Idées Crise des réfugiés

Le pire et le meilleur de l’Europe

Publié le 8 septembre 2015 à 07:29

On aurait pu imaginer lors de la phase la plus aiguë de la crise grecque que l’Europe avait donné le pire d’elle-même. La fracture entre tenants de l’orthodoxie et partisans de la solidarité, pour simplifier, menaçait de faire imploser la zone euro, dressait les Européens les uns contre les autres et mettait en danger la construction européenne.

Le troisième plan d’aides adopté, la tension est redescendue et l’Union semblait prête à repartir de l’avant lorsqu’une autre crise, elle aussi annoncée, est venue la bousculer. La vague de réfugiés qui arrivent sur son flanc sud-est a pris de l’ampleur au printemps, notamment avec l’aggravation du conflit en Syrie. Avec son lot de tragédies et de chiffres – près de 2 500 morts (noyés pour la plupart) les huit premiers mois de l’année et plus de 320 000 personnes entrées en Europe, selon l’Office international des migrations – met certes à l’épreuve les capacités d’accueil des pays de l’Union, mais elle a surtout révélé les contradictions de sa politique en matière d’asile et le manque de courage ou de compassion de certains de ses dirigeants, tétanisés face à l’ampleur de la crise et plus prompts à suivre les craintes de leurs administrés, en mettant en avant l’aspect sécuritaire du dossier, qu’à faire ce qui est juste. Et surtout, elle a fait exploser au grand jour une autre fracture au sein de l’Ue, bien plus profonde et menaçante pour le projet européen.

Alors que les pays du sud-est, Grèce, Italie et Hongrie en tête, sont sous pression, car ils doivent faire face à l’arrivée de plusieurs centaines, parfois des milliers, de réfugiés par jour, et que quelques pays d’Europe occidentale, Allemagne en tête, ont finalement décidé de leur ouvrir leurs portes, d’autres, notamment au sein du Groupe de Visegrad, refusent d’accueillir davantage de réfugiés ou de participer à tout système de quotas qui ne serait pas volontaire – ce qui revient au même. Certains se sont même dits prêts à accueillir uniquement des réfugiés chrétiens, plus “intégrables” contrairement aux musulmans – un argument évoqué également par les mouvements populistes et xénophobes en Europe occidentale.

Outre à tracer a priori une distinction entre “bons” et “mauvais” réfugiés, ce qui est contraire à la lettre et à l’esprit du droit d’asile, cette attitude révèle une méconnaissance (ou est-ce de la mauvaise foi ?) quant à la nature de ceux qui cherchent refuge en Europe. Car il s’agit pour l’essentiel non pas des djihadistes, mais des familles issues des classes moyennes fuyant la guerre et des régimes répressifs, très semblables à celles qui fuyaient les régimes communistes en Europe centrale et orientale et que l’Europe occidentale a accueilli à bras ouverts. La crainte de voir leurs pays relativement ethniquement et culturellement homogènes s’ouvrir au multiculturalisme tel qu’il est véhiculé par les médias, avec son lot d’émeutes, de communautarisme, voire de terrorisme, justifierait à leurs yeux l’hostilité à toute forme d’ouverture.

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Mais ce qui est plus grave, c’est qu’elle révèle une fracture au sein de l’Union quant à la vision même de ce qu’elle représente et de son avenir : est-elle destinée à rester une communauté d’intérêts essentiellement économiques ou souhaitons-nous aller plus loin vers un véritable destin commun basé sur des valeurs – solidarité, ouverture, laïcité, tolérance, liberté – que nous partageons ?

Face au silence des élites européennes, que Berlin a courageusement rompu en donnant l’exemple, une partie de la réponse est venue de la société civile, qui a su réagir afin d’accueillir dignement les réfugiés. Un peu partout des maires, des associations, des simples citoyens se mobilisent pour leur apporter un soutien matériel et moral et rappeler que l’Europe est capable du pire, mais aussi du meilleur.

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