D’après le dernier indice de perception de la corruption 2025 publié par Transparency International, la Bosnie-Herzégovine figure parmi les trois pays européens où la corruption est la plus répandue. Cette donnée se reflète dans l'autoritarisme croissant des institutions et la marginalisation progressive de la société civile.
Le cas de la mine de Vareš, au cœur de la Bosnie centrale, est emblématique. Cette région, autrefois un important pôle industriel et devenue entretemps l'une des plus pauvres du pays, fait l'objet d'une vaste concession minière confiée à la société britannique Adriatic Metals. L'entreprise bénéficie d'un fort soutien politique, mais ses activités suscitent une inquiétude croissante parmi les écologistes, les juristes et une partie de l'opinion publique.
Une concession controversée
Le gouvernement fédéral de Bosnie-Herzégovine a classé le projet Vareš comme un investissement stratégique, ouvrant la voie à des dérogations et à des simplifications réglementaires. En 2021, Adriatic Metals a obtenu les droits d'exploitation du zinc, du plomb et de la barytine, avec des plans d'expansion vers des gisements d'or, d'argent et de cuivre situés dans des zones à haute valeur écologique. En janvier 2024, la société des eaux Vodokom a signalé une forte augmentation de la présence de cadmium dans la rivière Bukovica, qui alimente en eau potable environ 30 000 habitants de Kakanj. La contamination a été enregistrée précisément pendant l'intensification des activités minières en amont de la source.
L'Inspection fédérale de l'environnement a minimisé l'alerte, attribuant la présence du métal à une origine naturelle et Adriatic Metals a pu poursuivre ses travaux. Au lieu de lancer une enquête indépendante, les pouvoirs publics ont délivré de nouvelles autorisations sans aucune consultation publique, qualifiant la mine de projet majeur pour l'économie et le développement de la Bosnie-Herzégovine.
Parallèlement, des militants locaux ont saisi le Comité de la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe, également signée par la Bosnie-Herzégovine, pour dénoncer le risque que la mine compromette la biodiversité et les habitats protégés de la région.
En 2022, le Comité avait recommandé la suspension du projet dans l'attente d'une enquête. Mais les autorités bosniaques ont ignoré cette recommandation et, en mars 2024, le ministère fédéral de l'Environnement a demandé au Comité de rejeter toutes les accusations relatives aux effets néfastes potentiels de la mine sur la biodiversité et les sources d'eau de la Bosnie centrale.
Procédures-bâillons et tentatives d’intimidation
Parmi les voix critiques les plus actives figure celle de la militante Hajrija Čobo, qui a dénoncé les risques liés à la mine et à la destruction des forêts. En réponse, Adriatic Metals a intenté contre elle un procès en diffamation, typique des procédures-bâillons (des actions en justice visant à faire taire les journalistes). La plainte a été retirée peu après, notamment grâce à la pression de l'opinion publique.
Des verdicts ignorés
Le 30 décembre 2024, le tribunal cantonal de Mostar a annulé l'autorisation qui avait été accordée à la mine, reconnaissant de graves lacunes dans l'étude d'impact environnemental, notamment en ce qui concerne les sources d'eau de la rivière Bukovica.
La réaction du ministère ne s'est pas faite attendre. Dès que les médias ont rapporté la nouvelle de la décision, quinze jours seulement après l'annulation du permis, le ministère a délivré une nouvelle autorisation en y intégrant les documents reçus entre-temps de la part d'Adriatic Metals.
Tout cela sans organiser de débat public. Le nouveau document n'a jamais été publié, nous l'avons obtenu en invoquant la loi sur la liberté d'accès à l'information.
“La surveillance hydrogéologique continue de la quantité et de la qualité des eaux souterraines au cours de la période comprise entre 2021 et 2024 n'a pas révélé de variations [...] dans le système hydrologique environnant”, peut-on lire dans le document, qui précise également la différence entre la zone où les activités d'extraction sont menées et la zone faisant l'objet de la concession. Comme le souligne le ministère, il est important que l'activité extractive n'affecte pas la zone des sources protégées, qui coïncide toutefois en partie avec la zone sous concession.
D'autres questions n'ont pas été abordées en profondeur, notamment l'emplacement de la décharge, les routes forestières et l'abattage des forêts domaniales.
Déforestation et manque de transparence
Adriatic Metals a été accusée à plusieurs reprises de déforestation illégale. En octobre 2023, l'autorité cantonale chargée des forêts a dénoncé l'abattage non autorisé de plus de 100 arbres, mais le parquet a classé l'affaire en arguant qu'il s'agissait d'un terrain rendu constructible. Les militants, qui ont demandé en vain à consulter le contrat de concession, rappellent qu'aucun contrat ne justifie la violation de la loi bosniaque.
La zone autour de la mine, entre Vareš et Kakanj, abrite des forêts séculaires et une biodiversité extraordinaire, notamment la forêt pluviale de Trstionica, l'une des dernières en Europe. En 2023, une initiative visant à créer un parc naturel Trstionica-Boriva a été présentée, mais elle n'a jamais été officiellement discutée par le conseil municipal. D'après les témoignages d'activistes locaux, les forêts situées sur le versant de Kakanj qui ne font pas partie de la zone concédée à l'entreprise Adriatic Metals ont été abattues sans autorisation, même en dehors de la zone concédée, pour permettre le transport des résidus miniers.
Une décision inconstitutionnelle
En 2024, la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a suspendu la décision par laquelle le gouvernement fédéral avait autorisé l'utilisation temporaire de 72 hectares de forêt domaniale par Adriatic Metals. La concession a été jugée inconstitutionnelle, car elle avait été accordée sans l'avis du procureur et en violation d'une disposition du Haut Représentant des Nations unies, chargé d'assurer le développement pacifique et viable du pays, sur le gel de l'utilisation des biens publics jusqu'à l'adoption d'une loi spécifique.
Le jugement est resté lettre morte. Six mois plus tard, les travaux se poursuivaient sans encombre. "Il est de notoriété publique que l'activité extractive dans la zone est toujours en cours", a même admis un porte-parole de la Cour à Radio Slobodna Evropa.
Les propos du Premier ministre fédéral Nermin Nikšić, qui a qualifié la forêt de "stérile et inutile", ont suscité l'indignation. Les écologistes rappellent qu'il s'agit d'un habitat unique avec des arbres vieux de plus de trois siècles, et non d'un terrain à sacrifier pour un développement à court terme.
🤝 Cet article a été produit dans le cadre de l'Initiative pour le journalisme d'investigation et de collaboration (CIJI), un projet cofinancé par la Commission européenne. Il a été publié à l'origine par l'Osservatorio Balcani Caucaso Transeuropa (OBCT). Aller à la page du projet
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