Réfugiés en Ukraine
Des réfugiés afghans, pakistanais, palestiniens, congolais et somaliens dans un centre de rétention à Chop, dans l'ouest de l'Ukraine, en 2009.

“Le Guantánamo de l’Est”

Publié le 25 février 2015 à 18:13
Des réfugiés afghans, pakistanais, palestiniens, congolais et somaliens dans un centre de rétention à Chop, dans l'ouest de l'Ukraine, en 2009.

Moins médiatisée que la Méditerranée, l’Ukraine est un important point de passage vers l’Europe pour les réfugiés qui fuient les islamistes en Afrique orientale. Mais les conditions d’accueil sont indignes, comme témoignent les demandeurs d’asile.

Par Lorenzo Ferrari

Hasan Hirsi a 21 ans. Il a quitté la Somalie lorsqu’il avait quinze ans, après que les terroristes d’Al-Shabab ont attaqué son village et tué son père. Il s’est envolé pour Moscou et, de là, des passeurs l’ont conduit à Kiev. Pour passer de l’Ukraine à l’Union européenne, Hirsi a mis cinq ans – et cinq tentatives. Il a été arrêté à chaque fois par des gardes-frontière ukrainiens, hongrois et slovaques, et il a passé presque trois ans dans des centres de rétention et des prisons ukrainiennes, où il affirme avoir été dérobé, battu et torturé par les forces de sécurité. Aujourd’hui, raconte-t-il au Spiegel, il se réfère à l’Ukraine comme à “l’enfer” et il en a encore des cauchemars.

Alors que l’attention des médias et des politiques se concentre surtout sur les routes de l’immigration qui passent par la Méditerranée, Maximilian Popp note, dans une longue enquête publiée sur le site en anglais du magazine allemand, que “l’intérêt a jusqu’à présent été limité pour ce qui est de la route orientale et du sort des migrants comme Hasan Hirsi”. Malgré cela, “l’année dernière, avec le conflit en cours Ukraine, des centaines de migrants ont tenté de rejoindre l’UE par l’Europe orientale.

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Un des principaux carrefours de la route orientale se situe dans la ville ukrainienne d’Uzhgorod, près de la frontière avec la Slovaquie. Les réfugiés y passent souvent des mois, en attendant que leurs familles leur envoient l’argent nécessaire pour poursuivre leur chemin. Ensuite, “en échange de plusieurs centaines d’euros, les passeurs ukrainiens conduisent les migrants depuis Uzhgorod vers la Hongrie ou la Slovaquie”, écrit Maximilian Popp.

Même si les Etats membres de l’UE sont censés examiner les demandes d’asile, “les pays qui se trouvent à sa frontière orientale, comme la Hongrie ou la Grèce, ignorent souvent les règles et renvoient les réfugiés en arrière”. C’est ainsi qu’Hirsi, qui voulait présenter une demande d’asile, a été renvoyé plusieurs fois en Ukraine.

Entre 2000 et 2006, l’UE avait dévolu 35 millions d’euros à l’Ukraine, afin qu’elle renforce le contrôle sur ses frontières. Ces dernières années, Bruxelles a versé 30 millions d’euros supplémentaires pour construire et moderniser ses centres de rétention et d’accueil pour migrants. Un accord signé en 2010 entre l’UE et l’Ukraine a établi que les réfugiés qui entrent dans l’Union en passant par l’Ukraine peuvent être renvoyés vers cette dernière.

Le long de la frontière orientale de l’Europe, la sous-traitance de la politique d’asile de l’UE est plus avancée que dans toute autre région”, écrit Popp, qui ajoute qu’“apparemment, Bruxelles espère que ce système conduira à une réduction du nombre de demandeurs d’asile en Europe – sans trop attirer l’attention”. Mais en 2010 déjà, l’ONG Human Rights Watch avait critiqué l’UE “pour avoir investi des millions d'euros afin de déplacer les flux d’immigrés loin de l’Europe et vers l’Ukraine, sans s’assurer que des mesures suffisantes pour assurer un traitement humain des réfugiés soient adoptées”.

Selon le témoignage d’Hasan Hirsi, les réfugiés en Ukraine sont traités de manière inhumaine. Un des camps de rétention où il a été interné, à Pavichno, était par exemple connu comme “le Guantánamo de l’Est”. Dans les camps, les migrants “étaient gardés dans une pièce obscure et non chauffée, et les gardes leurs refusaient d’utiliser les toilettes. De nombreux réfugiés urinaient dans des bouteilles ou par terre, et ils ne recevaient rien à manger pendant des jours. ‘Nous étions enfermés comme des bêtes’, affirme Hirsi.” Pendant les interrogatoires, les agents frappaient les migrants et leur envoyaient des décharges électriques. Selon Hirsi, l’un d’entre eux aurait affirmé “maintenant vous êtes en Ukraine. Pas en Allemagne. Pas en Angleterre. Ici, il n’y a pas de démocratie”.

Le récit de Hirsi coïncide avec de nombreux autres rapports et témoignages. Selon le Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), l’arrestation des migrants en Ukraine viole la Convention européenne des droits de l’homme. La crainte, c’est que le traitement des migrants puisse encore empirer, à cause de la crise en cours en Ukraine. Comme le note le représentant du HCR, “le gouvernement de Kiev est déjà totalement accaparé par la gestion et la protection des réfugiés internes, qui sont près d’un million. […] De fait, il n’est pas en mesure de s’occuper également des demandeurs d’asile”.

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