Idées La Catalogne et l’indépendance

Une énorme tromperie

Publié le 7 octobre 2017 à 11:12

Ce qu’on observe ces dernières années en Catalogne peut être qualifié d’ "énorme arnaque", dont les racines puisent dans un intense processus d’appropriation de l’espace politique catalan au point d’asphyxier toute option étrangère à son approche. C’est une arnaque de dire, comme le font les indépendantistes, que les droits des Catalans ont été violés, qu’on leur a refusé de voter librement dans les consultations légales, ou que leur langue et culture ont été "étouffées" par Madrid. On observe que le "catalanisme" traditionnel, protégé généreusement par la constitution espagnole de 1978, qui a accordé une très large autonomie à la Catalogne, s’est mué en nationalisme et en des revendications d’indépendance régies par l’avidité, l’opportunisme et la concurrence en matière de politique intérieure. Or, il est impossible de contenir le nationalisme car il repose sur une dichotomie entre le bien et le mal, sur l’exclusivité et sur l’obligation de prendre partie.

Ajoutez à cela un contrôle de fait de la langue, de l’éducation, de la culture et des organes de presse et vous avez tous les ingrédients d’un nationalisme "laid" , voire d’un totalitarisme — celui qui a jadis anéanti l’Europe. On les a reconstruits dans un style nationaliste post-moderne, compatible avec les réseaux sociaux, un nationalisme de selfies avec drapeaux, de l’imaginaire audiovisuel avec une stratégie marketing impeccable, qui s’est développée essentiellement après l’arrêt du Tribunal constitutionnel sur le Statut de la Catalogne de 2010 — qui avait amendé le Statut — et après un processus de négociation désastreux, et encore davantage avec les mises en scène massives de la Diada, la fête nationale catalane.

Une chimère ethnique absurde dans une Espagne démocratique et ouverte. C’est ce qui a permis de séduire de nombreux Catalans — mais moins de 50% d’entre eux comme le montrent les résultats des dernières élections régionales. C’est un processus qui a culminé en pleine crise économique, pendant laquelle les laissés-pour- compte (dont une grande partie n’avait aucun penchant nationaliste auparavant) ont renforcé les rangs du mouvement séparatiste. Ce phénomène peut s’expliquer par l’émergence d’un mouvement global contre les inégalités générées par le néolibéralisme, et dans cadre s'explique qu'une partie des classes populaires locales se sont bizarrement allié actuellement aux plus nationalistes parmi les nationalistes catalans, clairement imbus de suprémacisme vis-à-vis des Espagnols "pauvres" . La recherche d’un bouc émissaire, la “méchante Espagne" incarnée par le slogan "L’Espagne nous dérobe" , vient compléter le tableau.

La dernier acte de cette supercherie s’est déroulé dimanche 1er octobre, avec l’appel suicidaire pour un référendum sur l’autodétermination lancé par un dirigeant politique qui avait admis par le passé avoir des inclinations au suicide politique. J’ai nommé Carles Puigdemont, président de la Generalitat. Il l’a fait malgré la proclamation par la Cour constitutionnel de l’illégalité de la consultation. Pour déterminer à qui revient la charge de la preuve, il suffit de rappeler qu’un coup d’Etat interne a eu lieu en Catalogne les 6 et 7 septembre, contre les institutions catalanes et celles de l’Etat espagnol, en ignorant la moitié non nationaliste de la représentation parlementaire.

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Le gouvernement, composé d’une coalition de partisans de l’indépendance de droite et des radicaux de gauche de la Candidature d’unité populaire — qui mène l’insurrection dans les rues et harcèle sans répit l’opposition en utilisant une stratégie révolutionnaire à l’état pur — a ignoré le Statut de la Catalogne et toutes ses dispositions juridiques, ainsi que la Constitution espagnole pour entériner deux lois. La première a permis d’organiser un référendum sur l’autodétermination, la deuxième de déclarer l’indépendance de manière unilatérale. Malgré les nombreuses décisions de justice, le gouvernement catalan ne voulait rien savoir et a poursuivi sa quête suicidaire en se présentant comme victime. Il parle de "policiers de l’Etat répressif contre des civils de la société civile sans défense", faute de police régionale, convertie en police politique. Le but étant de trouver un prétexte béton pour pouvoir déclarer l’indépendance de la Catalogne, un choix fait bien plus tôt. Leur cynisme et leur irresponsabilité atteignent des sommets.

En Europe, nous ne connaissons que trop bien la manipulation des sentiments primaires et les demi-vérités ou contre-vérités qui sont brandies lors des référendums. Nous en avons vu la démonstration avec le Brexit. Le gouvernement de Mariano Rajoy doit endosser la responsabilité de son inertie et de sa désinvolture, pris en étau entre le compromis institutionnel, l’application de la loi et l’esquive qui prend la forme de violence faisant le jeu des nationalistes qui peuvent se placer en victimes et faire la "une" de la presse internationale en tant que tel. Le style de gouvernance de Rajoy a été qualifié d’apathique, alors que la situation nécessitait de la réactivité, vu l’enchaînement éclair des évènements.

Ces évènements sont sans précédent dans l’histoire moderne de l’Europe et ont laissé pantois tous les gouvernements du continent et l’UE — pour qui cette problématique épineuse est malvenue. En effet, cet état de fait s’ajoute aux autres problèmes liés à la crise identitaire dans laquelle le Vieux Continent est plongé depuis bien des années. Sans parler du fait que le phénomène peut avoir un effet domino, touchant d’autres régions qui revendiquent l’indépendance dans l’UE. Nous arrivons à un tournant mais nous avons en face des interlocuteurs malavisés qui ne sont pas à même de restaurer l’ordre et le dialogue. Tout le monde évoque la nécessité du dialogue en ce moment, mais il semble impossible en l’état des choses. Nous avons besoin d’un nouveau point de départ si nous voulons conclure un accord tenable. Celui-ci passe par un référendum en bonne et due forme, une option improbable avec le gouvernement actuel, vu qu’elle s’inscrit en dehors du cadre constitutionnel présent ou un nouveau Statut avec ou sans amendement de la Loi fondamentale. Les nationalistes catalans n’accepteraient pas un tel scénario en raison de leur stratégie de l’affrontement.

Si Puigdemont déclare l’indépendance ces prochains jours, comme il l’a déjà annoncé, Rajoy activera l’article 155 de la constitution espagnole, privant ainsi la Catalogne de son autonomie. Ce faisant, il déclenchera des tensions que personne ne pourra imaginer. Mais, face au suicide que Puigdemont veut infliger à la Catalogne, quelle serait l’issue adéquate pour défendre l’Etat de droit et la démocratie — la vraie, celle qui représente tous les citoyens — qui constituent les valeurs fondamentales de l’Europe ?

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