L’Europe n’est pas si extrêmiste

On nous avait annoncé que les électeurs européens – fatigués de la récession économique et de l'austérité – se tourneraient vers les partis radicaux hostiles à l'UE et aux immigrés. Ils continuent pourtant de choisir le camp modéré.

Publié le 31 juillet 2012 à 15:06

L'économie et l'ordre géopolitique européens sont en crise. Le chômage, l'austérité et les tensions entre les Etats ont conduit de nombreux observateurs à déclarer que le climat politique du continent commence à ressembler à celui des années 1930. Dans l'ensemble, cette affirmation est pourtant fausse.

Jusqu'à présent, le centrisme reste de mise quasiment partout. Ce n'est pas la recrudescence de l'extrémisme qui est remarquable, mais plutôt son absence, compte tenu de l'ampleur et de la durée des crises.

C'est en France que la montée de l'extrémisme s'est avérée la plus inquiétante. En avril, lors du premier tour des élections présidentielles, les partis radicaux ont gagné beaucoup de terrain. Toutefois, comme il n'y avait pas le moindre risque qu'un candidat autre que les deux principaux prétendants ne remporte le scrutin, voter pour des extrémistes était sans conséquence.

La situation n'était pas comparable lors des élections législatives qui ont eu lieu en juin. Si, lors de ce vote, les partis radicaux avaient obtenu des résultats similaires à ceux de l'élection présidentielle, ils auraient occupé un nombre record de sièges à l'Assemblée nationale. Toutefois, les Français les ont finalement délaissés. Le Front National de Marine Le Pen n'a gagné que deux places, sur les 577 que compte la chambre basse. Les groupes de centre-gauche et de centre-droit ont remporté 560 sièges.

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Au sud des Pyrénées, les conditions économiques sont bien pires qu'en France. En Espagne, une personne sur quatre est au chômage et de nouvelles mesures d'austérité sont annoncées presque tous les mois. Pourtant, les élections générales qui ont eu lieu en novembre 2011 n'ont entraîné qu'un glissement attendu du centre-gauche vers le centre-droit. Exception faite du soutien accru (de 4 % à 7 %) accordé au parti radical Izquierda unida (IU, Gauche unie), les extrêmes n'ont pas progressé depuis les élections de 2007.

Quant au Portugal, il enregistre le deuxième taux de croissance le plus bas d'Europe occidentale depuis plus d'une décennie. Les dernières élections ont eu lieu au printemps 2011, au moment où le pays a été contraint de demander un plan de sauvetage à l'UE et au FMI. Le parti de centre-gauche qui était au pouvoir a perdu neuf points par rapport au scrutin précédent, au bénéfice du centre-droit, qui a gagné 10 points. Les Portugais n'ont pas davantage soutenu les extrêmes et n'ont pas donné l'impression de vouloir revenir aux anciennes méthodes autoritaires.

De son côté, l'Italie n'a pour l'instant pas eu besoin de demander une aide extérieure, contrairement à ses voisins méditerranéens. Pourtant, tout comme le Portugal, sa situation économique avait commencé à se dégrader bien avant 2008. Actuellement, cette économie fragile est à nouveau en récession. Néanmoins, la principale conséquence politique de la crise économique reste un sentiment anti-politique. Le “Mouvement 5 étoiles”, lancé sur Internet par le militant Beppe Grillo, est apparu ex nihilo lors des élections qui se sont déroulées en mai et il est impossible de le placer précisément dans le spectre politique. Si Beppe Grillodéfend des mesures économiques radicales – une sortie de l'euro et le non-paiement des dettes de l'Etat – son mouvement ne semble aucunement s'opposer aux grands principes démocratiques.

Et même en Grèce, où les échecs économiques et politiques sont les plus cuisants, les violences n'ont pas été aussi importantes que ce à quoi l'on aurait pu s'attendre, compte tenu de l'ampleur de la catastrophe. Malgré un lourd passé terroriste, il n'y a pas eu d'assassinats politiques. Il y a certes eu des manifestations populaires, mais elle n'ont pas été plus violentes que les émeutes qui ont déchiré le pays un an avant l'effondrement de l'économie.

En Allemagne, qui ne semble pas vraiment traverser de crise et où le chômage est au plus bas depuis des décennies, l'opinion publique est extrêmement mécontente des coûts entraînés par les plans de sauvetage qui bénéficient aux économies fragiles de la zone euro. Malgré tout, aucun des trois partis d'opposition qui siègent au Bundestag n'est allé à l'encontre du gouvernement à ce sujet, alors que de telles prises de position auraient pu être payantes d'un point de vue électoral. En dehors de la sphère politique, les entrepreneurs et les économistes s'opposent de plus en plus aux sauvetages financiers. Néanmoins, aucun groupe contre l'euro ou les mesures de renflouement ne semble émerger à l'approche des élections fédérales qui auront lieu en 2013. A l'instar de l'Italie, la principale évolution que connaît l'Allemagne est anti-politique, puisqu'un mouvement pirate est également apparu.

La Finlande est l'un des rares pays où le centre s'est véritablement affaibli. Le parti isolationniste des Vrais Finlandais a multiplié ses résultats par cinq lors des dernières élections générales, au printemps 2011. Toutefois, même s'il s'agit d'un groupe de chauvins xénophobes, ses idées isolationnistes n'ont rien d'antidémocratique.

En dehors de la zone euro, la situation est similaire, à l'exception de la Hongrie, où les principes démocratiques sont remis en question, et de la Roumanie, plus récemment. Pourtant, on est encore loin des autocraties des années 1930.

Pour comprendre la situation actuelle, il faut s'attarder sur le contexte des années 1990 et non pas sur celui des années 1930. Au début de la première décennie qui a suivi la chute du communisme, les anciens pays de l'URSS – en Europe centrale et orientale – ont subi des chocs considérables pendant la transition qui les a conduit d'un système géré par l'Etat à une économie de marché. De nombreux secteurs, qui avaient bénéficié du soutien de l'Etat à l'époque du communisme, se sont effondrés. Le niveau de vie a plongé, à la suite de quoi le chômage a explosé. A ce moment, contrairement aux années 1930, les populations ne se sont pas tournées vers les extrêmes. Au lieu de ça, elles ont quasiment toutes choisi de refuser l'inertie : tout au long des années 1990, dans les anciens pays du bloc communiste, presque aucun gouvernement n'a été réélu.

C'est exactement ce qui se passe en Europe actuellement. Les électeurs rejettent les dirigeants sortants, et non pas le système démocratique ou ses valeurs. Pour en arriver là, il faudrait que la crise s'aggrave et se prolonge de façon interminable. C'est malheureusement un scénario qu'il faut envisager.

Contrepoint

Budapest et Bucarest, les contre-modèles

“Hongrie, Roumanie : et si la vraie crise de l’Europe était à l’Est ?”s’interroge Mediapart au lendemain duréférendum sur la destitution du président roumain,Traian Băsescu.

Le site d’information français observe que:

le durcissement du régime roumain semble illustrer, comme, d’une autre manière,la Hongrie de Viktor Orbán, l’affaissement démocratique de pays de l’Union frappés de plein fouet par la crise.

Car, même si le rapprochement entre les expériences hongroise et roumaine a ses limites, Mediapart, explique, en rapportant les propos d’un géographe, que dans ces deux pays, “l’entrée dans l’Union ne s’est pas accompagnée de son corollaire attendu : davantage de bien-être”. Bien que “fonctionnant sur des registres très différents”, le Premier ministre roumain Victor Ponta et son homologue hongrois “seraient en fait le produit de ce désenchantement”.

“Certains observateurs voient dans les crises actuelles de la Roumanie et de la Hongrie, la preuve que l’élargissement de l’Union aux pays d’Europe orientale a été réalisé trop rapidement”, note Mediapart qui estime cependant que

s’il existe une responsabilité de l’Europe aujourd’hui, c’est surtout dans sa quasi-impuissance à contrer ces dérives autoritaires, qu’elle ne peut que condamner dans ses discours.

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