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La rhétorique anti-immigration, vise (aussi) les réfugiés ukrainiens

En Roumanie, en Pologne, en Hongrie et en République tchèque, les partis d'extrême droite et populistes attaquent les réfugiés ukrainiens, qu’ils utilisent comme argument électoral et politique à connotation xénophobe. Un reflet de la situation à l'ouest du continent, où l'immigration “extra-européenne” fait office de bouc émissaire.

Publié le 20 octobre 2025

Plus de six millions d'Ukrainiens ont quitté leur pays et se sont installés ailleurs en Europe depuis le début de l’invasion russe en février 2022. Environ 4,3 millions d'entre eux ont obtenu une protection temporaire, qui leur permet de résider et de travailler librement dans les Etats membres de l'Union européenne.

Selon les statistiques du Haut Commissariat des Nations unies (HCR), la Pologne est le pays membre de I'Union européenne qui compte le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens (asile, protection temporaire ou autre système de protection) avec 1 903 100 personnes en janvier 2025. Viennent ensuite l'Allemagne (1 168 535 réfugiés ukrainiens), la République tchèque (636 595), l'Espagne (231 755) et l'Italie (207 150).

L'accueil réservé aux Ukrainiens a été relativement meilleur dans les pays de l'UE que celui réservé aux autres réfugiés d'origine non européenne.

Mais cela a changé. Plus de trois ans après le début de l'invasion à grande échelle, la rhétorique anti-ukrainienne occupe une place croissante dans le débat public et politique de certains pays d'Europe centrale. Grâce à nos partenaires du projet Pulse, nous avons recueilli des informations sur la situation en Pologne, en République tchèque, en Roumanie et en Hongrie.

“La Pologne d'abord”

Le 25 août dernier, le président polonais Karol Nawrocki (indépendant, soutenu par le parti d’extrême droite Droit et Justice) a opposé son veto à l'amendement à la loi sur l'aide aux citoyens ukrainiens qui proposait, entre autres, de prolonger la protection de ces derniers jusqu'en 2026.

Nawrocki a expliqué qu'il attendait du gouvernement : l’inclusion dans la loi d’une disposition stipulant que les allocations familiales ne seraient versées qu'aux Ukrainiens qui travaillent et paient des impôts en Pologne, comme l’explique Michał Kokot, du quotidien indépendant Gazeta Wyborcza. “‘La Pologne d'abord, les Polonais d'abord n'est pas seulement un slogan électoral”, a répété Nawrocki, reprenant son cri de ralliement de campagne.

Que disent les chiffres ? Selon un rapport Deloitte pour la Banque nationale polonaise, 78 % des citoyens ukrainiens résidant en Pologne ont un emploi. Les Ukrainiens ont contribué à hauteur de 15 milliards de zlotys (environ 350 millions d'euros) au budget polonais et à une augmentation de 2,7 % du PIB, ainsi que l'explique Gazeta Wyborcza.

Dans le pays, la rhétorique des politiciens évolue en fonction de l'opinion publique, poursuit Kokot, expliquant que la sympathie envers les Ukrainiens est en baisse. En 2023, 64 % des Polonais avaient une opinion positive à leur sujet ; début 2025, ce pourcentage est tombé à 53 %. De plus, un récent sondage révèle que plus de 19 % des Polonais sont favorables à priver les Ukrainiens du droit aux allocations familiales.

Les Ukrainiens “mieux traités que les Tchèques”

En République tchèque, la rhétorique anti-ukrainienne est le fait d’ANO 2011, le parti d'Andrej Babiš (vainqueur des élections des 3 et 4 octobre), en concurrence – en ce qui concerne les slogans anti-ukrainiens – avec le parti d'extrême droite Liberté et démocratie directe (SPD) de Tomio Okamura. En juin dernier, Okamura a critiqué la proposition d'accorder des allocations de maternité aux femmes ukrainiennes vivant dans le pays. Quelques jours plus tard, Babiš a repris le même discours. Une troisième force d'opposition exploite la propagande anti-ukrainienne : le parti pro-russe Stačilo! (“Assez !” en tchèque).

Stačilo! rassemble une partie de la gauche liée au Parti communiste et à divers mouvements de protestation, souvent à tendance ultranationaliste. La formation soutient également que la République tchèque devrait promouvoir la “paix” en Ukraine.

Les populistes et l’extrême droite répandent deux mythes dans la société tchèque : d’abord, que les réfugiés ukrainiens sont mieux traités que les citoyens tchèques ; ensuite, que les Ukrainiens sont suffisamment riches pour ne pas avoir besoin d'aide, ou qu'ils viennent de régions que la guerre n’a pas atteints.

Si l'on s'en tient aux faits, explique Petr Jedlička de Deník Referendum, 373 000 réfugiés ukrainiens sont recensés en République tchèque, dont seulement 89 000 reçoivent des aides ; parmi eux, la moitié sont des enfants, un tiers sont des retraités et le reste sont des personnes handicapées et des femmes en congé maternité.

La moitié des réfugiés ont un emploi et ne reçoivent aucune aide. Les données montrent également que l'économie tchèque tire un avantage considérable des réfugiés ukrainiens. Au premier trimestre 2025, les dépenses totales pour les réfugiés se sont élevées à 155 millions d'euros, tandis que pendant la même période, ils ont versé 286 millions d'euros en impôts et taxes.

Viktor Orbán et l’adhésion de l’Ukraine à l’UE

En Hongrie, la question, encore lointaine aujourd'hui, de l'adhésion de l'Ukraine à l'UE est utilisée à des fins politiques, explique Kata Moravecz, journaliste pour HVG.

Le gouvernement de Viktor Orbán a en effet mené un sondage au niveau national sur cette question en juin dernier. Envoyé à toutes les familles, le questionnaire commençait par affirmer que l'adhésion de l'Ukraine serait un coup dur pour l'économie hongroise et contribuerait à détériorer le niveau de vie de ses citoyens, soulignant en outre que la criminalité augmenterait dans le pays.

Le gouvernement affirme avoir reçu deux millions de questionnaires remplis, dans lesquels 95 % des personnes se sont déclarées opposées à l'adhésion de l'Ukraine à l'UE. Péter Magyar, dirigeant du parti d'opposition Tisza, affirme, en citant des sources du service postal hongrois, que seuls 500 000 questionnaires remplis auraient en réalité été renvoyés au gouvernement. Ni les autorités ni le Fidesz – le parti au pouvoir – ne sont en mesure de prouver ces affirmations.

Ces dernières années, le gouvernement Orbán a tout mis en œuvre pour dissuader les migrants de demander l'asile en Hongrie. Selon l'Unicef, le pays compte actuellement 61 000 Ukrainiens, dont 47 000 ne bénéficient que d'une protection temporaire.

Montée du sentiment anti-ukrainien en Roumanie

En Roumanie, seuls 21 % des personnes interrogées dans le cadre d'un sondage réalisé par l'institut Inscop Research percevaient les immigrants ukrainiens comme une menace sérieuse, rapporte Nicolae Cotruț de HotNews. Pourtant, ajoute-t-il, l’opinion publique à leur égard est en train de changer.

En septembre 2023, 64 % des Roumains estimaient que la Russie devait se retirer et restituer les territoires occupés à l'Ukraine. Ce pourcentage est aujourd'hui de 56 % ; parallèlement, 33 % des personnes interrogées pensent que l'Ukraine doit céder les territoires occupés par la Russie, contre 24 % il y a deux ans.

Si cette tendance se poursuit, ces pourcentages pourraient s'inverser, même si cela n'est pas certain. Cependant, la propagande russe reste extrêmement agressive et ceux qui la soutiennent, quelle que soit leur appartenance politique, sont très explicites”, affirme Remus Stefureac, fondateur de l’institut Inscop, qui a mené l'étude.

Selon Stefureac, les 21 % des personnes interrogées qui considèrent l'émigration ukrainienne comme une menace grave sont aujourd’hui la cible idéale des partis extrémistes et pourraient faire pencher la balance électorale en leur faveur.

Même xénophobie, cible différente

Le cas de la rhétorique anti-ukrainienne est intéressant car il rappelle, en miroir, la rhétorique anti-immigration en Europe occidentale : les discours sont semblables, la cible est différente.

Comment cela se fait-il ? “La raison de cette différence réside dans le panorama migratoire différent entre l'Est et l'Ouest. L'Europe orientale n'a pas eu de vagues migratoires importantes en provenance de pays non-européens, ce qui explique d'ailleurs, partiellement, la virulente réaction de ces pays contre toute initiative d'accueil, notamment dans le contexte du dispositif de Dublin après 2015. Là-bas, il s'agit d'une xénophobie ‘à distance’”, explique Denys Gorbach, sociologue ukrainien et spécialiste de l'économie politique et des mouvements sociaux.

Ce n'est que récemment que les pays d'Europe de l'Est ont “obtenu leurs migrants à eux : les Ukrainiens”, poursuit Gorbach : “Déjà avant l'invasion de 2022, [on y retrouvait] la population considérable des migrants "économiques" en provenance d'Ukraine, et maintenant des centaines de milliers de réfugiées s'y sont ajoutées. Selon le sociologue, “cela met en mouvement les mêmes mécanismes de 'racisation' et de nativisme qui sont à l'œuvre en Occident : finalement, nous avons ‘nos propres’ minorités à détester”.

Pourquoi cette différence entre l'Est et l'Ouest ? Parce que, ajoute Gorbach, ce rôle en Europe occidentale est occupé par d'autres minorités “étrangères” : les Turcs en Allemagne, les personnes originaires d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne en France, les Marocains et les Turcs en Belgique, par exemple.

De plus, en France par exemple, les exilés ukrainiens sont environ 70 000, un nombre marginal par rapport à la population du pays – plus de 68 millions d'habitants. “En plus d'être moins nombreuses, les réfugiées ukrainiennes (ce sont très majoritairement des femmes) à l'Ouest sont moins visibles et possèdent en moyenne plus de capital culturel et économique que celles qui se sont déplacées en Europe de l'Est”.

Autre différence : la propagande xénophobe en Europe occidentale “dépeint l'image d'un réfugié comme un homme à peau foncée, solitaire et violent, les Ukrainiennes [sont vues comme] Blanches, mais surtout ce sont le plus souvent des femmes, des mères célibataires, parfois avec des parents âgés à charge. En d'autres termes, il est plus difficile de les dépeindre comme des ennemis publics tant qu'il existe des cibles plus faciles”, conclut le sociologue.

🤝 Cet article a été réalisé dans le cadre du projet PULSE, une initiative européenne visant à soutenir la collaboration journalistique internationale. Nicolae Cotruț (HotNews.ro), Kata Moravecz (EUrologus/HVG) et Petr Jedlička (Deník Referendum) ont contribué à sa réalisation.

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