Une installation gazière à Grijpskerk, dans la province de Groningue (Nord)

Le gaz n’est pas un cadeau

L’exploitation du gisement dans le Nord du pays rapporte des milliards d’euros à l’Etat néerlandais. Mais les séismes de plus en plus fréquents qu’elle génère et l’absence d’investissements à long terme attisent le débat sur son intérêt.

Publié le 25 février 2013 à 11:52
Une installation gazière à Grijpskerk, dans la province de Groningue (Nord)

D’abord, le chat saute du lit. Les animaux domestiques sentent venir les catastrophes. Puis des grondements se font entendre, et se terminent par un claquement faisant vibrer les vitres et trembler les murs. Dans tous les villages regroupés sous les communes de Loppersum et de Slochteren, parfois même jusque dans les banlieues de la ville de Groningue, ce sera une nouvelle nuit d’insomnie.
Des murs qui se fissurent, des portes qui coincent, une tuile qui tombe ; des dégâts fâcheux, mais encore gérables. Le pire, c’est la peur. Cela va-t-il s’arrêter ? Il y a peu de chances, à en croire le rapport du Staatstoezicht op de Mijnen [l’organisme de réglementation des activités d’exploitation du sous-sol] que Henk Kamp, ministre des Affaires économiques, a rendu public à la fin du mois dernier : ces dernières années, les tremblements de terre provoqués par l’extraction du gaz du gisement de Groningue se sont considérablement amplifiés, tant par leur fréquence que par leur intensité. Selon les prévisions, le sous-sol devrait continuer à s’agiter pendant plus d’une cinquantaine d’années.

Le plus grand gisement du monde

Henk Kamp a fait ce que la Nederlandse Aardolie Maatschappij (Nam) [société néerlandaise de pétrole], aurait dû faire depuis des années : reconnaître que le sous-sol de la province de Groningue s’affaisse du fait de l’extraction du gaz, un affaissement qui s’accompagne de légers tremblements de terre.
Selon Reint Wobbes, du village de Huizinge, qui milite au sein de la Fondation Oude Groninger Kerken, [pour la protection des vieilles églises de la région]: “Kamp parle de mesures préventives. Mais je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire. Cette région est culturellement une des plus anciennes d’Europe.
Comment protéger maintenant les maisons et les autres bâtiments, des églises qui ont plusieurs siècles ? Il aurait fallu prendre ces mesures plus tôt. Pourquoi l’impulsion a-t-elle dû venir d’une initiative citoyenne, le Groninger Bodem Beweging (mouvement pour le sous-sol de Groningue), pourquoi les autorités n’ont-elles pas veillé plus tôt à protéger la population ?

Des champs nus couverts de neige, la glaise labourée attend le printemps. Sur les hautes terres, l’extraction du gaz se remarque à peine. On ne la sent pas, on ne la voit pas. Le premier forage concernant le “gisement de Slochteren” a eu lieu le 22 juillet 1959, sur les terres de M. Boon, agriculteur, près du village de Kolham.
Mais l’euphorie n’est apparue que quelques années plus tard, lorsqu’il s’est avéré que ce gisement de gaz était la plus grande réserve d’un seul tenant au monde. La région ne s’est pas enrichie pour autant. En vertu de la loi minière de 1810, les minéraux extraits du sous-sol ne reviennent pas au propriétaire du terrain, mais à l’Etat. Ce qui suscite parfois quelques contrariétés.

Un système de sécurité sociale généreux

Pas grave du tout, estime Herman de Jong, professeur d’histoire économique à l’université de Groningue [Rijksuniversiteit Groningen (RuG)] : “Je préfère ne pas imaginer ce qui se serait passé si la loi minière n’avait pas existé. On aurait maintenant toutes sortes de Groningois qui se seraient enrichis et auraient les idées les plus folles, et l’impact sur l’emploi aurait été de courte durée. Alors qu’on a pu en revanche mettre sur pied un système de sécurité sociale généreux, et consacrer d’importants investissements à l’infrastructure, notamment aux travaux du Plan Delta.
Nous ferions mieux de chercher à orienter l’économie en prévision de l’arrêt des revenus du gaz, dans une trentaine d’années. Les Pays-Bas n’ont jamais réfléchi à long terme, persuadés qu’ils allaient passer à l’énergie nucléaire. Le gisement de gaz sert depuis des années à combler les trous dans le budget. La Norvège a adopté une approche plus judicieuse, en plaçant les revenus du pétrole et du gaz dans un fonds public : les intérêts qu’il génère servent à financer les dépenses consacrées à l’enseignement et aux infrastructures.

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Shell et Esso, partenaires de NAM, engrangent de coquettes sommes avec l’extraction du gaz de Groningue, dit Herman de Jong. “Mais l’Etat en tire aussi profit. Un contrat ingénieux lui a permis dès le début de percevoir des redevances élevées.” Le gisement de Groningue a déjà généré plus de 200 milliards d’euros pour les caisses de l’Etat. Dans une vingtaine d’années, les Pays-Bas en auront bénéficié pendant 75 ans.

Groningue, plateforme énergétique

Les habitants de Groningue commencent cependant à se demander ce que leur a rapporté, ces cinquante dernières années, le gaz qu’ils avaient sous les pieds, en dehors d’un lent affaissement du sol. Le Partij voor het Noorden [qui milite pour les intérêts des habitants des provinces du Nord des Pays-Bas : Groningue, la Drenthe et la Frise] exige qu’un quart des revenus tirés du gaz naturel soit investi dans la région.
Jan Willem Velthuijsen, associé chez PwC et professeur spécialisé dans l’énergie et les flux financiers correspondants à l’université de Groningue, estime lui aussi que les Pays-Bas doivent investir dans la province de Groningue. Pas parce que le gaz y est extrait, mais parce que le Nord a un rôle important à jouer dans l’approvisionnement énergétique.
Pour lui,“Il y a de bonnes raisons d’investir dans la province de Groningue en tant que plateforme énergétique. La station d’interconnexion que nous sommes en train de construire est capitale pour l’approvisionnement énergétique de l’Europe. Nous sommes reliés au marché allemand, qui privilégie un développement durable, ce qui fait que les centrales à gaz présentent des avantages. Elles sont bon marché et propres. Le câble sous-marin acheminant l’hydroélectricité provenant de Norvège est connecté ici et nous recevons ici aussi le gaz russe. L’infrastructure est fantastique, les canalisations et les gisements de gaz sont parfaits non seulement pour pomper le gaz, mais aussi pour le stocker. Nous pouvons stocker le gaz russe à peu de frais, puis l’acheminer quand les prix montent. Le robinet peut être ouvert ou fermé à volonté, c’est beaucoup plus facile ici que partout ailleurs.

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