Zoppo était un pionnier : en 2017, il a suivi un ULM depuis Überlingen (Allemagne) jusqu'en Toscane, traversant les Alpes. En 2020, il est revenu seul, devenant ainsi le premier ibis sexuellement mature depuis plus de quatre siècles à parvenir à retourner sur le site de reproduction du lac de Constance d'où il était parti, le transformant année après année en une nouvelle colonie européenne.
La jeune Zaz apprenait cette année la route migratoire aux côtés de Zoppo : à seulement 5 mois, elle avait pris son envol avec lui pour rejoindre la Suisse, puis défier les courants ascendants et traverser les Alpes en direction de l'Italie. Tous deux ont réussi à atteindre leur but, mais moins d'une heure plus tard, ils ont été abattus alors qu'ils cherchaient à se nourrir dans un pré, à Dubino (Lombardie), épuisés et affamés après l'effort fourni.
Zoppo et Zaz faisaient partie des quelques centaines d'ibis chauves présents en Europe. Au XVIIIe siècle, il n'en restait plus un seul et, depuis 2004, on tente de réintroduire l'espèce, en réapprenant à chaque spécimen comment et où migrer grâce à des vols d'accompagnement dédiés.

Selon les experts, pour assurer l'autonomie reproductive de l'espèce, il faut atteindre au moins 360 spécimens : nous y sommes presque. Si ce n'est que chaque année, plus de 100 d'entre eux meurent (109 en 2024). 36 % sont victimes du braconnage, et beaucoup d'autres (30 %) disparaissent, très probablement à la suite d'“actions humaines” non précisées.
L'autre cause fréquente de mortalité est l'électrocution (34 %), due à la collision en vol avec des câbles à haute tension non isolés. La petite Sonic ne s'attendait pas à en trouver sur sa route et, en 2020, son corps a été retrouvé au pied de l'un d'entre eux. Sonic était la première femelle ibis chauve à avoir appris à revenir seule de Toscane au lac de Constance, le même trajet que celui emprunté par Zoppo.
La raison pour laquelle tous les détails des décès sont connus tient dans un petit sac à dos que porte chaque spécimen. À l'intérieur se trouve un dispositif GPS qui signale sa position, ses mouvements anormaux et sa vitesse de déplacement, et communique toutes ces informations à une équipe d'experts prêts à intervenir en cas de blessure ou de mort suspecte.
L'ibis chauve ou érémite est une espèce en danger critique d'extinction et un projet de conservation financé par l'Union européenne est en cours pour prévenir celle-ci : LIFE Northern Bald Ibis est la première initiative au monde visant à rétablir une espèce migratrice dans son aire de répartition historique en Europe, en rétablissant un comportement migratoire désormais perdu.
Aujourd'hui, il n'est pas possible de reproduire pour chaque oiseau migrateur la surveillance dont bénéficient les ibis chauves. Cependant, en les surveillant de manière aussi organisée, on peut mettre en évidence les dangers auxquels sont confrontées de nombreuses autres espèces lorsqu'elles survolent les Alpes, tels que les câbles à haute tension suisses non protégés et les braconniers italiens.
Braconnage systémique
Après des années de massacres, la situation semble s'améliorer en matière d'électrocution sur le sol suisse. En 2024, le Waldrappteam, l'organisme autrichien chargé de la gestion du projet, a dénombré un total de 109 décès, dont 22 % étaient dus à une électrocution sur des pylônes. Avec une envergure pouvant atteindre 135 centimètres, les ibis chauves font partie des oiseaux qui risquent le plus leur vie lorsque les lignes à haute tension sont trop rapprochées. Pour les sauver, il suffirait de les espacer davantage ou de les isoler avec des protections en plastique.
Ne pas le mettre en œuvre coûte la vie aux oiseaux ; le mettre en œuvre coûterait environ 650 millions d'euros aux exploitants du réseau électrique. Ces derniers ont menacé de répercuter ces coûts sur les factures des utilisateurs. L'été dernier, le Conseil fédéral (parlement) suisse a imposé par ordonnance l'obligation de rénover les lignes électriques aériennes dangereuses d'ici 2040.
Si des perspectives d'amélioration se profilent du côté suisse, il n'y en a aucune du côté italien. Les deux ibis victimes de braconnage retrouvés dans la Valteline n'ont eu aucun impact sur la discussion en cours autour du projet de loi 1552, une proposition visant à étendre la saison de chasse à des périodes cruciales pour les espèces migratrices.

Johannes Fritz, directeur du Waldrappteam Conservation and Research, le rappelle non sans préoccupation. “Le braconnage constitue toujours la menace la plus grave pour l'ibis chauve en Italie”, affirme-t-il, soulignant qu'il s'agit d'une “tradition ancienne qui ne semble pas vouloir s'arrêter, même face à des espèces protégées comme celle-ci, dont l'abattage est puni d'une peine pouvant aller jusqu'à six ans d'emprisonnement” (art. 452 bis du Code pénal italien).
Le dernier rapport “The Killing 3.0” réalisé par Birdlife International et Euronatur place l'Italie en tête du classement en termes de nombre d'oiseaux tués illégalement, avec 5,6 millions d'individus pour la seule saison 2022/23. Selon Rosario Fico, responsable du Centre national de référence pour la médecine vétérinaire légale à l'Institut zooprophylactique expérimental des régions du Latium et de Toscane, les données du rapport et celles de Waldrappteam “mettent incontestablement en évidence les faiblesses systémiques qui caractérisent le système italien dans la lutte contre le braconnage”.
Fico dénonce “un manque grave et continu de méthode d'enquête et une incompréhension de l'aspect social du phénomène”. Selon l'expert, il est pourtant essentiel de le connaître, tant pour identifier les responsables que pour identifier les membres du réseau qui les protègent. “Il est improbable que ce soit le fait d’un braconnier isolé”, affirme Fico, “il ne prendrait jamais le risque de perdre son permis de chasse” s’il n’était pas protégé. Claudio Tomasi, coordinateur du Corps forestier de la région autonome du Frioul-Vénétie Julienne, l'une des régions où le nombre d'ibis chauves est en augmentation, tout comme le nombre d'individus tués, le confirme.
Une course contre la montre
Au cours de l'été 2024, plus d'une cinquantaine d'ibis chauves ont migré et quatre ont été abattus par balle, trois dans la province d'Udine et un dans celle de Pordenone. Stefano Pesaro, expert en médecine des animaux exotiques et sauvages à l'université d'Udine, a vu arriver les carcasses dans le centre qu'il dirige, celui pour l'élevage, l'aquaculture et la gestion de la faune de Pagnacco. Pesaro a personnellement effectué des radiographies et des autopsies afin de fournir à l'équipe Waldrappteam et aux forces de l'ordre tous les éléments possibles pour faciliter les enquêtes.
Pesaro collabore depuis longtemps avec le service forestier de la région Frioul-Vénétie Julienne et avec le projet LIFE. “J'ai vu mon premier ibis chauve il y a 15 ans. En analysant les corps aujourd'hui, nous sommes en mesure d'identifier le type et la taille des balles”, nous dit-il.
Il raconte cela tout en s'occupant d'un jeune spécimen blessé mais sauvé qui trottine dans une grande volière. Pendant ce temps, à quelques kilomètres du centre où travaille Pesaro, Claudio Tomasi explique depuis son bureau à quel point les informations recueillies par Pesaro peuvent être utiles, notamment dans les cas de braconnage : “Dans de nombreux cas d'abattages illégaux et avérés, il n'est pas possible de poursuivre légalement les auteurs car les éléments manquent : un projet comme Waldrapp peut en fournir des preuves décisives, augmentant ainsi les chances de remonter jusqu'aux responsables”.

Cela vaut non seulement pour les résultats des autopsies, mais aussi pour les coordonnées fournies par le dispositif GPS et les indices recueillis sur le "lieu du crime". Recueillir les bons indices le plus rapidement possible est un défi collectif dans lequel le rôle des bénévoles est plus que jamais essentiel. Roberta Peroni, responsable de la lutte contre le braconnage en Italie pour le projet Waldrapp, le souligne à plusieurs reprises, tandis qu'elle avance dans les hautes herbes pour atteindre la zone où Brisa, un ibis abattu par balle près d'Osoppo, a été retrouvé.
Sa dépouille a été récupérée par un bénévole de la région, dont la réactivité pourrait s'avérer décisive dans l'enquête visant à identifier son agresseur. Dans le cas d'Otello, en revanche, la rapidité des secours a été déterminante à deux reprises. Lorsqu'il était très jeune et qu'un bénévole l'a trouvé apathique et légèrement blessé près d'Orbetello, dans la province de Grosseto, et quelques années plus tard, lorsqu'il a été remarqué par un touriste, immobile et sans forces, au bord de la mer, près de la même zone.
Signaux politiques non reçus
En Italie, on s'efforce de rendre toujours plus rapides et efficaces les interventions nécessaires à la suite du signalement d'une anomalie par le GPS, tant sur place que devant les tribunaux. Pendant ce temps, en Allemagne et en Autriche, on étudie comment améliorer les performances du dispositif GPS lui-même.
L'objectif est de le rendre plus précis et autonome pour ceux qui consultent les données, mais en même temps plus pratique et plus léger pour les ibis qui le portent. Tout en optimisant l'efficacité du panneau solaire qui l'alimente et la précision de la position enregistrée, il s'agit donc de continuer à minimiser la gêne qu'il cause à l'oiseau.
Le dispositif pèse 25 grammes et sa forme est conçue pour gêner le moins possible le vol, même si elle pourrait être améliorée. Afin de déterminer la forme la plus aérodynamique, une soufflerie dédiée a été construite à Seekirchen am Wallersee (Autriche), en transformant une étable désaffectée en laboratoire d'ingénierie aérodynamique.
C'est Herwig Grogger, un ingénieur autrichien qui collabore depuis des années avec l'équipe Waldrapp, qui dirige les expériences en impliquant ses étudiants dans les différentes phases de cette entreprise de conservation unique au monde. Les deux jeunes actuellement impliqués ont réalisé le jumeau virtuel de l'ibis érémite, puis en ont produit une copie en impression 3D et l'ont utilisée dans la soufflerie à la place d'un spécimen réel. Cela permet de travailler sur des “sacs à dos GPS” de plus en plus aérodynamiques sans soumettre aucun ibis érémite à un stress.

Avec cette avancée en cours dans l'ancienne étable autrichienne, Waldrappteam veut continuer à démontrer à quel point il est difficile – mais pas impossible – d'utiliser la technologie comme alliée de la nature.
Mais la technologie ne suffit pas, comme le rappelle ce qui se passe en Italie, où les informations envoyées par GPS pour protéger les ibis victimes de braconnage sont loin d'être suffisantes pour éradiquer le phénomène. Pour sauver les autres oiseaux qui ne bénéficient pas du même suivi , un effort collectif et simplement humain est nécessaire.
Il est nécessaire que toutes les autorités compétentes concernées collaborent, et aucune technologie ne peut les convaincre de le faire. Selon le vétérinaire Rosario Fico, “une volonté politique claire de lutter contre le braconnage serait utile”. Mais jusqu'à présent, aucun signe n'est perceptible du côté italien.
🤝 Cet article a été produit en collaboration avec Brigitte Wenger, et a reçu le soutien de Journalismfund Europe

Vous appréciez notre travail ?
Contribuez à faire vivre un journalisme européen et multilingue, libre d’accès et sans publicité. Votre don, ponctuel ou mensuel, garantit l’indépendance de notre rédaction. Merci !

Participer à la discussion sur Discourse
Je deviens membre pour traduire les commentaires et participer