Idées Ecoutes américaines

Les Européens font leur cinéma

L’indignation des dirigeants européens dans l’affaire des écoutes américaines est surfaite, assure le New York Times dans son éditorial, tout comme leur menace de geler leurs négociations commerciales avec les Etats-Unis. Ce type de surveillance est en effet légal aux Etats-Unis, et Washington n’aura pas manqué d’en communiquer les résultats à ses partenaires européens.

Publié le 3 juillet 2013 à 15:14

Il semble y avoir une part de comédie dans le tollé qui fait rage en France, en Allemagne et dans d’autres pays européens après les révélations de l’édition Web du magazine d’information allemand Spiegel le week-end dernier, selon lesquelles la NSA a mis des représentations diplomatiques sur écoute et surveillé leurs intranets.

Espionner ses alliés fait mauvais genre, et le sujet est rarement débattu sur la place publique sauf lorsque, comme aujourd’hui, des documents émanant d’agences de renseignements fuitent et sont publiés dans la presse. Pourtant, il y a bien longtemps que les gouvernements des deux rives de l’Atlantique (et presque partout ailleurs) espionnent indifféremment leurs ennemis et leurs alliés.

L’apport de la technologie informatique

Elle est loin, l’époque où le Secrétaire d’Etat Henry Stimson, justifiant en 1929 sa décision de dissoudre les services de déchiffrement du Département d’Etat, déclarait : "Les gentlemen ne lisent pas le courrier des autres". La NSA a vu le jour en catimini en 1952, avec pour mission d’intercepter tout type de communication en provenance de l’étranger, usant pour ce faire de tous les outils de surveillance imaginables.

La nouveauté, c’est l’apparition de la technologie informatique, grâce à laquelle le stockage d’informations est si peu coûteux et l’analyse des données si rapide que l’agence n’est désormais plus confrontée à aucune contrainte technique pour ce qui est du volume de données qu’elle est capable de réunir et d’utiliser. La modération politique n’en apparaît que plus importante. Or, il est difficile de parler de sagesse politique lorsque le moindre détail est soustrait au regard de l’opinion.

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La plupart des gouvernements européens sont sans doute conscients depuis belle lurette des capacités de la NSA. L’Européen de la rue, en revanche, n’en savait rien, jusqu’à ce que le Spiegel publie cette semaine le nombre d’appels téléphoniques, de courriers électroniques et de SMS privés que la NSA surveille actuellement chaque mois en Europe. Le magazine cite le chiffre de 500 millions par mois pour la seule Allemagne. Devant un tel chiffre, on se prend à penser qu’une bonne partie des activités d’espionnage de la NSA n’ont sans doute aucun lien avec la sécurité nationale des Etats-Unis ou la lutte contre le terrorisme.

L’accord de libre-échange dans l'intérêt de tous

L’espionnage de citoyens européens par la NSA est parfaitement légal au regard de la législation américaine ; l’agence a seulement l’interdiction d’espionner des Américains sans y avoir été autorisée par un tribunal. Tout comme les agences de renseignements allemandes n’ont pas le droit d’espionner les Allemands. Il est naïf de croire que des agences de renseignements alliées se gardent d’échanger des informations lorsque certaines y ont accès et pas les autres.

C’est pourquoi l’indignation des dirigeants politiques européens paraît surfaite, tout comme leurs menaces de geler les négociations sur l’accord de libre-échange transatlantique (les écoutes de la NSA auraient pu avoir pour objectif de mettre au jour des stratégies de négociation). Il ne serait pas surprenant d’apprendre que les Européens tentent également de glaner des renseignements sur la stratégie de négociations des Etats-Unis. Quoi qu’il en soit, la signature d’un accord demeure dans l’intérêt de toutes les parties.

Ces récentes divulgations pourraient avoir une retombée positive en renforçant les exigences de l’Union européenne en faveur d’un durcissement des règles relatives à la compilation de données sur les particuliers, par les Etats comme par les entreprises. Ces règles ne seront sans doute pas perçues comme des entraves aux activités clandestines de la NSA, mais pourraient contraindre l’agence à se montrer plus prudente et plus sélective dans ses pratiques. Il y a plus prometteur, comme stratégie de renforcement de la sécurité internationale, que de se mettre à dos les citoyens de certains de nos plus proches alliés.

Vu d’Europe

Pourquoi donc écouter des conversations ennuyeuses ?

“La NSA récolte des informations juste pour récolter, et c’est une mauvaise affaire”, assure un analyste stratégique du Hague Centre for Strategic Studies. Dans une tribune publiée par De Morgen, Teun van Dongen se demande ce que les Etats-Unis peuvent faire de toutes les informations recueillies à Bruxelles, pour la plupart “extrêmement ennuyeuses”:

En ce qui concerne l’espionnage du Conseil européen, la plupart des informations porte sur des politiques qui n’ont aucun intérêt pour les Etats-Unis. Cela évoque même une image un peu curieuse : un salarié d’un service secret de l’un des pays les plus puissants au monde, un casque sur la tête, les yeux plissés, écoutant en secret une conversation téléphonique sur le chômage des jeunes ou les quotas de pêche.

“L’utilisation de la NSA contre les diplomates européens est un moyen très coûteux de demander un chemin connu”, estime Teun Van Dongen. Si les activités d’espionnage servaient bien à en savoir plus sur les désaccords entre pays membres sur des ”sujets mondiaux”, “même un lecteur de journal assidu aurait pu fournir ces information à la NSA” car ce ne sont pas des secrets d’Etat mais des informations publiques.

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