Une identité européenne à portée de main

Malgré l'histoire différente de ses Etats membres et la baisse du soutien au projet européen, l'Union dispose de tous les éléments nécessaires pour former une communauté avec sa propre identité culturelle – à la fois singulière et partagée, affirme un politologue irlandais.

Publié le 4 décembre 2013 à 17:33

Pour les gens qui sont au fait des recherches menées sur la nature du nationalisme, l’évolution de l’Union européenne tient du mystère. Les institutions de l’UE ayant étendu leur rayon d’action et de nouveaux Etats membres ayant fait leur apparition, il n’est pas surprenant que l’UE tente de renforcer le sentiment d’appartenance à l’Europe.
Or, dans une Europe composée d’Etats nations, le défi est de taille. Une fois qu’un fort sentiment d’identité nationale – qu’il soit allemand, finlandais ou irlandais – est ancré dans l’esprit des populations, il est extrêmement difficile de l’en déloger, dans la mesure où la loyauté des peuples se voit détournée de l’engagement européen et où la construction d’une superstructure européenne forte est entravée. Pourtant, le processus d’approfondissement institutionnel s’est poursuivi. Comment cela a-t-il été possible ?

Il ne fait guère de doute que l’Union européenne de 2013 à laquelle appartient l’Irlande est bien différente de la CEE que le pays a rejoint en 1973. Bien que la finalité du “projet européen” soit plus acceptée qu’elle n’est définie – dans la mesure où il s’agit d’une fédération d’Etats membres européens – des progrès notables ont été accomplis. L’UE est gouvernée par un éventail de structures politiques et bureaucratiques qui, pour singulières qu’elles soient, ne se rapprochent pas moins de celles que l’on peut rencontrer dans un Etat fédéral.

Il manque cependant toujours à l’UE deux des caractéristiques essentielles d’une fédération : tout d’abord, elle ne contrôle à ce jour ni l’armée, ni les forces de l’ordre capables de s’assurer que la région reste sous son autorité et de veiller à la protection de ses intérêts extérieurs. Ensuite, Bruxelles n’assure pas ses fonctions de politique étrangère indépendamment mais les partage avec les Etats membres.

Font également défaut à l’UE bon nombre de spécificités qui ont permis aux Etats membres de façonner leur identité nationale. En l’absence de langue commune, elle est par exemple un kaléidoscope linguistique.
S’il est vrai qu’elle possède des éléments culturels communs issus de son passé religieux – en dépit des profondes antipathies partisanes qui ont marqué la tradition chrétienne en Europe occidentale – la place de la religion recule en Europe.

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La force du mythe

L’UE possède cependant les ingrédients nécessaires à la mythification d’un passé qu’elle peut faire remonter à l’Empire romain. Elle présente également d’autres particularités qui servent en général à forger l’idéologie nationaliste : des symboles, comme l’hymne et le drapeau ; une “mission” collective autoproclamée, la poursuite de la paix ; et, peut-être le plus essentiel de tous ces ingrédients pour la formation d’une identité collective, l’existence d’un “autre”, un rôle autrefois dévolu à l’Union soviétique et que d’autres candidats sont susceptibles de remplir aujourd’hui.

Intégrer les différents Etats de l’Union dans cette vision est forcément ardu. Pour beaucoup d’entre eux, l’“autre” tel qu’il fut défini pendant le processus d’édification de la nation se trouve être aujourd’hui un membre ami de la même structure politique supranationale. Pour les Irlandais, en particulier, dont le souvenir de la lutte pour l’indépendance a marqué la mémoire collective, remettre une nouvelle fois cette indépendance en jeu semble être un sacrifice particulièrement exigeant.

Cependant, [[il est possible que les valeurs nationalistes aient en réalité aidé l’Irlande à s’adapter à l’Europe : après tout, la CEE constituait un contrepoids notable face à l’ennemi héréditaire, l'Angleterre]], et l’adhésion à l’UE s’est traduite par un renforcement significatif de l’autonomie irlandaise, tout au moins vis-à-vis du voisin britannique. Sans cela, par exemple, l’Irlande aurait sans aucun doute adopté la livre sterling, mais la voix ses dirigeants n’aurait guère de poids dans la gestion des affaires monétaires.

Le rejet des traités de Lisbonne et de Nice par les électeurs irlandais a pu faire passer les Irlandais pour des Européens timorés, une image que les résultats des scrutins ultérieurs n’ont pas suffi à effacer. Mais il est bon de rappeler que ce sont les électeurs français et néerlandais qui ont retoqué le projet de constitution européenne, et que d’autres auraient sans doute fait de même – et auraient également voté contre d’autres volets du processus d’approfondissement de l’intégration européenne si l'occasion leur en avait été donnée.

Les sondages montrent régulièrement que les Irlandais continuent d’avoir une opinion plus favorable de l’UE que les citoyens de la plupart des autres Etats membres. Et si l’enthousiasme européen des Irlandais décline depuis dix ans, il décline ailleurs aussi, et l’avance irlandaise en la matière est remarquablement stable par rapport à la moyenne européenne.

L’opinion publique

Il est possible que les piliers sur lesquels s’est appuyé le nationalisme irlandais par le passé – comme sa langue ancestrale, son lien subjectif avec la tradition catholique et sa version militante et séparatiste de l’histoire – ont tous été ébranlés ces dernières années, permettant ainsi l’émergence de formes plus générales de loyauté. Mais la vitesse à laquelle l’opinion publique semble avoir changé reste une énigme. Pourquoi les citoyens irlandais, comme leurs homologues ailleurs, étaient-ils prêts à abandonner leur fameux passeport vert, à adopter l’euro à la place de la livre, voire de se soumettre aux priorités de la politique européenne étrangère et de défense ? Et pourquoi les élites irlandaises, comme celles d’autres Etats membres, sont-elles disposées à céder une part de leur pouvoir décisionnel et à renoncer aux perspectives de promotion à l’échelon national (même si des perspectives bien plus reluisantes attirent une poignée d’entre eux à l’échelon européen) ?

Ces questions sont épineuses et soulèvent une question plus générale au sujet de l’énigme susmentionnée. Plutôt que d’explorer l’“euroscepticisme”, dont les racines n’ont rien de surprenant dans une union composée d’Etats nations, ne devrions-nous pas explorer plutôt l’“euronationalisme”, une force qui a joué un rôle de tout premier plan dans le processus d’intégration européen ?

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