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Le manque de médicaments, maladie chronique de l’Europe

Au cours des vingt dernières années, les pénuries de médicaments ont considérablement augmenté en Europe. La guerre en Ukraine et la crise énergétique actuelle ont permis d’en dissimuler les véritables causes, comme le révèle une enquête donnée à la clé du Mediterranean Institute for Investigative Reporting.

Publié le 19 avril 2023 à 08:30
drugs Olivier Ploux voxeurop

Le 15 décembre 2022, l'Agence européenne des médicaments (AEM) annonçait que presque tous les pays de l'Union européenne étaient confrontés à des pénuries de médicaments. On savait alors depuis plusieurs mois que l’hiver serait difficile pour les pays européens, le Covid-19 et d'autres virus saisonniers mettant à l'épreuve leurs systèmes de santé. Mais ce qui s'est véritablement passé a dépassé toutes les prévisions.

Pour être honnête, ce qui s'est passé cet hiver, c'est que les pays européens ont été surpris par un écart très important entre l'offre et la demande, en particulier pour les antibiotiques,” admet Steffen Thirstrup, responsable de la santé à l'Agence européenne des médicaments, l'organisme chargé de l'évaluation scientifique, de la supervision et du contrôle de la sécurité des médicaments dans l'UE.

Entre 2000 et 2018, le nombre de pénuries de médicaments enregistrées en Europe a été multiplié par 20, tel une maladie s'aggravant d'année en année sans remède possible – pour l'instant. La guerre en Ukraine et la crise énergétique ont fait office d'excuses commodes aux différents gouvernements pour tenter de masquer la réalité. Mais le problème semble avoir d'autres causes, plus intemporelles.

Selon une étude du Groupement Pharmaceutique de l’Union Européenne (GPUE) réalisée en 2022, pas moins de 29 pays de l’UE et d’ailleurs déclarent avoir connu une pénurie de médicaments dans les pharmacies au cours des 12 derniers mois – l’entièreté des participants. La majorité des pays ont indiqué que la situation s'était aggravée (75,86 %) ou était restée inchangée (24,14 %) par rapport aux 12 mois précédents. Aucun pays n'a fait état d'une amélioration.


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Les pénuries de médicaments augmentent en Europe et ont un impact négatif considérable sur les patients. Elles se produisent dans tous les milieux de soins et touchent à la fois les médicaments essentiels et ceux d'usage très courant. Les pharmaciens communautaires sont très préoccupés par ce phénomène, qui peut mettre en danger la santé des patients”, explique Ilaria Pasarani, secrétaire générale du GPUE.

En outre, les pharmacies et les pharmaciens investissent beaucoup de ressources pour faire face aux pénuries, ce qui représente non seulement une charge financière, mais aussi la perte d’un temps qui aurait pu être consacré à d'autres tâches centrées sur le patient et sur l’amélioration de la qualité des soins". En moyenne, chaque pharmacie de l'Union européenne consacre 6,3 heures par semaine à la recherche de médicaments manquants. Dans certains pays, ce chiffre monte à 20 heures par semaine.

Des données nationales incohérentes

Aucune base de données recensant les pénuries de médicaments dans une même langue et avec des informations consultables en temps réel n’existe pour l’heure au niveau paneuropéen. Aucun accord européen définitif sur la définition d'une pénurie n’a même été atteint. Par défaut, plusieurs Etats européens ont adopté la définition de l'Agence européenne des médicaments : "Une pénurie d'un médicament à usage humain ou vétérinaire survient lorsque l'offre ne répond pas à la demande au niveau national".

Il est souvent difficile d'évaluer la durée réelle des pénuries de médicaments, précisément en raison des lacunes et des incohérences des registres nationaux des associations médicales. De nombreux registres ne fournissent même pas de date (estimée) de fin des pénuries en question. 

La plupart des pays européens n'ont en effet commencé à collecter des informations sur les pénuries qu'au cours des cinq dernières années, et des différences considérables en ce qui concerne l'obligation de signaler ces manques les sépare. À titre d’exemple, seules les pénuries considérées comme "graves" sont signalées au Danemark, tandis qu'en Suède, seules celles prévues pour durer plus de trois semaines doivent être enregistrées.

En outre, tous les pays ne publient pas leurs données dans le même format et aucune norme commune pour l'enregistrement et la notification des pénuries n’a été choisie, ce qui complique davantage le partage des informations et la réalisation d'analyses comparatives entre les pays. L'AEM ne conserve quant à elle pas de données concernant tous les pays de l'UE. "Certains pays disposent d'un réseau très détaillé de collecte d'informations auprès des pharmacies communautaires et hospitalières, mais tous n'ont pas le même niveau d'information”, regrette Thirstrup de l’AEM. “Certains pays disposent de systèmes informatiques sophistiqués pour étudier l'offre et la demande et peuvent donc réagir beaucoup plus rapidement."

Pour tenter de combler partiellement ce manque d'informations, MIIR, en collaboration avec plusieurs partenaires de l’European Data Journalism Network (EDJNet), a accumulé des données pendant trois mois et a réussi à créer une base de données actualisée sur les pénuries de médicaments en Europe. 22 107 entrées différentes ont été enregistrées sur une période de cinq ans (2018-2023) dans un total de 9 pays européens (Allemagne, Italie, Espagne, Slovénie, République tchèque, Grèce, Roumanie, Autriche, Belgique) auprès desquels il a été possible de collecter des données fiables, soit en les extrayant des statistiques publiées par des associations médicales nationales, soit en soumettant des demandes de données aux autorités. 

Principales conclusions de l’enquête

Sur le total des 9 pays mentionnés ci-dessus et sur les cinq dernières années (2018-2023) écoulées, il apparaît que l'Italie enregistre cumulativement le plus de pénuries de médicaments en nombre absolu, avec 10 843 occurrences, assez loin devant la République tchèque (2 699 pénuries) ou l’Allemagne (2 355). Enfin, la Grèce  est le pays qui a connu le moins de pénuries, soit 389 crises au cours de la période observée.

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