Idées Après le référendum catalan

Naufrage à la Catalogne

Le bras de fer entre le gouvernement nationaliste catalan et celui de Madrid, qui a débouché sur les violences qui ont marqué le référendum sur l’autodétermination de la région du 1er octobre, s’est conclu sans vainqueur et éloigne l’espoir d’une solution politique à la question catalane.

Publié le 3 octobre 2017 à 14:06

Le piège s'est refermé. Par son arrogance, son orgueil de politicien aveuglé par le cynisme et la croyance illusoire qu'il tirerait légitimité politique de l'utilisation de la force, Mariano Rajoy s'est précipité exactement là où les nationalistes catalans voulaient l'entraîner : dans la répression policière, la violence inacceptable, la brutalité insupportable.

Le chef du gouvernement voulait montrer les muscles. Il n'a fait que raviver les ombres de la dictature, les blessures du passé dont se nourrissent les nationalistes catalans. Déjà revoit-on des éditorialistes qui glosent sur un pays (l'Espagne) dont la classe dirigeante de droite, serait fille de la dictature. Or l'Espagne de 2017, même lorsqu'elle envoie ses policiers bloquer d'une manière scandaleuse et inadmissible les "bureaux de vote" catalans, n'est pas un régime autoritaire, n'a rien à voir avec la répression franquiste de sombre mémoire. Mais le mal est fait.

Le message vénéneux est passé. Il sera difficile à l'avenir d'engager une désescalade et de trouver une solution politique. Lorsque le sang coule, l'encre des négociateurs s'assèche. Les nationalistes, catalans et espagnols, ont gagné et les Européens ont perdu. Et ils ont perdu quand ils ont commencé à considérer avec bienveillance les revendications de Barcelone. Non pas qu'elles étaient illégitimes. Les autonomistes catalans réclament encore plus de liberté fiscale, culturelle, administrative. Ils demandent les mêmes droits et le même statut que le Pays Basque a obtenus en échange de la pacification après des années de terrorisme.

L'histoire retiendra qu'en 2006 le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero avait concédé ces nouveaux pouvoirs à la Catalogne. Puis qu'en 2010, son successeur, le conservateur, Mariano Rajoy avait remis en cause l'accord à travers une décision très politique de la Cour Constitutionnelle. De là, l'enchaînement, le raidissement des deux camps, la chute. Car les autonomistes auraient dû en rester là. Logiquement, ils auraient dû continuer à faire de la politique et remonter inlassablement, comme Sisyphe, leurs revendications, travailler pour qu'un autre gouvernement, au niveau espagnol, reprennent à son compte les accords signés du temps de Zapatero.

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C'est l'opportunité et l'inestimable trésor qu'offre toute démocratie : remettre inlassablement des propositions sur la table pour obtenir des avancées et des compromis. Au lieu de cela, ils ont préféré la fuite en avant, l'escalade, les provocations d'un Carles Puigdemont. Les habits de l'autonomie ont été rangés au profit du costume sulfureux de l'indépendantiste au moment où un peu partout dans le monde le souffle de globalisation et la remise en question des certitudes d'autrefois poussent les citoyens à rechercher des points de repère faciles, des échappatoires politiques et identitaires, des boucs-émissaires. Le nationalisme catalan dira-t-on n'est ni anti-Ue, ni anti-immigrés.

C'est vrai. Les nouveaux apprentis sorciers du régionalisme agissent, disent-ils, en vertu de leur européisme, en promettant que leur sécession était aimable puisqu'elle était pacifique, progressiste, ouverte et conforme aux valeurs de l'Union. Mais ils ont en réalité trahi l'esprit européen car ils ont soufflé sur les braises et sur le ressentiment, ils ont agité la mémoire d'une Catalogne autrefois soumise par les Bourbons puis martyrisée par les Franquistes. Que n'a-t-on lu par exemple que certains soirs une partie des supporters du Barça se lèvent à la 17ème minute et 14 secondes pour scander "Independencia !" en souvenir de la chute de Barcelone en 1714 conquise par Philippe V. Bien sûr, nul ne peut et surtout ne doit nier que la Catalogne fut un des principaux bastions de la résistance au Caudillo.

Mais en 2017, instrumentaliser cette mémoire constitue une rupture, presque une violation du pacte fondateur de l'Europe unie. Non seulement parce que l'adhésion à l'Union implique en principe l'idée d'une certaine solidarité entre les régions et les citoyens et non un égoïsme économique régional mais surtout parce que les indépendantistes ont agité le poison de la division, de la revanche, du ressentiment qui débouche très souvent sur la haine. Y-a-t-il une seule revendication régionale notamment fiscale qui mérite que l'on prenne le risque de remettre en cause la paix dans un territoire qui a redécouvert la démocratie, la liberté d'opinion, culturelle, de parole, de manifestation après trois ans d'une terrifiante guerre civile et trente-six ans d'une sordide dictature ?

"Pour que tous les citoyens d’une nation aient quelque chose en commun il faut qu’ils aient oublié bien des choses de leurs origines" rappelait Ernest Renan. Et c'est là, l'un des principes absolus de l'Europe construite après-guerre sur les décombres des conflits et des totalitarismes: le souvenir des offenses, bien sûr et à jamais, mais aussi leur dépassement. La mémoire des tragédies mais aussi, toujours, la voie de la réconciliation. Carles Puigdemont a au contraire choisi la voie de la confrontation. Mariano Rajoy celle de la répression. L'erreur pour tous les Européens serait de choisir un camp, d'excuser les actions des uns par l'intransigeance des autres. Dans cette affaire, il n'y a pas de vainqueurs, que des vaincus. Un naufrage à la Catalogne.

Le titre de l’article fait référence à Hommage à la Catalogne, de George Orwell (1938).

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