Idées L’UE et la crise du COVID-19

L’impuissance de l’Europe n’est pas une fatalité

Contrairement à ce que de nombreux affirment, l'Union européenne peut faire beacoup pour protéger ses citoyens de la pandémie et pour faire face aux conséquences du manque de coordination entre les Etats membres, affirme le juriste Alberto Alemanno.

Publié le 3 avril 2020 à 09:31

Plus de 250 millions de citoyens européens sont soumis à un confinement obligatoire à domicile pour contribuer à freiner la propagation du Covid-19. Pourtant, alors que les Suédois, les Allemands et les Bulgares se promènent encore plus ou moins librement dans leurs villes, les Italiens, les Espagnols et les Français ne peuvent pas quitter leur domicile. Les enfants suédois vont toujours à l’école, alors que la plupart de leurs homologues européens ne le font pas. Des magasins sont ouverts aux Pays-Bas ou au Danemark, mais fermés ailleurs.
Comment comprendre ces réalités contradictoires alors que les citoyens européens sont tous également touchés par le virus ? Comment atteindre le même objectif : l’endiguement de la maladie dans un continent commun, supposé sans frontières, avec un tel éventail de politiques différentes ?
Pour la grande majorité des citoyens européens, cette urgence est ce qu’il y a de plus proche à l’expérience d’une guerre qu’ils pourraient avoir. Et alors qu’un grand nombre d’entre eux se tournent vers l’UE pour obtenir une protection et des solutions communes, Bruxelles semble impuissante.
Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a réprimandé les gouvernements des Etats membres pour leur incapacité à s’accorder lors du dernier sommet européen. Trop parmi eux, a-t-elle déclaré, ont égoïstement "pris soin d’eux-mêmes", en limitant les exportations de fournitures médicales vers d’autres pays de l’UE et en fermant les frontières.
L’UE elle-même ne peut pas faire grand-chose contre une pandémie. Elle ne peut pas fermer des écoles, suspendre des matchs de football ou boucler des villes. Elle ne peut même pas fermer les frontières pour freiner la propagation du virus. Seuls les gouvernements peuvent le faire. C’est d’ailleurs ce que certains ont fait, contre l’avis de l’OMS, en suspendant pour la première fois l’espace de libre circulation de Schengen.
L’Union européenne peut atténuer l’impact socio-économique de la pandémie en offrant à ses Etats membres une certaine souplesse en ce qui concerne les règles de l’UE en matière de déficit et d’aides d’Etat. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait : en plus d’un fonds d’investissement de 37 milliards d’euros destiné à contrer les effets de Covid-19 sur l’économie du continent, elle a lancé une opération conjointe de passation de marchés portant sur des respirateurs, des masques et d’autres équipements médicaux vitaux nécessaires sur tout le continent. Les dirigeants de l’UE sont également en train de mettre en place un nouveau centre européen permanent de gestion des crises.
Pourtant, les gouvernements de l’UE pourraient faire davantage, ensemble, pour rassurer leurs 500 millions de citoyens, à un moment où leur destin commun en tant que communauté n’a jamais semblé aussi réel.
Malgré les limites inhérentes à l’Union, les 27 ministres européens de la santé pourraient décider – sur une base volontaire – de mettre en commun leurs pouvoirs souverains en cas d’urgence. Ils pourraient commencer à coordonner – sans nécessairement harmoniser – la collecte des données (il existe actuellement trois sources différentes), des tests (il n’y a pas d’approche unique ni de base de données centrale), ainsi que le confinement, la quarantaine et la distanciation sociale . L’avantage le plus évident d’un tel effort méthodologique à l’échelle de l’UE serait de rendre les comparaisons nationales soudainement significatives.

L’autre mesure utile serait de cesser de penser uniquement en termes d’Etats nationaux et de penser plutôt en termes régionaux. Etant donné que l’épidémie de coronavirus se concentre dans les régions et que les infections ne se propagent pas de manière égale sur le territoire de chaque pays, les mesures d’endiguement sanitaire ne seraient plus conçues en fonction des compétences, mais en fonction des régions.
Cela fonctionnerait même lorsque les frontières régionales traversent les frontières nationales, comme c’est le cas de l’ensemble du territoire basque, qui traverse la frontière franco-espagnole. Les mesures conçues à ce niveau seraient intrinsèquement mieux adaptées aux circonstances locales, proportionnées aux objectifs déclarés et potentiellement plus aptes à préserver les libertés des populations concernées.
Une approche régionale aurait également le mérite de favoriser la coopération et la solidarité en matière de santé sur l’ensemble du territoire de l’Union. Cela se fait déjà à petite échelle : des hôpitaux du Bade-Wurtemberg, en Allemagne, traitent des patients gravement malades atteints de coronavirus en provenance de la région voisine de l’Alsace, en France, qui a du mal à faire face à la situation. Et un petit nombre de patients atteints de Covid de Bergame, en Italie, ont été transférés à Leipzig après que les autorités de Saxe sont intervenues pour les aider.
Etant donné les différents moments de la propagation du virus, une approche transfrontalière du traitement hospitalier pourrait changer la donne. Une réponse coordonnée à l’échelle de l’UE permettrait de combler le fossé entre la politique de lutte contre la pandémie au niveau national et les dures réalités sanitaires sur le terrain.
Mais ce n’est pas tout.
L’absence d’une réponse cohérente à l’échelle de l’UE à la pandémie compromet l’une des réalisations les plus extraordinaires de la coopération européenne : l’espace Schengen permet aux personnes de se déplacer librement sans passeport depuis le milieu des années 1990.

Mais les contrôles aux frontières ont maintenant été rétablis par 12 des 26 pays du bloc. Bien que ces contrôles n’offrent pas d’avantage sanitaire majeur – ils ralentissent au contraire la libre circulation des travailleurs et des fournitures-clés qui pourraient être nécessaires dans cette situation d’urgence – ils sont inévitables lorsque les Etats membres ne disposent d’aucun plan d’action coordonné en matière d’endiguement.

Une réponse coordonnée à l’échelle de l’UE rendrait ces restrictions frontalières inutiles. Qui plus est, les mesures d’endiguement auraient plus d’impact si elles étaient le fruit d’un échange de conseils d’experts, de perspectives communes et d’un débat public beaucoup plus large que ce qu’elles reçoivent actuellement dans les différents Etats.
La plupart des mesures mises en œuvre précipitamment au niveau national sont exceptionnellement restrictives des libertés individuelles et collectives. Les pouvoirs d’urgence étant déployés quotidiennement pour gérer la pandémie de coronavirus sur le continent, il existe un risque réel que leur exercice soit utilisé pour éroder non seulement les droits à la libre circulation, mais aussi les droits civils et, en fin de compte, la démocratie.
L’UE, en tant que garant ultime de l’Etat de droit, devrait non seulement superviser mais aussi empêcher que ces nombreuses mesures répressives ne portent atteinte aux libertés civiles des citoyens ou, comme dans le cas de la Hongrie, n’affaiblissent les institutions, dans le cadre de la lutte contre la crise du coronavirus.
En fin de compte, la gestion européenne de Covid-19 a révélé une vérité gênante. Etant donné le niveau élevé d’interdépendance socio-économique en Europe, les solutions au niveau de l’Etat-nation peuvent faire plus de mal que de bien, en offrant une illusion de sécurité et de sûreté.
Il n’est pas forcément en être ainsi. Etant donné que chaque approche nationale contre le Covid-19 implique des compromis différents, et que ceux-ci se répercutent sur d’autres pays, il y a un argument moral – bien que pas encore légal – pour que nos dirigeants nationaux travaillent ensemble au sein de l’Union européenne afin de coordonner leurs interventions de santé publique de toute urgence et de le faire dans le respect de la loi.
Cette urgence sanitaire permanente est une rare occasion de démontrer que l’UE n’est pas seulement importante, mais qu’elle peut aussi nous protéger, tant du virus que de nos gouvernements respectifs.

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