draghi-Ivan Mata

Pas de compétitivité sans intégration et durabilité : les leçons du rapport Draghi

Le rapport sur l'économie européenne préparé par l'ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, est-il un mode d'emploi pour déréguler l'Europe ? Ou s'agit-il d'un plaidoyer en faveur d'une intégration européenne plus poussée et d'une transition économique plus juste ?

Publié le 9 octobre 2024

“L’Amérique innove, la Chine réplique, l'Europe régule – le rapport Draghi en six mots”. Voilà ce qu'a tweeté l'ancien rédacteur en chef du Financial Times, Lionel Barber, en utilisant un mème bien connu pour résumer le rapport de l'ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, portant sur “l'avenir de la compétitivité européenne”.

Pour faire écho au titre d'un article du Wall Street Journal paru en juin 2024, un examen rapide du rapport de Draghi semble suggérer que l'Europe est en train de se “réglementer droit vers la dernière place du podium” : le rapport est parsemé d'expressions telles que “réglementations restrictives”, “asymétries dans la réglementation”, “la réglementation est considérée par plus de 60 % des entreprises de l'UE comme un obstacle à l'investissement”, “fardeau de la réglementation”, “coût élevé de la conformité aux réglementations” et “entraves dues au poids croissant de la réglementation”.

Toutefois, comme l'explique Cristina Caffarra, professeur à l'University College London, pour le Centre for Economic Policy Research, Draghi ne promeut pas “une approche beaucoup plus axée sur le laissez-faire [...] – une douce musique pour les oreilles des géants américains de la technologie soumis à l'examen de la Commission européenne”. Pour Caffarra, il s'agit là d'une “déformation des propos de Draghi, utilisée par les intermédiaires des Big Tech et les opérateurs de télécommunications dans leur campagne visant à éviter les vétos concernant les fusions d'entreprises et à limiter la réglementation. [...] Le message à retenir de Draghi est en réalité le suivant (en paraphrasant) : Quelles que soient les mesures prises par les autorités chargées de l'application des règles de concurrence, elles ne contribuent pas vraiment à l'innovation et à la croissance en Europe. Elles n'atteignent pas cet objectif. Nous avons besoin de quelque chose en plus, quelque chose de différent. [...] Pas d'économies en silo. Une réflexion commune”.


Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

Dans le New Statesman, Wolfgang Münchau, directeur d'Eurointelligence, considère les réglementations dans le secteur technologique comme une menace directe pour la pertinence de l'Europe dans le monde de demain : “L'UE s'est dotée d'un régime de protection des données si restrictif qu'il constitue un obstacle au développement de l'intelligence artificielle. Elle a introduit une loi sur les services numériques qui traite les plateformes de réseaux sociaux comme hostiles à la culture européenne. [...] L'UE est coincée dans un piège technologique digne de l'ingénierie mécanique du milieu du 20e siècle”.

S'il a un respect évident pour l'analyse et la vision européenne de Draghi, Münchau nourrit peu d'espoir quant à la mise en œuvre effective des solutions de l'ancien Premier ministre italien. Considérant le Brexit comme une “calamité” emblématique pour les perspectives d'une intégration européenne plus forte, Münchau brosse un tableau désastreux : “L'UE n'a pas l'argent nécessaire pour cofinancer les investissements. Pour cela, il faudrait qu'elle devienne elle-même un pays souverain, avec le pouvoir de lever des impôts et d'émettre des emprunts. Mais c'est là que réside le problème : une UE défaillante avec une forte présence de partis d'extrême droite anti-européens n'assumera pas ces pouvoirs. L'approfondissement de l'intégration européenne est plus que jamais nécessaire. Mais je pense que son moment est passé. C'est pourquoi le déclin est le scénario le plus probable. Je ne m'attends toutefois pas à une rupture formelle. L'impasse représente le chemin de moindre résistance”.

S'adressant aux députés européens à Strasbourg le 17 septembre 2024, Draghi a déclaré que “l'Europe [était] confrontée à un choix entre la paralysie, la sortie et l'intégration”, l’intégration étant “le seul espoir restant”. Comme le rapporte Benjamin Fox dans EUObserver, Draghi répondait aux critiques de ses propositions, en particulier celles provoquées par une augmentation de 800 milliards d'euros par an de l'investissement économique européen, qui pourrait potentiellement s'appuyer sur la dette commune de l'UE. Comme le rappelle Fox, c'est la réponse de l'UE à la pandémie de Covid-19 qui a brisé le tabou autour de la dette commune : “L'idée d'une dette commune, comme celle que représentent les euro-obligations, a été un tabou pour les décideurs politiques de l'UE pendant de nombreuses années, mais ce tabou a été brisé en 2021 lorsque les gouvernements ont accepté de permettre à la Commission européenne de lever 800 milliards d'euros pour financer le programme NextGenerationEU afin d'aider les Etats membres à se remettre de la pandémie de Covid-19 en utilisant le budget de l'UE en tant que garanties. Les instruments de dette commune proposés par Draghi s'inspireraient du fonds de relance Covid-19”.

Cependant, comme le rapporte Thomas Moller-Nielsen pour Euractiv, Draghi insiste sur le fait que la dette commune n'est pas un “ingrédient essentiel” de sa solution, et qu'elle ne pourra être déployée que si “les conditions politiques et institutionnelles sont en place”.

Les commentaires de Draghi, présentés lors d'un événement organisé le 30 septembre par le think-tank Bruegel, ont été perçus comme un effort pour apaiser les Etats membres les plus “fiscalement agressifs”, tels que les Pays-Bas et l'Allemagne, qui n'étaient pas très enthousiastes face à ses propositions. Néanmoins, Draghi a insisté sur le fait que “dans ce nouveau contexte géopolitique, les pays individuels sont tout simplement trop petits pour faire face”.


À lire aussi

Qu'est-ce qui se cache derrière la crise de l'industrie automobile en Europe et comment peut-on éviter d'autres pertes d'emplois massives ?

Equal Times | 20 septembre | EN ES FR

La compétitivité et la durabilité sont-elles compatibles ?”, c'est la question qui a dû traverser l'esprit de nombreux Européens à la lecture du rapport Draghi. C'est aussi une question que se pose Equal Times alors que l'emploi de nombreux travailleurs européens de l'automobile est menacé aujourd'hui. Dans un contexte de licenciements massifs dus à la désindustrialisation (près d'un million d’emplois dans la production industrielle ont été perdus au cours des quatre dernières années), les auteurs se demandent si la nomination de Teresa Ribera – une “figure de proue de la transition écologique en Espagne” – à la Commission européenne constitue un pas dans la bonne direction, tant pour les travailleurs que pour l'environnement. Les auteurs voient également beaucoup d'espoir dans la vision de Draghi : “Ni la compétitivité européenne ni la réindustrialisation ne sont possibles sans une transition écologique juste, car l'avenir réside dans des industries durables. Une première lecture du plan Draghi laisse entrevoir une transition juste qui permettrait de protéger des emplois (de qualité et durables) et de concevoir les politiques nécessaires pour faire face à la crise climatique”.

Produire des voitures citadines électriques en France, un pari gagnant

Antoine de Ravignan | Alternatives Economiques | 12 septembre | FR

Malgré de nombreuses idées reçues, une étude menée par la Fondation Pour la Nature et l'Homme et l'Institut Mobilités en Transition indique que la France pourrait rivaliser avec l'Europe de l'Est et la Chine en matière de production de voitures urbaines électriques. Antoine de Ravignan se penche sur ces données et démonte certains mythes qui entourent l'industrie française. L'auteur explique également comment l'Union européenne dispose des outils nécessaires pour aider la France à combler le fossé qui la sépare de la Chine.

En partenariat avec Display Europe, cofinancé par l'Union européenne. Les points de vue et opinions exprimés n'engagent cependant que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement ceux de l'Union européenne ou de la Direction générale des réseaux de communication, du contenu et de la technologie. Ni l'Union européenne ni l'autorité subventionnaire ne peuvent en être tenues pour responsables.
Display Europe, European Cultural Foundation, European Union

Depuis les années 1980 et la financiarisation de l’économie, les acteurs de la finance nous ont appris que toute faille dans la loi cache une opportunité de gain à court terme. Les journalistes récompensés Stefano Valentino et Giorgio Michalopoulos décortiquent pour Voxeurop les dessous de la finance verte.

Voir l’évènement

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez un journalisme qui ne s’arrête pas aux frontières

Bénéficiez de nos offres d'abonnement, ou faites un don pour renforcer notre indépendance

sur le même sujet