Idées Défense commune

Des leaders désarmés

Ces derniers mois, Paris et Berlin ont joué un rôle décisif dans la mise en place de la réaction européenne à l’ingérence russe en Ukraine. Mais le leadership de la France et de l’Allemagne est-il assez fort pour transformer l’UE en une véritable puissance stratégique ?

Publié le 1 juin 2015 à 09:21

Le couple franco-allemand a joué un rôle prépondérant dans la construction et l’unification de l’Europe de l’après-guerre. Les deux pays ont été plus performants pour intégrer le continent – en créant un marché et une monnaie uniques – que pour faire la guerre et la paix.

Cependant, avec la crise en Ukraine, Paris et Berlin ont fait de l’Union européenne un bloc commercial avec du caractère en imposant des sanctions importantes à la Russie. Parallèlement, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français François Hollande ont réagi de manière énergique en offrant un semblant de leadership pour transformer l’UE en une véritable puissance stratégique à la hauteur de son poids économique.

Et pourtant, la France et l’Allemagne ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Il y a des asymétries bien enracinées : alors que Berlin est toujours une puissance militaire récalcitrante à l’idée d’envoyer des troupes, la France s’enorgueillit de ses bombes atomiques et de ses nombreuses expéditions militaires en Afrique.

Un rôle décisif dans les sanctions contre la Russie

On peut donc voir un progrès significatif car Paris et Berlin jouent dorénavant un rôle décisif dans le façonnage de la réponse européenne à la Russie, en particulier dans le contexte de la crise et de la guerre civile en Ukraine. L’UE considère l’annexion unilatérale de la Crimée et le soutien aux séparatistes de l’Ukraine orientale comme inacceptables et contraires aux règles de l’ordre mondial de l’après-guerre froide.

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L’UE a été en mesure d’imposer des sanctions significatives contre la Russie qui ont coupé les grandes entreprises russes des marchés financiers européens, interdit toutes exportations d’équipement minier et d’exploration avancé pour le secteur essentiel du pétrole et du gaz russe et imposé des restrictions contre un certain nombre d’individus.
Toutefois, les sanctions européennes n’ont pas permis d’atteindre l’objectif ultime en Ukraine : la fin de la rébellion à l’est et l’abandon de la Crimée par la Russie. Ceci n’est pas surprenant. Pour faire simple : Moscou va toujours s’intéresser davantage à l’Ukraine que Bruxelles.

La chancelière Merkel et le président Hollande ont pris l’initiative de rencontrer le président russe Vladimir Poutine et servi de médiateurs avec le président ukrainien Petro Poroshenko. Le couple franco-allemand a également remporté un succès en promouvant des cessez-le-feu limités, mais en fin de compte le conflit continue. La Crimée semble séparée de manière irréversible et l’est de l’Ukraine se dirige vers un “conflit gelé” semblable à ceux de la Transnistrie en Moldavie et de l’Ossétie du Sud en Géorgie.

Vers une armée européenne ?

Paris et Berlin peuvent affirmer qu’elles ont effectué des progrès significatifs en faisant de l’UE une “puissance” dans ses relations avec la Russie. Mais il faut souligner que, d’une manière générale, la chancelière Merkel et le président Hollande n’ont pas fait preuve d’un leadership fort en transformant l’Europe en un véritable acteur stratégique.

Le problème est lié à la souveraineté : ce sont les capitales des pays qui décident d’une éventuelle mission de l’UE, il n’y a pas de “décideur unique européen”. Les gouvernements accordent la préférence à leurs armées nationales, en tant que fin en soi et en tant que monnaie d’échange qu’ils voudraient utiliser avant tout dans le contexte de l’OTAN. Ceci permet à des dirigeants européens de moindre importance de parader avec de hauts représentants de Washington et de se servir ou d’influencer la puissance militaire, diplomatique et de surveillance impressionnante américaine.

Il n’y a aucun doute – une pression est exercée en faveur du changement. D’après un sondage Eurobaromètre , 46% des citoyens de l’UE soutiennent l’idée de créer une armée européenne. Les Européens éduqués sont de plus en plus “Européens” en raison de la diffusion de l’anglais et de l’internationalisation de la culture à travers les émissions de télé, les films et la musique américaines, les affaires et l’éducation.

Mais la pression en faveur de l’européanisation est trop souvent négative. Les gouvernements nationaux – particulièrement en Europe du Sud et de l’Est – sont perçus comme tellement corrompus que de jeunes gens aliénés imaginent qu’un gouvernement européen serait préférable.

Tout changement majeur dans le pouvoir stratégique de l’UE – qui pourrait passer par la création d’une armée européenne ou l’imposition de sanctions par une majorité et non à l’unanimité – nécessiterait une modification des traités européens vers un fédéralisme très poussé.

Le gouvernement aurait des difficultés pour convaincre l’opinion publique des bienfaits d’une telle fédéralisation particulièrement en France où aussi bien les forces politiques républicaines que les mouvements radicaux désignent l’intégration européenne comme responsable des choix difficiles et des réformes impopulaires. Comme les Sustainable Governance Indicators (SGI) de la Fondation Bertelsmann le soulignent, “*Le résultat, c'est que ces concepts sont régulièrement accusés de détruire les bases de la société et ce si cher 'art de vivre à la française'”.

Tout “bond en avant de l’intégration” sera inimaginable aussi longtemps que l’euroscepticisme montera en puissance sur la vague de la crise de l’euro et que tant de gouvernements nationaux resteront impopulaires. Une reprise économique durable et un inversement des tendances de l’opinion publique sont un préalable indispensable à tout changement. Comme diraient les Français, l’Europe puissance n’est pas pour demain.

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