Actualité L'humour en Europe (7/10)
Le maire de Reykjavik Jon Gnarr lors de la Gay Pride 2011.

L’art de la caricature ou l’audace islandaise

Quand on vit loin du monde et qu'on descend d'un peuple viking peu réputé pour son art de la communication, autant savoir manipuler l'autodérision avec dextérité. Pour son septième épisode, Le Monde nous emmène à Reykjavik où la parodie reste le meilleur remède au narcissisme insulaire.

Publié le 28 août 2012 à 10:26
Le maire de Reykjavik Jon Gnarr lors de la Gay Pride 2011.

Les habitants de la capitale, Reykjavik, se sont choisi pour maire un humoriste, Jon Gnarr, dont le programme affiché était de "s'en mettre plein les fouilles pendant quatre ans et d'en faire profiter sa famille". Il a obtenu 40% des voix. Une exception ? Non ! L'ancien premier ministre David Oddsson, qui ne faisait plus rire personne comme directeur de la banque centrale lors de l'effondrement des banques en 2008, avait débuté comme humoriste à la radio. Et l'écologiste le plus connu a fait rire plusieurs générations sur les planches. Le narcissisme de cette petite nation insulaire est tel qu'il appelle son antidote : l'autodérision.

Rire de soi est aisé, mais rire des autres est délicat dans un pays où tout le monde se connaît plus ou moins. Quand un pasteur ou un élu fait un faux pas, de préférence d'ordre sexuel, des poèmes de quatre vers rimés fleurissent immédiatement ; mais les meilleurs ne paraissent que bien plus tard, et le nom de la personnalité ciblée n'apparaît jamais.

La parodie est une autre façon de se moquer des gens sans les nommer. Les fêtes qui absorbent un bon tiers de la sociabilité islandaise sont l'occasion de caricaturer ceux que l'on côtoie toute l'année. Après avoir trinqué, bien sûr, car cet humour de proximité ne fonctionne que quand l'ivresse excuse toutes les audaces.

L'humour ne semble pas avoir été le fort des Vikings. Leurs propos laconiques dans les sagas confinent au mutisme. Mais leur impassibilité à toute épreuve est justement tournée en dérision aujourd'hui pour se moquer de la difficulté des Islandais à exprimer leurs sentiments.

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Dadais empotés et bécassines impudiques

La naïveté et l'ignorance des gens de la campagne furent longtemps le fonds de commerce du comique islandais. Des dadais empotés mènent leur ferme au désastre, et des bécassines des fjords du nord s'y montrent plus délurées qu'il n'y paraît. A l'une d'elles venue faire la saison du hareng, le contremaître explique qu'il faut disposer les poissons dans les tonneaux tête contre tête et la queue en l'air. "Oh, j'ai déjà vu cela cent fois", répond la jeune impudique.

L'urbanisation et la pénétration des cultures danoise et américaine vont changer la donne au XXe siècle. S'exprimer en anglais ou en danois fait rire et relève de la provocation. L'Islande, au lendemain de l'indépendance, est en pleine cure d'autarcie linguistique, et le nettoyage lexical est à l'ordre du jour ! C'est le maire de Reykjavik qui fut l'artisan du renouveau, passant de la parodie à la satire de caractère en se moquant d'archétypes islandais.

Dans un sketch, par exemple, son personnage le plus populaire, insupportable M. Je-Sais-Tout, vante à sa femme les talents d'un acteur anglais connu qu'ils ont, dit-il, vu la veille dans un film. A l'épouse, qui lui fait remarquer que celui-ci ne joue pas dans le film, puis à un ami qui confirme, il oppose la même certitude inébranlable. Une assurance qu'il conservera en tentant de convaincre au téléphone l'acteur en question dans un anglais teinté d'accent islandais à couper au couteau.

Les épisodes précédents :

La satire allemande, une tradition bien organisée

L’autodérision italienne, un sport national

Le feuilleton suédois qui éclate la classe moyenne

Grivois, immoral et hilarant comme un flic espagnol

Le rire roumain, une forme de révolte politique

Le pince-sans-rire britannique, une affaire sérieuse

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