Idées Europe et USA

Pourquoi la jeune génération américaine se détourne de l’Europe

Les Etats-Unis traversent une période de grand changement. Si le pays se dirige peut-être vers une amélioration, celle-ci ne viendra pas de la politique. Le pays est de moins en moins “européen”, nous dévoile George Blecher, journaliste et auteur américain.

Publié le 31 octobre 2024

Le 10 septembre, Donald Trump et Kamala Harris se sont affrontés lors de leur premier débat télévisé. En 90 minutes d'échange, les deux candidats à l’élection présidentielle des Etats-Unis n’ont prononcé que quatre fois les mots “Europe” et “Ukraine”. 

Trump s’est vanté, encore une fois, de vouloir forcer les nations européennes à payer “ce qui est dû” à l’OTAN. Harris a réitéré la vieille promesse du Parti démocrate : les Etats-Unis soutiendront leur alliés “comme il en est notre devoir, en tant que leader garant des valeurs et normes internationales. Et ce fut tout.

Mise à part la description du Premier ministre hongrois Viktor Orbán comme quelqu’un de “solide [et] intelligent” par Trump, et la joute des candidats quant à qui pourrait tenir tête à Vladimir Poutine, la menace que la Russie pose à l’Europe n’a pas été mentionnée, pas plus que le réchauffement climatique – un sujet que l’UE semble prendre bien plus au sérieux que la Maison-Blanche de l'actuel président Joe Biden, et certainement bien plus que Trump.

Le fait est que, depuis 50 ans – et plus récemment en raison de grandes vagues d’immigration – la population des Etats-Unis est de moins en moins européennes, et ainsi bien moins intéressée par l’Europe.


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Sur le plan démographique, la population a radicalement évolué depuis les années 70. Il y a 50 ans, les immigrants de première génération représentaient seulement 6 % de la population des Etats-Unis. Aujourd’hui, ils constituent 14 % de celle-ci..

Selon une étude de 2017, “les Américains présentent une plus grande diversité raciale et ethnique” et “il est probable que la population se diversifie encore dans les décennies suivantes. D’ici 2055, les Etats-Unis n’auront plus une seule majorité raciale et ethnique.

En 2008, le bureau du recensement des Etats-Unis a estimé que d’ici 2043, les Américains “blancs” ne constitueraient plus une majorité de la population. Une estimation ayant provoqué une telle panique dans certains milieux que depuis, la définition même de “blanc” en est brouillée. Mais un consensus émerge tout de même : d’ici la moitié du siècle, les Etats-Unis ne seront plus un pays à majorité blanche non-hispanique.

Il n’y a pas si longtemps, nous idéalisions Londres, Paris et Rome – des bastions de culture ! Ces destinations étaient même assez abordables pour nous permettre de passer des mois à flâner non seulement dans les églises, les musées, les bars et les cafés. Pour les Américains assez âgés pour se rappeler cette période, ce changement soudain est un peu déconcertant. Pour ma génération, l’Europe était la terre de nos ancêtres, de notre histoire culturelle, des principes républicains et nous rêvions d’être aussi sophistiqués que ces habitants. Aujourd’hui, l’Europe ne représente plus cela.

Ce détournement de l’Europe se remarque autant au niveau culturel et politique qu’au niveau démographique. Les cultures hispaniques et est-asiatiques dominent (ou tout du moins exercent une influence croissante sur) tous les aspects de la culture américaine, depuis la cuisine et la mode jusqu’à la musique. Les cours d’histoire dans les écoles ne sont plus centrés uniquement sur les institutions issues de l’Europe, mais également sur l’histoire de l’oppression des minorités non-européennes. La proximité de Bill Clinton et Tony Blair, la “bromance” entre Obama et Macron ainsi que les éloges de Bernie Sanders envers le Danemark et son Etat socio-démocrate exemplaire : tout cela fait partie d’un passé centré sur l’Europe, à présent révolu. 

L’intérêt que Trump porte à l’Europe semble être du même ordre que celui du propriétaire harcelant son locataire en retard sur le loyer. Harris, qui s’est tenue aussi loin que possible du Vieux Continent durant presque toute sa carrière politique, s’y est rendue pour la première fois en voyage diplomatique il y a trois ans, visite au cours de laquelle elle n'a pas eu grand-chose d'autre à offrir que des sourires polis.


Nous sommes peut-être une démocratie en péril, mais c’est aussi le cas de certaines nations européennes ; pourtant, une vision partagée de l’idéal démocratique survit


Peut-être est-ce subjectif, mais je ressens également un désintéressement venant de l’Europe. L’automne dernier, alors que je donnais un cours de politiques contemporaines américaines à la BISLA (Ecole internationale d’arts libéraux de Bratislava), un programme de licence donné en anglais en Slovaquie, j’ai constaté que pas un seul de mes étudiants n’était intéressé par la possibilité de partir aux Etats-Unis. Des trois raisons évoquées, la première se résumait à : “On n’a pas envie de se faire tirer dessus”, la deuxième à “C’est beaucoup trop cher”, et la troisième à “Même après le Brexit, on peut faire un master en anglais gratuitement dans un autre pays de l’UE.

Bien que les Européens aient toujours pour habitude d’étudier tout ce qui est américain, des spectacles de stand-up aux relations commerciales avec la Chine, il semble qu’un sentiment général d’amertume à l’égard des Etats-Unis se propage parmi eux : ils considèrent que les meilleurs jours du pays sont derrière lui, et – plus blessant encore pour les europhiles comme moi – qu’il ne représente plus un idéal d’Etat démocratique.

En partant de ce postulat, vers où se dirige la relation entre les Etats-Unis et l’Europe ? Difficile à dire, particulièrement en considérant la politique étrangère erratique des Américains ces dernières décennies : la guerre inconsciente de George Bush en Irak, le conservatisme de Barack Obama en Syrie, et plus récemment le mépris de Donald Trump envers l’OTAN et son retrait de l’Accord de Paris sur le climat. Le pouvoir se concentrant de plus en plus dans les mains de l'exécutif américain, cette instabilité risque de perdurer. Malgré cela, les liens qui unissent les Etats-Unis et l’Europe restent forts.

Nous sommes peut-être une démocratie en péril, mais c’est aussi le cas de certaines nations européennes ; pourtant, une vision partagée de l’idéal démocratique survit. Nous sommes liés économiquement et militairement : l’administration Biden a en effet traîné des pieds pour armer l’Ukraine, mais son engagement reste ferme aujourd’hui.

Derrière l’“optimisme américain”, une nouvelle génération

Je pense tout de même que les Européens prompts à juger les Etats-Unis devraient examiner l’étonnement dont ils aiment faire preuve, et considérer que leurs préjugés ne sont peut-être plus tout à fait d’actualité.

Certains amis européens me demandent parfois : “Mais comment est-ce possible que votre pays élise Donald Trump une seconde fois ? Comment est-ce possible que les Etats interdisent l’avortement mais que n’importe qui puisse acheter une arme à feu ?

Aussi ahurissant que ce soit, ces dures réalités sont, comme le dit si bien le colistier de Donald Trump pour la vice-présidence J.D. Vance, “[des] sombre[s] réalité[s] de la vie” – ou tout du moins de la vie aux Etats-Unis en 2024. Il faut les accepter comme des “réalités”, non pas comme des chimères tout droit sorties de cauchemars. Ce n’est pas le déni qui nous aidera à comprendre d’où elles viennent et à comment leur faire face.


Certains amis européens me demandent parfois : “Mais comment est-ce possible que votre pays élise Donald Trump une seconde fois ?”


Je ne pense pas que tous ces changements soient négatifs. En premier lieu, l’image des Etats-Unis comme joyeux “melting-pot” a toujours été un mensonge. Depuis ces débuts, notre nation est un conglomérat de groupes religieux et ethniques qui ne peuvent pas se voir en peinture. Petit à petit, les choses évoluent.

Grâce à l’immigration et la prise de conscience progressive des oppression des minorités, la jeune génération américaine est presque libérée des préjudices qui ont toujours été présents derrière le voile d’optimisme des Etats-Unis. Tous les sondages tendent à montrer que les jeunes acceptent bien plus facilement la diversité sexuelle et de genre que leurs aînés. Dans une ou deux générations, la population aura non seulement une apparence mais une façon de pensée différente, au moins en termes d’interactions sociales. Si le capitalisme ne semble pas reculer dans le pays, le communautarisme paraît perdre du terrain, et au moins grâce à cela, les Etats-Unis pourraient avoir quelque chose de positif à offrir à l’avenir.

Enfin, je me dois de crever l'abcès et parler du réchauffement climatique. Certes, il semble que la planète n’a jamais été autant divisée – et internet crée autant d’isolement que d’universalisme – mais ce problème traverse toutes les frontières. À l’avenir, il pourrait tous nous unir, balayant la cupidité, les guerres et les conflits politiques au regard de la menace d’une extinction planétaire. Ou peut-être pas ; le cynisme amer de J.D. Vance – son acceptation des “sombres réalités de la vie” – aura alors vraiment remporté la partie.

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