Jeroen Dijsselbloem, le docteur euro

Parviendra-t-il à maintenir en place l'Union monétaire, en évitant le défaut de paiement de la Grèce ? Combien de chances y a-t-il pour qu'il soit reconduit à la tête de l'Eurogroupe ? Vrij Nederland enquête sur la carrière et le style du ministre des Finances des Pays-Bas.

Publié le 17 juin 2015 à 12:52

Jeroen Dijsselbloem, 49 ans, est aux commandes de l’Eurogroupe depuis plus de deux ans. Avant d’occuper ce poste au cœur de la politique européenne, il était vierge de toute expérience internationale. Son prédécesseur à la tête de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, était un vétéran du circuit européen, connu pour son langage fumeux, sa politique menée en coulisses et les longues réunions nocturnes. Depuis le jour de sa désignation, Dijsselbloem s’est comporté de manière très différente. Ses réunions dépassent rarement la durée prévue et il impose le silence à ses homologues ministres lorsqu’ils sont trop longs. Dijsselbloem souligne l’importance de respecter les accords et utilise un langage clair et direct.

Pour Bruxelles, s’habituer à son style a représenté un énorme effort. Son franc-parler a provoqué un tollé international lors de sa première grande épreuve, la gestion de la crise chypriote. En mars 2013, dans un interview accordée au Financial Times, il a affirmé qu’une des mesures adoptées pour combattre la crise à Chypre, qui prévoyait que les épargnants participent au sauvetage des banques, serait adoptée comme modèle pour les autres pays de la zone euro. Ce qui lui a valu une volée de bois vert pour avoir lancé une bombe verbale sur les marchés financiers.

Les choses ne se sont pas si mal passées au final, mais sa déclaration lui est restée collée à la peau pendant longtemps. “Dijsselbloem peut etre plutôt direct”, affirme Peter Spiegel, chef du bureau bruxellois du Financial Times, à qui Dijsselbloem avait confié cette déclaration. “Sans le vouloir, il a dit la vérité. C’est son style. C’est l’opposé de Juncker, qui une fois a dit : ‘Si la situation échappe à ton contrôle, ment’*”

L’année dernière, la candeur de Dijsselbloem a provoqué une nouvelle tempête internationale lorsque, pendant l’émission de télévision néerlandaise Knevel & Van den Brink, il a qualifié Jean-Claude Juncker de "fumeur et buveur invétéré". Ses paroles ont fait le tour du monde. Juncker, qui venait d’annoncer sa candidature à la présidence de la Commission européenne, a été contraint de faire une déclaration publique pour dire qu’il n’était “pas alcolique”.

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Bises mouillées

Dijsselbloem ne pense pas que sa remarque ait nui à son rapport avec Juncker de manière permanente. “C’était une phrase maladroite qui a causé quelques tracas à Jean-Claude. je me suis excusé avec lui à deux reprises, d’abord au téléphone, puis devant un café. Cela devrait suffire : on ne peut pas sortir cette histoire à l’infini”. Selon Dijsselbloem, son rapport avec Juncker est “bon” : “On se parle au téléphone presque chaque semaine pour nous coordonner sur le dossier grec. Chaque fois que nous nous voyons, il m’enlace et me fait des bises un peu mouillées”. Et il ajoute en souriant : “J’ai l’impression qu’il le fait avec tout le monde, en fait”.

Pour réussir dans la stratosphère bruxelloise, il faut jouer sa partie politique de manière impeccable. Le président de l’Eurogroupe doit se confronter à des adversaires de 17 nationalités différentes, avec d’énormes différences culturelles et souvent égocentriques. Il doit affronter de vieilles querelles et des plans cachés. Dans un anglais souvent moyen, cette assemblée bariolée doit parvenir à un accord. Toutes les décisions sont en principe prises à l’unanimité, et un “non” dit tout haut peut avoir un impact énorme.

Dans sa qualité de président, Dijsselbloem doit comprendre s’il s’agit d’un “non” tactique, prononcé dans le but de renforcer une position en vue des négociations, ou s’il s’agit d’une position idéologique et inamovible. A Bruxelles, les experts affirment que Dijsselbloem est en train d’apprendre. “Son plus grand résultat, c’est que l’Eurogroupe n’a jamais été aussi uni qu’il l’est à présent sous sa conduite”, explique Peter Spiegel.

Allemand en sabots

Décembre 2012. A l’occasion du troisième sommet des ministres européens des Finances auquel Dijsselbloem prend part en tant que ministre, il découvre que, dans une autre pièce, ses homologues allemand Wolfgang Schäuble et français Pierre Moscovici ainsi que le président de la Banque centrale européenne Mario Draghi et le commissaire européen Michel Barnier sont réunis pour discuter de la création d’une union bancaire. Il décide d’entrer. Les autres restent bouche bée : pour qui ce Hollandais qui vient de prendre son poste se prend-il ? Mais, au lieu de le chasser, ils l’invitent à prendre place. Il reste avec eux plusieurs heures, à discuter de la manière de combattre la crise et sauver l’Union monétaire. Les semaines suivantes, les représentants allemands commencent à diffuser la rumeur selon laquelle Dijsselbloem ferait un excellent successeur pour Juncker.

Informé par son entourage, Dijsselbloem estime qu’il s’agit d’une idée folle et sans fondement. Mais, à l’occasion du sommet suivant, Wolfgang Schäuble annonce personnellement sa candidature. Et personne ne bronche. Quelques semaines plus tard, Dijsselbloem peut commencer son nouveau job.

"Wolfgang Schäuble a inventé Dijsselbloem", affirme un collaborateur du ministre allemand. “Avec lui, il a une relation quasi paternelle”. Le ministre néerlandais partage cette opinion : “Schäuble est un politicien expert. Et un négociateur hors pair et, si on le connaît mieux, on découvre même qu’il est amusant. De plus, se faire des ennemis est un des ses passe-temps préférés et il le fait toujours avec le sourire. C’est un homme malicieux*”.

L’étroite relation entre les deux hommes a également ses aspects moins reluisants : dès l’instant où il a été nommé président de l’Eurogroupe sur désignation de Schäuble, Dijsselbloem s’est retrouvé affublé du surnom de laquais des Allemands. Parcimonieux, les Néerlandias sont réputés pour être les alliés les plus fidèles de Berlin en matière d’application des sacro-saintes règles budgétaires. Les médias l’ont qualifié de “laquais de Schäuble" et d’“Allemand en sabots”.

Mais plusieurs observateurs notent que Dijsselbloem, de temps à autre, prend position contre les Allemands. Par exemple, en janvier dernier, il a décidé d’aller à Athènes immédiatement après la victoire électorale de la gauche radicale de Syriza, malgré le fait que Schäuble n’était pas d’accord.

Pivert

Dijsselbloem est le visage de l’Eurogroupe, mais l’essentiel de son travail se déroule en coulisses, lors de rencontres privées et de coups de fil avec ses homologues et les autres dirigeants. Il repose beaucoup sur le travail de son équipe à Bruxelles, menée par l’autrichien Thomas Wieser, ainsi que sur un petit groupe de hauts fonctionnaires de son propre ministère, à La Haye.

Selon Wieser, Dijsselbloem est quelqu’un de toujours calme, quelle que soient les tracas que peuvent lui procurer ses homologues de l’Eurogroupe. “Même lorsqu’il est au cœur de la tourmente, il reste serein”, estime un haut fonctionnaire : “Je n’ai jamais vu Jeroen s’emporter. Sa patience est sans limite. Il et comme un pivert qui frappe inlassablement le tronc d’un chêne. C’est ça, la méthode Dijsselbloem. Si une solution n’apparaît pas à l’horizon, au bout de la cinquième tentative, il essaye à nouveau”.

A Bruxelles, les experts estiment que, grâce à sa connaissance approfondie des dossiers et à son talent pour la pensée créative, il a gagné le respect de plusieurs de ses homologues au sein de l’Eurogroupe. Et ce sont ces qualités qui, selon lui, l’aident à aller au delà de son manque d’assurance : “J’étais pareil à la Chambire des représentants. Je veux toujours avoir le contrôle de la situation et tout bien connaître, sinon, je n’ai pas suffisamment d’assurance pour participer à une réunion. Quelqu’un fait une proposition et je ne sais pas de quoi il parle ? Voilà ma crainte”.

Reconduction

Quand Dijsselbloem s’est entretenu au téléphone avec Alexis Tsipras le 25 avril, de retour d’une réunion de l’Eurogroupe à Riga, il lui a exprimé la nécessité d’un changement de cap. Les progrès sont trop lents. Les négociations avec les ministres et les fonctionnaires du gouvernement grecs ne sont ni structurées, ni coordonnées, mais fragmentées. Et il insiste pour que Tsipras reprenne la situation en main.

Deux semaines plus tard, lors de la rencontre suivante de l’Eurogroupe, à Bruxelles, Dijsselbloem annonce en conférence de presse que, pour la première fois, des pas en avant ont été faits. Ce qui apparaissait comme une entreprises sans issue à Riga, un accord avec la Grèce avant le 1er juillet pour sauver le pays de la banquroute, semble aujourd’hui possible. “Il y a ancore d’importantes divergences à résoudre, mais les négociations avancent à présent de manière plus efficace et constructive”, a-t-il déclaré.

En attendant, le premier mandat de Dijsselbloem arrive à son terme. Le lobby pour sa reconduction s’est mis en branle afin qu’il soit confirmé à son poste. Sa candidature a été évoquée à plusieurs reprises au cours des dernières semaines, même si c’est de manière informelle, entre deux portes et en marge de ses visites à Paris, Berlin et Rome. Ses chances sont en hausse. A Bruxelles, la rumeur circule selon laquelle le soutien affiché par Angela Merkel vis-à-vis du ministre espagnol Luís De Guindos ne veut absolument pas dire que Dijsselbloem ne puisse pas être reconduit.

"Ce ne serait pas la première fois que Merkel abandonne quelqu’un devant la ligne d’arrivée”, explique Peter Spiegel. "Rien n’est gravé dans le marbre", lui fait écho Markus Ferber, chef du groupe de la CSU allemande (conservateurs bavarois) au Parlement européen et vice-président de la puissante Commission Affaires économiques et monétaires, qui ajoute : “Au mois de novembre se tiennent les élections législatives en Espagne, ce qui rend l’avenir politique de De Guindos pour le moins incertain”. De plus, il y a de fortes chances pour que les Allemands ne souhaitent pas se lancer dans expérimentations alors que les temps sont durs. Dès lors, le choix tomberait rapidement sur Jeroen Dijsselbloem.

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