisagée, afin de "digérer" ces nouvelles mesures ?

Le crise économique et financière nous a obligés à prendre une série de mesures et une modification du traité [de Lisbonne], pour ce qui est uniquement des interventions en matière de politiques économiques et financières, ne me paraît pas impossible.

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