La tentation de Google

Publié le 19 octobre 2012 à 12:11

Ah, Google ! Sans lui, l’Internet aurait probablement un autre visage. Et Presseurop, qui utilise ses applications en ligne, serait nettement plus difficile à réaliser. Grâce à sa capacité à innover et à apprendre de ses erreurs, le géant de Mountain View est devenu en moins de quinze ans un acteur incontournable pour la plupart des internautes.

Financés à 96% (2011) par la publicité — dont il contrôle plus de 44% du marché mondial sur le web — ses services sont gratuits pour la plupart. En échange de cette gratuité, une des clés de son succès, Google insère dans ses pages des publicités plus ou moins discrètes. Et de mieux en mieux ciblées : à chaque fois que vous faites une recherche, que vous parcourez une carte, que vous partagez quelque chose sur son réseau social, que vous signalez votre position avec votre smartphone, que vous échangez des mails ou que vous regardez une vidéo sur YouTube, vous ajoutez une pièce à la mosaïque qui compose votre profil virtuel chez Google. Cela lui permet de proposer à chaque fois des résultats — et des publicités — qu’il présume être les plus adaptés à vous. Fut-ce au point d’exclure les autres, et de vous rendre un peu plus bêtes, comme le dénonçait dès 2008 le spécialiste Nicholas Carr.

Une telle intrusion dans la vie privée de ses quelque 350 millions d’utilisateurs ne peut naturellement se faire sans leur consentement. Jusqu’en février dernier, chacun des plus de 70 services de Google avait sa propre politique de confidentialité, qui devait être acceptée au coup par coup par les utilisateurs. Dans un but de simplification, Google a donc décidé de les regrouper en une seule, en annonçant par la même occasion qu’il allait désormais croiser toutes les données personnelles des utilisateurs, tous services confondus : l’internaute déjà abonné à l’un d’entre eux n’a plus à la relire à chaque nouvel abonnement et Google peut affiner encore davantage son profil.

Une opération gagnant-gagnant donc. Sauf que les autorités de protection de la vie privée des Etats membres de l’UE, réunies au sein du Groupe de travail article 29, ont fait remarquer que la nouvelle politique de confidentialité de Google est en conflit avec la directive européenne sur la protection des données personnelles. Elles ont donc demandé à Google de reporter l’application des nouvelles règles — ce que ce dernier a refusé de faire — et mandaté la Commission informatique et libertés française (CNIL) pour mener l’enquête au nom des Vingt-Sept.

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Dans son rapport, remis le 16 octobre, la CNIL demande à Google de mieux informer les internautes quant aux données qu’il récolte et à l’utilisation qu’il en fait, notamment en termes de durée de stockage et de combinaison de ces dernières, et de leur donner la possibilité de refuser plus simplement leur collecte. Larry Page, le PDG de Google, a répondu que la nouvelle politique n’est pas contraire aux lois européennes et qu’elle est essentielle au développement de nouveaux produits. S’il ne se conforme pas aux recommandations, il risque des amendes jusqu’à 150 000 euros dans chacun des pays européens. Une broutille, eu égard aux quelque 7,18 milliards d’euros de bénéfices engrangés par Google en 2011.

Bref, le bras de fer entre Google (par ailleurs toujours sous le coup d’une enquête de la Commission européenne pour abus de position dominante), et Bruxelles, n’est pas terminé. Et il rappelle, si on l’avait oublié, deux caractéristiques fondamentales de la Toile : la première est que rien n’est vraiment complètement gratuit ; la seconde, que les internautes n’ont qu’un contrôle très relatif — voire nul — sur leurs données personnelles une fois qu’elles sont mises en ligne. C’est pour cela qu’un droit de l’Internet est en train de se construire peu à peu, de manière plus ou moins consensuelle. Brider l’Internet, comme le font certains pays en délicatesse avec la démocratie, est une erreur. Laisser les acteurs gérer seuls mettrait les plus faibles — les particuliers-consommateurs — à la merci des tentations qui parcourent les géants de la toile. Même si leur slogan est “Don’t be evil”.

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