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Les eurodéputés pendant le vote sur le budget de l'UE pour 2014-2020, le 13 mars 2013, à Strasbourg

La Chambre forte

En imposant le plafonnement des bonus des banquiers, le Parlement européen marque un point de plus dans l’affirmation de son autorité au sein des institutions européennes. A plus d’un an de son renouvellement, la question de l’évolution de son rôle et de ses compétences commence à se poser.

Publié le 13 mars 2013 à 15:22
Les eurodéputés pendant le vote sur le budget de l'UE pour 2014-2020, le 13 mars 2013, à Strasbourg

Dans les entrailles du Parlamentarium, le centre des visiteurs du Parlement européen, construction flambant neuve de 21 millions d'euros, Eva Vanpeteghem et Elise Mais découvrent les arcanes de la démocratie communautaire. Ces jeunes Belges, toutes deux âgées de 15 ans, sont installées dans une reconstitution de l'hémicycle dans lequel les députés européens débattent et votent.

Ces lycéennes ne sont pas les seules à prendre conscience de l'importance de cette institution, longtemps raillée et présentée comme une maison de retraite pour "has been" de la politique nationale. Grâce au traité de Lisbonne qui, en 2009, a considérablement élargi ses pouvoirs (et, avec eux, la rouerie de certains de ses élus les plus entreprenants), le Parlement européen est désormais l'un des organes les plus influents de l'Union européenne. Dernièrement, il aura imposé sa volonté dans des sujets aussi divers que la pêche, la réforme du monde de la finance ou le budget communautaire et ses 1 000 milliards d'euros.

Le temps de la risée est révolu

Allez donc en parler aux seigneurs de la finance de la City, qui ont reçu fin février une leçon de pouvoir parlementaire fort désagréable en découvrant les avancées du projet de plafonnement des bonus des banquiers dans l'Union. Non seulement les parlementaires européens sont à l'origine de cette idée, mais ils ont aussi réussi à la faire passer au forceps, et en dépit d'une opposition farouche du Royaume-Uni, qui craint que ces limitations ne menacent le rôle de la City comme grand centre de la finance mondiale.

Qu'elle plaise ou non, l'initiative de plafonnement des bonus semble en tout cas donner le la : c'est sur ce ton qu'entend désormais s'exprimer cette institution de plus en plus catégorique et musclée, constatent certains observateurs, tel Thomas Kalu, qui dirige à Paris l'European Council on Foreign Relations.

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Et le fait est que les députés européens enchaînent les victoires, ces derniers temps. Ils ont rejeté un grand traité international sur la propriété intellectuelle l'ACTA de crainte qu'il ne favorise la censure. Ils ont aussi obtenu des modifications dans un accord de partage de données bancaires avec les Etats-Unis [l'accord SWIFT] conçu pour mettre au jour les réseaux de financement du terrorisme, après un moratoire de six mois qui avait fait monter au créneau Hillary Clinton, alors encore ministre des Affaires étrangères, et le vice-président américain Joseph Biden.
Le Parlement a aussi pris l'habitude de rejeter régulièrement les candidats à la Commission, l'exécutif européen, proposés par les gouvernements nationaux, quand il les trouve intolérants, comme ce fut le cas pour le prétendant italien, ou incompétents, comme celui de la Bulgarie. "Le temps où le Parlement européen et son manque d'influence étaient la risée de tous est bel et bien révolu", assure un diplomate européen.

Et sous la présidence de l'Allemand Martin Schulz, le Parlement se montre plus ambitieux encore. Le président espère faire de l'hémicycle l'agora où les dirigeants européens viendront débattre publiquement de grands enjeux communautaires, par exemple la réaction à la crise de la dette. En novembre dernier, la chancelière allemande Angela Merkel avait ainsi choisi l'assemblée pour présenter sa vision d'une zone euro dans laquelle les gouvernements nationaux transfèreraient des pouvoirs plus importants à Bruxelles, notamment dans le domaine fiscal. "Le Parlement européen est l'institution la plus ouverte d'Europe", insistait Martin Schulz en février.

Un drôle d’oiseau en manque de légitimité

Mais tout le monde n'est pas convaincu. Si personne ne conteste la vigueur du Parlement, certains déplorent qu'il n'ait pas encore développé la maturité et la responsabilité qui vont avec. Ses prétentions à la légitimité démocratique sont sapées par une participation aux élections européennes qui ne cesse de baisser depuis l'année de l’instauration du suffrage direct, en 1979. Lors du dernier scrutin, elle a tout juste atteint 43 % et ce, malgré une campagne médiatique de plusieurs millions d'euros pour mobiliser les électeurs.
Pour les critiques du Parlement, le problème s'explique en partie par le fait que les députés européens seraient moins soucieux d'améliorer le bien-être des citoyens que de grignoter du pouvoir au détriment des autres grandes institutions de l'UE – en particulier la Commission, organe exécutif qui a l'initiative législative, et le Conseil, qui représente les gouvernements nationaux.

Le Parlement européen a toujours été un drôle d'oiseau. Contrairement à ses homologues nationaux, il n'est pas élu pour nommer le gouvernement. Ses membres sont souvent, par nature, des fédéralistes qui prônent très largement “plus d'Europe” et une intégration plus poussée, dans lesquelles ils voient la réponse à la plupart des problèmes politiques.

Alors que l'UE, confrontée à la crise de la dette dans la zone euro, s'achemine vers l'une des plus grandes refontes de ses quelque 60 ans d'histoire, le débat sur l'avenir de son Parlement s'intensifie. La lutte contre la crise s'est traduite, en partie, par de nouveaux transferts de pouvoir à des technocrates bruxellois non élus, chargés de surveiller les finances et les politiques économiques des capitales européennes. D'où l'inquiétude suscitée par un “déficit démocratique” grandissant entre l'Union et des populations de plus en plus tenues à l'écart des décisions. Seule institution européenne dont les membres sont élus au suffrage universel direct, le Parlement a tout pour être l'organe providentiel qui réduira cette fracture en jouant un rôle accru. Mais pour le faire de façon crédible, il lui faudra sans doute resserrer les liens avec cette opinion publique qu'il prétend représenter.

Au coeur des enjeux de l’élection de 2014

Bruxelles bouillonne d’idées à ce sujet. L’une d’entre elles consiste à demander à chaque parti politique de placer son candidat à la présidence de la Commission en tête de sa liste, afin de donner aux électeurs une indication claire des enjeux de l’élection.

D’autres estiment qu’il faudrait donner davantage de pouvoirs aux parlements nationaux en ce qui concerne les lois européennes. Certains responsables de l’UE prédisent que la question sera au centre des prochaines révisions des traités européens — sans doute après les élections européennes de 2014. Mais, pour le moment, les Européens doivent faire avec le Parlement qu’ils ont.

Pour Anne Jensen, une libérale-démocrate danoise, les eurodéputés ont le devoir d’aider à déterminer comment l’argent est dépensé, et avoir l’œil ouvert sur les accords que les dirigeants européens ont l’habitude de conclure à huis clos. "Si le Parlement n’a pas une position claire et n’utilise pas nos pouvoirs pour légiférer, pourquoi sommes-nous ici ?", s'interroge-t-elle.

Cet article fait partie d'un dossier "L'Europe en débat" à lire dans le numéro 1167 de Courrier international, en kiosque le 14 mars.

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