Cet été, je guettais avec impatience le départ en vacances. Il faut dire que les mois ayant précédé la pause estivale n’ont pas été de tout repos pour qui s’intéresse à la migration et à la politique en général. Entre les élections européennes et le succès “limité” de l’extrême droite, les législatives françaises “montagnes russes” et les émeutes racistes au Royaume-Uni, j’attendais avec hâte – et apparemment beaucoup de naïveté – un retour à l’ennui.
Hélas, l’actualité de la migration semble indiquer qu’un retour à la normale est désormais impossible. Faisons donc un rapide tour d’horizon des événements marquants de la rentrée.
L’Allemagne s’embourbe dans la question migratoire
En Allemagne, l’attaque de Solingen – qui a fait trois morts et plusieurs blessés – et, plus récemment, le score historique du parti Alternative für Deutschland (AfD, extrême droite) aux élections régionales de Thuringe (32,8 %, 32 sièges sur 88) ont achevé de plonger le gouvernement fédéral dans une frénésie de mesures anti-migrations.
L’exécutif allemand avait déjà créé la polémique en expulsant 28 ressortissants afghans condamnés par la justice vers l’Afghanistan au terme de deux mois de négociations avec le gouvernement des Talibans par l’intermédiaire du Qatar.
Aujourd’hui, il compte temporairement étendre le contrôle des frontières terrestres du pays. Une décision qui, comme l’écrit Christian Jakob pour Die Tageszeitung, ne tient pas compte de la situation réelle aux frontières allemandes : “La droite et les conservateurs aiment affirmer que nous sommes face au ‘chaos’ et la ‘perte de contrôle’, qu'on ne sait pas qu’il se passe, que les terroristes et les grands criminels peuvent simplement se promener”. Pour lui, “ceux qui entendent toujours les mêmes arguments officiels justifiant pourquoi les contrôles doivent à nouveau être effectués au sein de l'UE [...] doivent penser que la situation était auparavant exactement comme le prétendent les extrémistes de droite”. Selon Jakob, ce genre de mesures risque d'entraîner, par effet domino, une aggravation de la situation aux frontières extérieures de l’Europe.
En France, un “dur sur l’immigration” comme Premier ministre
En France, le président de la République Emmanuel Macron (Renaissance, centre droit) a provoqué un scandale (ou sauvé la France, selon à qui vous demandez) en désignant Michel Barnier, ancien député, ministre et négociateur du Brexit, au poste de Premier ministre. Il met ainsi fin à une crise politique née des dernières élections législatives en jetant son dévolu non pas sur la candidate proposée par la gauche techniquement majoritaire (193 sièges sur 577), mais sur un politicien “consensuel” – à droite, en tout cas.
Mais tout consensuel qu’il est, Michel Barnier n’en reste pas moins un “un dur sur l’immigration”, précise Matthieu Aron pour Le Nouvel Obs : “Lors de la primaire organisée au sein des Républicains pour désigner leur futur candidat à la présidentielle de 2022, [...] Michel Barnier avait stupéfié tout le monde en proposant un ‘moratoire sur l’immigration’. Il plaidait alors pour mettre ‘un coup d’arrêt aux dérives, au laisser-aller’. Une ‘pause de trois à cinq ans’ permettant de freiner les régularisations inconditionnelles, le regroupement familial, les visas de longs séjours. Et il suggérait d’organiser un référendum afin que la France puisse fixer des ‘quotas d’immigrés’ et ‘retrouver sa liberté de manœuvre’ vis-à-vis de l’Europe.”
Frasque “Orbánienne” et réponse bruxelloise
Entre la Belgique et l’UE d’un côté et la Hongrie de l’autre, le torchon brûle de nouveau : voilà plusieurs semaines que cette dernière menace d’envoyer des cars entiers de migrants directement à Bruxelles. L’origine de la dispute ? Un rappel à l’ordre de la Cour de justice de l’UE, qui réclame à la Hongrie pas moins de 200 millions d’euros d’amende pour non-respect du droit européen en matière d’asile, comme l’explique Sára Anna Pupli pour le média hongrois Telex.
Une prune un peu trop salée au goût de Budapest, qui menace d’envoyer aux élites bruxelloises ces réfugiés qu’elles “invitent en Europe” – en tout cas, à en croire Balázs Orbán, le directeur politique de Viktor Orbán, ici repris dans Index, média anciennement indépendant depuis racheté par un proche du pouvoir.
En Belgique, le plan de la Hongrie a en tout cas motivé une édifiante séquence politique, faite de prise de bec entre politiciens belges, d’appels à bloquer les bus à la frontière et de critiques à l’égard de la “gauche bien pensante” inconsciente des “effets réels de sa politique”, rapporte Ugo Santkin dans Le Soir.
Mais cette dispute révèle la généralisation, à l’échelle européenne, des méthodes employées par les gouvernements pour traiter les migrants et la migration. “Détricotage de l’Europe, atteinte à l’Union ? Oui. Mais dans les faits, nombre de pays de l’UE qui s’indignent tentent mutatis mutandis leur version de ce rejet”, lance Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du Soir, en réaction au changement d’attitude d’Olaf Scholz face aux demandeurs d’asile. Un rejet qui s’incarne certes par “les Hongrois, avec ces bus qui vont venir déverser des migrants non désirés à Bruxelles”. Mais aussi, quoi qu’elle en dise, par “la Belgique, en version certes plus soft avec les négociateurs de [la future coalition gouvernementale] qui s’accordent sur une réduction d’un demi-milliard du budget de l’asile”, énumère-t-elle. Et de lancer, peut-être avec amertume, que “l’urgence électorale et la peur des extrêmes font courir les gouvernants comme des poules sans tête, avec le migrant pour exutoire.”
Nécessité fait loi
Peu de pays incarnent mieux l’emballement politique autour de la migration que la Pologne. Si le gouvernement actuel a été élu sur la base de la promesse de rétablir la démocratie après presque une décennie de règne du parti Droit et justice (PiS, extrême droite), son traitement de la question migratoire soulève de multiples questions. Cet été, le Parlement polonais a approuvé une législation permettant d’exclure du code pénal, sous certaines conditions, la responsabilité criminelle des agents en poste à la frontière avec la Biélorussie s’ils utilisent leur arme. Une autorisation à tirer à balles réelles en cas de “légitime défense” ou de façon “préventive”, en somme. Katarzyna Przyborska, dans Krytyka Polityczna, reprend les inquiétudes principales face à ce changement : “Qui jugera les décisions prises par un soldat ? La police militaire, qui a récemment été réprimandée par les politiciens ? Les officiers d'autres services ? Ou le tireur lui-même ? Les députés ont affirmé que nous devions simplement faire confiance aux soldats et aux officiers.”
Pour la journaliste polonaise, les propos de la majorité en défense du texte contribuent à créer un état de violence généralisée. “Ces déclarations des députés font le tour du monde en ce moment, alors que, enhardis par le langage anti-migrants et les actions d'un gouvernement démocratique censé faire respecter l'Etat de droit, les fascistes du pays se rassemblent pour ‘patrouiller’ dans les forêts à la frontière”, avertit-elle. “[Le gouvernement] a ouvert la voie à une violence qui ne fera que s'intensifier.”
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