Idées Nominations à la BCE
Une réunion du directoire de la BCE à Francfort, en décembre 2017.

Il faut un débat public sur le renouvellement de la Banque centrale !

Dans cet appel, plusieurs politistes et économistes, dont Thomas Piketty, demandent que les nominations au sein du directoire de l’institution de Francfort se fassent en dehors du huis clos entre Etats membres qui a été la règle jusqu’à présent.

Publié le 22 janvier 2018 à 20:33
ECB/Flickr  | Une réunion du directoire de la BCE à Francfort, en décembre 2017.

Alors que nos yeux sont rivés sur les interminables vicissitudes de la Groko allemande, une pièce non moins décisive se joue à Bruxelles dans la plus grande indifférence. Le 22 janvier et le 19 février prochains dans le secret des réunions des ministères des finances de l’Eurogroupe sera en effet posé le premier acte d’un renouvellement en profondeur du Directoire de la Banque centrale européenne (BCE) avec le remplacement de Vitor Constancio, le Vice-Président actuel. Dans les deux ans qui viennent, pas moins de 4 des 6 membres de l’organe exécutif de la BCE, Mario Draghi inclus, doivent être remplacés.
Tout indique pourtant que l’avenir des politiques économiques, fiscales et bien sûr monétaires des Etats de la zone euro se joue dans cette série de nominations. Car la BCE de 2018 n’a plus grand chose à voir avec celle qui, à ses débuts, coulait des jours relativement tranquilles à la périphérie de la politique européenne, protégée par son statut d’indépendante. Erigée par les gouvernements et les marchés financiers en institution-recours, la BCE est entrée de plain pied dans la cabine de pilotage de l’Union à la faveur de la crise économique et financière de 2008. Qu’elle pèse sur les conditions sur lesquels les Etats financent leur dette sur les marchés, qu’elle suggère l’adoption du traité budgétaire lui donnant jusqu’à son nom (Fiscal Compact), qu’elle somme par courrier les chefs de gouvernement italien ou irlandais d’engager sans attendre un lourd train de réformes, ou encore qu’elle intervient directement sur le cours des négociations politiques de la crise grecque du printemps 2015 par le contrôle de l’accès aux liquidités, c’est toujours en véritable co-gouvernant de la zone euro que la BCE agit désormais.
Au terme d’une décennie de crise, la BCE n’a plus rien à voir avec l’institution dessinée par les Traités et rivée sur le sacro-saint objectif de stabilité des prix : elle s’est imposée, prévisions à l’appui, en Chief Economist de la zone euro ; elle a acquis un pouvoir exécutif via la troïka (avec la Commission européenne et le FMI) qui définit et assure la mise en œuvre des Memorandum dans les pays « aidés » ; elle est au cœur des Sommets de la zone euro et de l’Eurogroupe qui coordonnent les économies nationales ; elle est devenue le régulateur du monde bancaire exerçant un droit de vie et de mort sur les plus grandes banques de la zone euro ; elle s’est imposée comme un réformateur participant aux coalitions qui se constituent autour de la priorité donnée aux “réformes structurelles” (marché du travail), à la “compétitivité” (politique salariale restrictive), etc. ; elle a obtenu de parler d’égal à égal avec les quatre autres “présidents” de l’Union (de la Commission, du Conseil européen, de l’Eurogroupe, auquel s’est adjoint sur le tard celui du Parlement européen) quand il s’agit de dessiner l’avenir politique et institutionnel du gouvernement de la zone euro, etc.
Et pourtant tout se passe comme si on allait procéder à une énième nomination technique. Alors même qu’il y a là une des rares occasions pour les acteurs de la politique représentative, partis en tête, de véritablement peser sur ce pôle crucial du gouvernement de la zone euro, tout est fait pour maintenir ce choix au ban de l’espace public. D’un côté, les ministres des finances se gardent bien de rendre des comptes à leurs parlements nationaux de ce qu’ils entendent défendre à Bruxelles ; de l’autre, l’Eurogroupe, institution à peine reconnue par les traités européens mais qui constitue de fait le lieu de décision en la matière, ne connaît aucune forme de contrôle politique. Comme souvent, le Parlement européen qui auditionnera le candidat ainsi choisi arrivera après la bataille, une fois les négociations conduites et les compromis passés, pour donner son avis…consultatif.
Pourtant, les questions ne manquent pas quant à l’avenir des politiques de la BCE et du rôle qu’elle entend jouer : quelle position dans la réforme du gouvernement de la zone ? Quels engagements à l’égard du Parlement européen ? Quel sera l’objectif de sa politique monétaire alors que l’inflation a disparu ? Quel soutien entend-t-elle apporter aux politiques de l’Union ? Quelles priorités pour les huit années à venir en terme de régulation bancaire ? Quelle place donner aux partenaires sociaux ? Quelle politique de prévention du conflit d’intérêts pour le régulateur bancaire ? Quels effets redistributifs des politiques de la BCE ? A n’en pas douter, la réponse à ces différentes questions déterminera le cours du gouvernement de la zone euro. Il faut pouvoir interroger en amont les candidats, connaître leur réponses et en débattre.

Marchés financiers et gouvernements semblent se satisfaire de cette situation et jettent un pudique voile d’ignorance sur ce processus de nomination. Et les signaux qui proviennent de Bruxelles ne sont guère rassurants, qui laissent à penser que l’Espagne, estimant son tour venu, proposera le 22 janvier pour la vice-présidence de la BCE, son actuel ministre de l’économie, Luis de Guindos, dont l’un des principaux faits d’arme est d’avoir été le président exécutif pour l’Espagne et le Portugal de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers au cœur de la crise financière...
A défaut de posséder d’ores et déjà l’Assemblée parlementaire de la zone euro préconisée dans la proposition de traité de démocratisation de la zone euro (T-dem) et dont l’une des fonctions consisterait précisément dans cette supervision politique des nominations des membres du gouvernement de la BCE, rien n’empêche en l’état les ministres des finances de rendre public les critères politiques qui fondent leurs préférences pour tel ou tel mais aussi les conditions qu’ils entendent imposer aux candidats.
Mais rien n’oblige pourtant à ce que ce processus de nomination reste ainsi à huis clos et se joue une fois de plus sur le mode du jeu des chaises musicales européennes. Rien n’empêche en effet les ministres des finances de rendre public les critères politiques qui fondent leurs préférences pour tel ou tel mais aussi les conditions qu’ils entendent imposer aux candidats. Rien n’interdit que plusieurs candidats, à la présidence notamment, s’avancent publiquement dans les mois qui viennent, qu’ils soient auditionnés devant les représentations nationales, et qu’ils disent leurs engagements.
Et rien enfin ne fait obstacle à ce que le Parlement européen conditionne sa participation à la procédure de nomination au respect de l’ensemble de ces exigences politiques minimales. C’est la condition pour que partis, syndicats et ONG européennes se fraient un chemin et puissent commencer à peser sur les décisions qui décident des politiques économiques, fiscales, monétaires qu’il sera possible de conduire à l’avenir au sein de la zone euro. Ce serait une première étape – modeste mais réelle – vers la démocratisation de l'Europe.

Premiers signataires :

Sébastien Adalid, juriste, professeur à l’Université du Havre
Michel Aglietta, économiste, professeur émérite à l’Université Paris Nanterre
Peter Bofinger, économiste, professeur à l’Université de la Sarre
Loïc Blondiaux, politiste, professeur à l’Université Paris 1
Julia Cagé, économiste, professeure à Sciences Po Paris
Amandine Crespy, politiste, professeure à l’Université libre de Bruxelles
Anne-Laure Delatte, économiste, directrice de recherche au Cnrs
Bastien François, politiste, professeur à l’Université Paris 1
Ulrike Guérot, politiste, professeure à l’Université du Danube
Stéphanie Hennette, professeure à l’Université Paris Nanterre
Justine Lacroix, professeure à l’Université libre de Bruxelles
Rémi Lefebvre, political scientist, politiste, professeur à l’Université Lille 2
Nicolas Leron, think tank EuroCité
Ulrike Liebert, politiste, professeure à l’Université de Brême
Paul Magnette, politiste, maire de Charleroi
Francesco Martucci, juriste, professeur à l’Université Paris 2
Thomas Piketty, économiste, directeur d’études à l’Ehess
Ruth Rubio Marín, juriste, professeure à l’Université de Séville
Guillaume Sacriste, politiste, maître de conférence à l’Université Paris 1
Frédéric Sawicki, politiste, professeur à l’Université Paris 1
Laurence Scialom, économiste, professeure à l’Université Paris Nanterre
Xavier Timbeau, économiste, directeur principal de l’Ofce
Antoine Vauchez, politiste, directeur de recherche au Cnrs

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