La Syrie au cœur des enjeux énergétiques

Publié le 31 mai 2013 à 15:23

A ceux qui se demandent pourquoi l’Europe a tant de mal à se mettre d’accord sur une politique commune au sujet de l’embargo sur les armes en Syrie, un petit point sur la carte pourrait donner un indice : le gigantesque gisement de gaz naturel de North Dome, dans le golfe Persique, très exactement à cheval entre les eaux iraniennes et qataries. Allié de Damas, Téhéran projette de construire un gazoduc qui traverserait la Syrie pour atteindre la côte méditerranéenne et le riche marché européen.
Premier bailleur de fonds des insurgés, Doha nourrit un projet concurrent qui traverserait la Syrie post-Assad et la Turquie pour gagner la même destination. Le fait que l’envenimement de la crise syrienne, début 2011, soit survenu quelques mois seulement après l’ouverture, fin 2010, des négociations sur le projet iranien, est assez révélateur.
Par le truchement de leurs fleurons nationaux que sont GDF et Shell, la France et le Royaume-Uni sont des partenaires de premier plan de l’industrie gazière qatarie. De son côté, la Russie a conclu un pacte en béton avec l’Iran pour déjouer les tentatives des pays sunnites du Golfe et de leurs alliés occidentaux de court-circuiter son quasi-monopole sur l’approvisionnement de l’Europe.
L’Allemagne est raccordée à la Russie par le gazoduc Nord Stream, un projet porté par l’ancien chancelier Gerhard Schröder et, en Italie, ENI [la société nationale d’hydrocarbures] est un partenaire clé de Gazprom. Sachant cela, on est moins surpris de voir Paris et Londres en bisbilles avec Berlin et Rome sur l’avenir de la Syrie.

Le bourbier syrien n’est pas le seul sujet qui a vu l’énergie diviser l’Europe ces derniers temps. Des intérêts nationaux contradictoires se sont emparés du débat sur les répercussions environnementales et sanitaires de l’exploitation des réserves européennes de gaz de schiste, rendu plus complexe encore par l’ingérence de l’industrie nucléaire russe et les incertitudes planant sur la future politique énergétique de l’Allemagne. Cette semaine, la position de l’UE sur le différend commercial l’opposant à la Chine au sujet des panneaux solaires a été torpillée par les divergences de vues entre la France et l’Allemagne sur la nécessité de taxer les importations à bas prix en provenance d’industries chinoises subventionnées par Pékin.
Après l’invalidation des théories classiques sur le "pic pétrolier", le monde semble sur le point de vivre une révolution majeure dans le domaine de l’approvisionnement énergétique. Des investissements massifs dans le gaz de schiste et d’autres hydrocarbures non-conventionnels pourraient permettre aux Etats-Unis d’être autonomes sur le plan énergétique à l’horizon 2020 et de s’affranchir ainsi des importations de pétrole et des lourdes problématiques géopolitiques qui les accompagnent – ainsi qu’en témoigne déjà leur peu d’intérêt pour la crise syrienne. Si les dernières informations en date en provenance du Japon sont avérées, l’exploitation d’hydrates de méthane disponibles en grandes quantités pourrait également tirer les prix de l’énergie vers le bas – pour ceux qui y ont accès.
Le programme de réduction des émissions de CO2 de l’UE, déjà vacillant, n’aura alors plus de raison d’être. L’UE aura de plus en plus de mal à protéger ses secteurs en difficulté contre des concurrents qui paient une note énergétique deux fois moins élevée, surtout si elle ne trouve pas un moyen efficace de faire rimer "vert" avec "bon marché". Mais, surtout, énergie et politique seront indissociables. Toute évocation d’une union politique aura pour seul effet de déclencher l’hilarité, comme c’est déjà le cas des efforts maladroits de l’UE en matière de diplomatie commune. Les gouvernements européens et les représentants de leurs secteurs énergétiques doivent s’asseoir autour d’une table et élaborer une vision commune. L’absence de concertation serait regrettée bien au-delà des milieux fédéralistes européens.

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