Actualité Meurtre de Paweł Adamowicz
Varsovie, 14 janvier. Marche contre la violence après l'assassinat de Paweł Adamowicz.

Aux racines de la haine qui fracture la Pologne

L’assassinat du maire de Gdańsk, Paweł Adamowicz, le 13 janvier, intervient dans un climat de violence qui a envahi peu à peu la vie publique polonaise, désormais profondément divisée entre partisans du gouvernement national-populiste et ses opposants, explique notre correspondant.

Publié le 18 janvier 2019 à 22:13
Tadeusz Rudzki | Wikimedia  | Varsovie, 14 janvier. Marche contre la violence après l'assassinat de Paweł Adamowicz.

Le maire de Gdańsk Paweł Adamowicz est décédé le 14 janvier des suites de ses blessures. Il avait été poignardé la veille par un déséquilibré sur la scène où se déroulait la finale du Grand orchestre de charité de Noël (WOŚP), un événement auquel il assistait chaque année. Motif invoqué par le tueur, qui venait de sortir de prison : il avait été arrêté puis détenu à l’époque où la Plateforme civique (PO, libérale) d’Adamowicz était au pouvoir (2007-2015).

Gdańsk, tout un symbole de la lutte entre la liberté et ceux qui veulent la limiter ou l’abolir. C’est ici que la chute du communisme a commencé en 1980, dans les chantiers navals où travaillair Lech Wałęsa. C’est ici qu’a été récemment ouvert le musée de la Seconde guerre mondiale présentant une interprétation historique de la souffrance de tous les Européens pendant ce conflit, Adamowicz ayant bravé l’interdit du parti Droit et Justice (PiS), au pouvoir, selon lequel le martyr subi par les Polonais ne peut être comparé à celui des autres (même si finalement le parti conservateur a changé la conception du musée). Enfin, c’est ici qu’ont retenti les premiers coups de canon du cuirassé Schleswig-Holstein sonnant le glas de l’entre-deux guerres. Et maintenant, cet acte barbare qui sème la terreur et qui s’inscrit dans un mouvement plus large à même de museler la liberté d’expression.

En quoi l’œuvre d’un schizophrène paranoïde représente-t-il plus qu’un fait divers tragique ? Cet acte est-il révélateur d’un climat politique tendu ? Les avis divergent à ce sujet. En tout cas, il est sûr que la violence verbale s’accentue en Pologne et qu’elle peut engendrer la violence physique.

Une histoire récente mouvementée

Certaines tensions sont apparues en 2010, lors du crash du Tupolev qui transportait le président Lech Kaczyński à Smoleńsk, en Russie. En dehors du chef de l’Etat, le gouverneur de la banque centrale polonaise, le chef d'état-major des armées et d’autres personnalités avaient trouvé la mort dans cet accident. Très rapidement, des théories du complot abracadabrantesques ont émergé. Certaines d’entre elles soutiennent que le gouvernement de Donald Tusk (actuel président du Conseil européen), de mèche avec le Kremlin, avait orchestré un attentat.

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Le problème, c’est que le frère jumeau du président défunt et chef du premier parti du pays Droit et Justice (PiS), Jarosław Kaczyński, n’a jamais réfuté ces arguments et a même surfé sur la vague des zones d’ombres planant sur l’enquête diligentée après le drame pour asseoir son électorat avec un discours de haine qui mêle la prétendue responsabilité de la PO dans cette catastrophe, la malhonnêteté de ses membres et le fait qu’elle est le cheval de Troie de l’UE qui veut limiter la souveraineté de la Pologne.

Mais il faut remonter à 2005 pour retrouver la source de cet affrontement verbal violent entre la PO et le PiS. Ces deux partis devaient entrer en coalition pour diriger le pays après la dégringolade de la gauche au pouvoir, similaire à celle du PS en France en 2017. Cependant, la formation de droite conservatrice et celle de droite libérale ne sont pas parvenues à un accord. Depuis, ces deux mouvements dominent la scène politique en étant systématiquement opposés l’un à l’autre, malgré la proximité idéologique. Les hommes politiques des deux partis ont donc commencé à s’invectiver pour des raisons de plus en plus irrationnelles et détachées de la réalité, pour se démarquer de l’autre.

Des invectives à tout va

Ainsi, Stefan Niesiołowski (PO) a déclaré notamment que "le mal est toujours l’œuvre des Kaczyński", que "Lech Kaczyński a besoin de traitement pour soigner son système nerveux", et a comparé l’ancien chef de l’Etat au dictateur communiste Gomułka. Les membres du PiS rendent la pareille aux partis de l’opposition. Krystyna Pawłowicz excelle en la matière : "Il ne suffit pas de bouffer des hormones pour devenir une femme" (à propos de l’ancienne députée transsexuelle Anna Grodzka), "Ceux qui se trouvent à gauche dans l’Hémicycle sont des bêtes sauvages", ou encore "Je prie pour que l’UE vole en éclat" ne sont que des exemples parmi tant d’autres. Jarosław Kaczyński a quant à lui asséné à propos de Smoleńsk : "Vous avez détruit mon frère, vous l’avez tué, vous êtes des canailles. Vous avez peur de de la vérité. Vous êtes des traitres."

Deux réalités parallèles, deux interprétations

Selon la PO, on peut lier le discours de haine de la majorité actuelle à l’acte de violence de dimanche dernier. Cette argumentation avait déjà été soutenue par le parti lors du meurtre d’un assistant parlementaire en 2010. Mais à l’époque, c’était un membre du PiS qui en avait fait les frais.

L’idée est que la chasse aux sorcières (contre la PO, la gauche, les juges, les homosexuels, les étrangers et les soutiens de l’UE) du parti de Kaczyński crée un climat dans lequel l’impunité des gens violents, aussi bien au niveau verbal que physique, est normale, dès lors que la personne attaquée appartient à un des groupes ciblés par Droit et Justice. Ainsi, le gouvernement tolère les marches de l’extrême droite. L’homme qui a brûlé une poupée à l’effigie d’un juif en public a failli échapper à la prison.

En outre, les médias polonais alimentent cette atmosphère délétère. Dans le numéro actuel, l’hebdomadaire conservateur wSieci suggère que les juges sont "une caste prête à en découdre", en les représentantavec des bazookas sur la couverture. Le magazine Do Rzeczy apublié en une des journalistes de droite en armure. Le titre : "La Pologne contre l’Empire homo". La presse libérale n’est pas toujours exemplaire non plus. Newsweek Poland avait évoqué "Le viol de la Pologne",illustré par l’emblème polonais fracassé, en première page lorsque le PiS a commencé sesréformes controversées en janvier 2016.

Mais le PiS a une toute autre interprétation des faits. La première chaîne de télévision TVP1, qui a subi des purges importantes après son arrivée au pouvoir et qui est à sa botte, a désigné Donald Tusk et Jurek Owsiak comme les coupables de ce climat de haine qui a conduit au meurtre au couteau. Dès dimanche soir, alors qu’Adamowicz encore vivant venait de se faire poignarder, le JT avait diffusé des citations hors contexte où le président actuel du Conseil européen déclarait notamment que les membres du PiS allaient "subir une extinction, comme les dinosaures". Owsiak a été pendant un quart de siècle l’organisateur du WOŚP (il a démissionné suite au décès du maire de Gdańsk). Ce personnage populaire est considéré comme controversé par le PiS car il promeut des valeurs peu orthodoxes et un mode de vie décadent. TVP1 a donc profité de la tragédie pour citer deux mots de son intervention (“Pays sauvage”) afin d’illustrer sa prétendue implication dans la dégradation du climat politique.

Une population déboussolée

Le citoyen lambda a du mal à démêler le vrai du faux dans ce contexte où toutes les pistes sont brouillées. Très clairement, deux camps que tout sépare sont apparus en 2005 en Pologne et rien n’annonce que ce clivage puisse s’estomper. Les électeurs du PiS sont plutôt âgés, catholiques pratiquants, moins éduqués et dans l’est du pays. Ceux de la PO sont plutôt jeunes, moins regardant sur les préceptes de l’Eglise, diplômés du supérieur et habitent davantage à Varsovie et plus près de la frontière avec l’Allemagne. Ce partage sépare donc souvent les membres d’une même famille dont le grand-père de Białystok est convaincu de l’implication de Tusk dans la catastrophe de Smoleńsk et la petite-fille qui a déménagé à Varsovie pour y étudier et travailler. Les sujets politiques sont donc rarement évoqués lors des repas de Noël des familles multigénérationnelles, tellement ils sont explosifs.

Et pourtant, ce sont tous les Polonais qui doivent revenir à la raison pour parvenir à apaiser les tensions. A commencer par les politiques et les journalistes bien évidemment. Pas sûr qu’ils ont compris le message, bien qu’ils le martèlent eux-mêmes. Ils voient la paille qui est dans l’œil de leurs frères et n’aperçoivent pas la poutre qui est dans le leur. En attendant, un autre fou a appelé le 112 trois jours après le meurtre d’Adamowicz en déclarant "Adamowicz est mort. Tusk est le suivant sur la liste. Je vais lui loger une balle dans la tête".

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