Idées La relance selon la BCE

Lettre ouverte à mes amis allemands

L’Allemagne demande, non sans raison, un changement de cap dans la politique de la Banque Centrale Europénne. Mais pour ce faire le mieux serait qu’elle commence par renoncer à imposer l’austérité à l’ensemble de la zone euro, note l'éditorialiste Guillaume Duval.

Publié le 18 septembre 2019 à 16:47

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Chers voisins et amis,

Le 12 septembre dernier Mario Draghi, le président en fin de mandat de la Banque centrale européenne, a annoncé une relance du Quantitative easing, la politique destinée à injecter des liquidités dans l’économie européenne pour soutenir l’activité. Ces annonces ont suscité chez vous un tollé. Le quotidien Bild est allé même jusqu’à titrer, montage photo à l’appui, sur le “comte Draghila” qui aspire les comptes d’épargne des Allemands comme un vampire. Je voudrais vous dire que, même si beaucoup chez vous en font manifestement trop, comme c’est le cas du Bild Zeitung, vous avez raison à bien des égards raison de critiquer sévèrement la politique monétaire de la BCE.

C’est vrai qu’elle est très inégalitaire. Elle pénalise l’épargne des couches populaires et des classes moyennes, qui n’est plus rémunérée qu’à des taux très faibles - le plus souvent inférieurs à l’inflation - alors que dans le même temps elle dope les prix des actifs, actions et immobilier. Or ce sont les plus riches qui détiennent, en Allemagne comme ailleurs, l’essentiel du patrimoine : les inégalités dans ce domaine sont partout beaucoup plus marquées que pour les revenus.

Une politique injuste

La politique de la BCE permet donc à ces très riches d’encaisser des plus-values très importantes lorsqu’ils cèdent des actifs. Et la hausse des prix de l’immobilier qu’elle entretient complique l’accession à la propriété de ceux qui sont dépourvus de patrimoine, malgré les bas taux d’intérêt. Elle pousse également les loyers vers le haut, amputant le pouvoir d’achat des locataires. Et les spéculateurs et intermédiaires sur les marchés financiers - ceux là même qui nous avaient conduits dans le mur en 2008-2009 ! - se remettent à encaisser des revenus et des commissions plus que confortables. Alors que dans le même temps, les couches populaires et les classes moyennes ont subi de plein fouet les effets des politiques d’austérité budgétaire, qui amputent leur pouvoir d’achat par les hausses d’impôts qu’elles entrainent et réduit leur niveau de vie en limitant les services publics auxquels ils ont accès.

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C’est vrai aussi que la politique de la BCE se révèle, dans la durée, peu efficace - et probablement l’est-elle de moins en moins. Bien qu’elle ait injecté plus de 2 000 milliards d’euros dans l’économie de la zone euro depuis 2014, l’économie n’est que très temporairement repartie. La banque centrale n’a pas atteint son objectif de porter l’inflation au plus proche des 2 %, afin d’éviter à la zone euro le risque d’entrer durablement en déflation. Elle a enfin permis, en rendant le crédit moins onéreux que jamais, la survivance de nombreuses « entreprises zombies », autrement dit d’entreprises dont l’activité n’est pas rentable parce qu’elles ne sont pas suffisamment innovantes et efficaces. Cela a freiné d’autant la modernisation du tissu économique.

Bref, chers amis et voisins allemands, vous avez donc à de nombreux égards raison de critiquer sévèrement la politique monétaire de la BCE et de vouloir en changer.

Une responsabilité allemande

Mais le problème c’est que c’est surtout vous qui, en réalité, empêchez de la modifier. C’est l’attitude des gouvernements allemands successifs en matière de politique économique en Europe (avec le large soutien de l’opinion publique) qui rend impossible pour l’instant de renoncer au Quantitative easing. L’insistance allemande sur un retour rapide, dès 2010, à l’austérité budgétaire généralisée s’était notamment traduite par l’adoption en 2011 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).

Parallèlement les autorités allemandes insistaient beaucoup auprès de leurs voisins, et notamment des pays les plus en crise, pour qu’ils adoptent des mesures drastiques de baisse du coût du travail et de libéralisation du marché de l’emploi sur le modèle des réformes de Gerhard Schröder au début des années 2000. Ce cocktail terriblement toxique avait fait retomber la zone euro dans la déflation et la récession, cassant la reprise entamée en 2010.

Pour sortir de ce piège, il avait fallu en effet, à cause de vous, que la BCE se lance en 2012 dans le Quantitative easing que vous dénoncez. A partir de 2017, la BCE a cherché cependant à normaliser sa politique monétaire et à arrêter d’injecter des liquidités dans l’économie européenne. Mais parallèlement la pression était maintenue, du fait notamment du gouvernement et de l’opinion publique allemande, pour des politiques budgétaires restrictives et des politiques du marché du travail déflationnistes dans la zone euro. Et le résultat prévisible, accentué par les incertitudes géopolitiques croissantes, s’est produit : l’économie européenne est retombée dans la stagnation. Obligeant la BCE à rouvrir les vannes du Quantitative easing.

Vous n’en voulez plus ? Très bien. Il ne tient qu’à vous d’arrêter d’idolâtrer le “Schwarze null” 1 budgétaire chez vous et chez vos voisins. Il ne tient aussi qu’à vous d’arrêter de croire, et de faire croire à vos voisins, que la course au moins disant social est l’alpha et l’omega de la compétitivité d’une économie. Et cela alors même que l’industrie allemande est la preuve vivante de l’exact inverse.

Bref, cessez (enfin) d’imposer des politiques déflationnistes à la zone euro et la BCE pourra adopter une politique monétaire plus raisonnable et plus conforme à vos souhaits !

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