Actualité Santé publique

Le désert médical avance en Europe

Vagues de départs en retraite, manque de formation de nouveaux praticiens, émigration des praticiens vers des pays aux conditions de travail plus favorables... d'ici 2020, l'Europe pourrait manquer de 230 000 docteurs.

Publié le 4 décembre 2018 à 21:45

En l'espace de vingt ans, le service public de santé roumain a perdu 5000 médecins, près de 10 % des praticiens en exercice, et pourrait manquer de 12 000 thérapeutes, dans les quinze prochaines années. En France, on compte 9,1 % de généralistes en moins qu'il y a dix ans. Quant à l'Italie, elle pourrait manquer de 34 000 médecins d'ici 2028. Le constat est similaire dans tous les États membres et n'est pas nouveau. Déjà en 2012, la Commission européenne estimait que l'Europe pourrait manquer de 230 000 médecins à l'horizon 2020. Une situation dans laquelle 13,5 % des besoins de santé des Européens ne seraient pas pris en charge.

La France a récemment annoncé qu'elle allait créer 400 postes de médecins salariés et 4000 postes d’assistants médicaux. La Roumanie a l'intention de revoir à la hausse le nombre de places d'internes. Mais il n’est pas certain  que ces mesures suffisent, car ces déficits sont en grande partie structurels.

Des médecins inégalement installés sur le territoire

Paradoxalement, le nombre de médecins progresse en Europe. Il aura augmenté de 5% entre 2010 et 2020, ce qui est supérieur à la création moyenne d'emplois  tous secteurs confondus (3 %). Mais les difficultés à recruter persistent. Le manque de candidats ayant les qualifications requises est responsable de la moitié des postes de médecins non pourvus dans l'Union européenne.

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Ces difficultés sont particulièrement prégnantes dans les zones rurales, surtout en Scandinavie, en France, en Estonie, ou en Lettonie, où les médecins s'installent beaucoup dans les villes mais peu à la campagne. En Slovaquie, où le phénomène est aussi particulièrement marqué, on compte par exemple 6,8 médecins pour 1000 habitants en zone urbaine et 2,7 en zone rurale, soit 2,5 fois moins. En Hongrie, on dénombre 5,1 praticiens pour 1000 habitants en ville, contre 2,2 à la campagne.

Des praticiens de plus en plus âgés

Parallèlement, le nombre de spécialistes augmentent bien plus rapidement que celui de généralistes. Un phénomène qui risque de s'amplifier avec les départs en retraite massifs qui s'annoncent dans les années à venir. Dans certains pays, la part des médecins âgés de plus de 55 ans est considérable. Elle est par exemple de 55 % en Italie, de 47 % en France et de 48 % en Estonie. Les États membres, qui ne semblent pas avoir suffisamment anticipé ce phénomène, n'ont pas prévu de former un nombre suffisant  de nouveaux praticiens pour combler ce vide. C'est surtout vrai dans l'Europe des 15.

Dans les pays qui ont intégré l'Union européenne plus récemment, le problème est ailleurs. Ces États ont parfois des difficultés à retenir leur personnel de santé. C'est également le cas dans les pays qui ont été durement touchés par la crise, comme le Portugal ou la Grèce, où le turnover est important. Les longues journées de travail, le stress, la difficulté à allier vie personnelle et professionnelle, la rémunération trop faible, le manque d'infrastructures de qualité peuvent les pousser à quitter leur travail. Ou à aller l'exercer dans d'autres pays, à même de leur offrir des conditions plus favorables. Parmi toutes les professions réglementées, les médecins sont d'ailleurs ceux qui émigrent le plus en Europe. On constate principalement des flux de l'Est vers l'Ouest et/ou du Sud au Nord. Ce phénomène accroît même le manque de médecins dans certains pays, comme en Pologne et en Hongrie. A l'inverse, des États tels que l'Allemagne, les pays scandinaves, mais surtout le Royaume-Uni voient de nombreux praticiens étrangers s'installer.

Au Royaume-Uni, le Brexit accentue le manque de médecins

Le national health service (NHS), le service de santé anglais, puisait jusqu'à présent beaucoup dans la main-d’œuvre européenne pour compléter son personnel médical, si bien que les médecins originaires de l'Union européenne constituent environ[ 10 % des professionnels exerçant au Royaume-Uni](https://researchbriefings.parliament.uk/ResearchBriefing/Summary/CBP-7783%20) aujourd'hui.

Mais depuis 2015, les arrivées ralentissent. C'est en effet cette année-là que David Cameron, alors Premier ministre, a annoncé vouloir tenir un référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Depuis que le Brexit l'a emporté en juin 2016, le gouvernement anglais s'est engagé à ce que les médecins européens, entre autres, ne soient pas impactés et puissent continuer à exercer au Royaume-Uni, mais les inquiétudes persistent et les étrangers ne se sentent plus les bienvenus. En 2017, 3458 médecins originaires d'un autre pays de l'Union européenne ont été enregistrés, contre 4644 en 2014, soit une baisse de 26 %. Une étude de 2016 montrait que le Royaume-Uni aurait besoin de 190 000 nouveaux médecins d'ici 2027.[ De nouveaux praticiens vont être formés](https://www.independent.co.uk/news/health/jeremy-hunt-doctor-training-medical-school-nhs-staff-shortages-a8264101.html), mais plus encore que dans les autres pays, rien ne garantit que ces places supplémentaires soient suffisantes pour combler le manque au Royaume-Uni.

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