Revue de presse (In)égalités

Révolution du consentement, féminicides et patriarcat blessé

Comment définir le viol ? La notion de consentement divise le Parlement européen. Dans cette revue de presse, nous nous penchons sur ce nouveau concept aux contours flous, qui conduit pourtant lentement vers une nouvelle révolution affective et sexuelle.

Publié le 6 décembre 2023 à 11:31

Succès inattendu, et audience tout autant inattendue, pour le film français Le Consentement de Vanessa Filho, qui a remis la notion dont il porte le nom au centre du débat public en France, mais aussi ailleurs en Europe. 

Le film est l'adaptation cinématographique du livre éponyme de Vanessa Springora, paru en 2020, qui raconte la relation entre l'autrice et l'écrivain Gabriel Matzneff (qui fait aujourd'hui l'objet de nouvelles accusations d'agressions sexuelles sur mineurs). Elle avait 14 ans, il en avait 50. Aux yeux de tous. Des familles, de la société. De l'opinion publique. 

La “révolution du consentement”

Le texte constitue une démarche collective pour mettre des mots sur tant de questions qui ont traversé l'histoire de la masculinité et de la féminité, du pouvoir et de la violence et qui ont explosé avec #MeToo : qu'est-ce que le consentement ? Que signifie consentir à une relation, à un rapport sexuel ? Quelle est la relation de pouvoir qui traverse les relations intimes ? Pour Mediapart, #MeToo a été une “révolution du consentement"

Dès sa sortie, le film Le Consentement a rencontré un succès certain auprès du public, notamment dans la classe moyenne éduquée des grandes villes, indique Le Monde.

Et puis, surprise : dix jours après sa sortie, “des jeunes de moins de 20 ans [...] très souvent des filles, en couple, entre amis ou avec leurs parents, pour beaucoup issus de quartiers populaires" se sont rendus au cinéma, souvent sans même savoir que Le Consentement était tiré d’un livre à la base.

Un public qui représente près de la moitié des entrées en France. Que s'est-il passé ? C’est le réseau social TikTok qui a transformé le film en "phénomène", peut-on entendre dans l’émission Le Regard culturel sur la station de radio France Culture. À l’origine, une pratique : celle de ces jeunes femmes qui se filment à l'entrée et à la sortie des salles. Certaines en larmes. Le hashtag #leconsentement a fait 32 millions de vues sur TikTok à l'heure où nous écrivons ces lignes. Le livre, qui se vendait auparavant à environ 1 800 exemplaires par mois, en était à 17 500 en octobre.

Un autre film raconte la relation des jeunes au sexe, à l'amour et au consentement : How to Have Sex, de Molly Manning Walker, qui a reçu cette année le prix Un certain regard à Cannes. Dans The Guardian, la journaliste Barbara Ellen invite tout le monde à aller voir ce film pour cette "vérité fondamentale et dévastatrice” qu’il nous dit : “Peu importe à quel point le consentement sexuel est théorisé et discuté, ‘sur le terrain’, là où ça compte, là où sont les vraies filles et les vrais garçons, il reste un concept glissant et trop souvent inexistant". Selon Allen, "il est temps de reconnaître que les prédateurs exploitent les failles et les petits caractères du consentement sexuel. Pour eux, un acquiescement à contrecœur reste un assentiment légal. Nous devons nous rappeler que les jeunes peuvent certainement être informés, mais rester vulnérables."

Le consentement dans la définition du viol

Le 14 novembre, le Parlement européen, la Commission et les Etats membres se sont de nouveau réunis pour discuter de la proposition de directive relative sur la lutte contre la violence faite à l’égard des femmes et la violences domestique soumise par la CE le 8 mars 2022, et visant à définir ce que sont les violences sexuelles (viol, féminicide, mutilation, mariage forcé, stérilisation forcée, harcèlement ...) et approuvée en juin 2023 par les eurodéputés, comme le rapporte la chaîne de télévision franco-allemande Arte.

En juin dernier, les ministres de la Justice de plusieurs pays – la France en tête, mais aussi la Hongrie, la Pologne, la Croatie, la République tchèque et l'Allemagne – se sont toutefois opposés à l'article 5, qui définit le viol comme une "absence de consentement".  

Les pays qui s'y opposent – au moins formellement – le font sur la base d'une définition juridique, explique Le Monde : seuls "les crimes européens” comme la corruption, le terrorisme ou l’exploitation sexuelle énumérés à l'article 83 du traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) peuvent faire l’objet d’une définition transnationale. Les autres relèvent de la compétence nationale. 

Et puis se pose un autre problème culturel et social : comment utiliser, définir et penser la notion de consentement d'un point de vue juridique ? Nous savons, sur la base d'études – comme celle publiée par la revue Nature en mai 2023, par exemple – et du bon sens, que la peur ne se manifeste pas toujours par une résistance physique et un "non" exprimé clairement et audiblement (ou même simplement chuchoté). De même que nous savons qu’un "oui" peut être dit de différentes manières et pour différentes raisons. Si le concept relève de la coutume et de la sémantique, il peut s'avérer complexe d'un point de vue juridique. 

Dans les colonnes de Libération, la féministe et juriste américaine Catharine MacKinnon – à qui l'on doit la bataille juridique pour la définition du harcèlement sexuel et qui vient de publier Le Viol redéfini (Flammarion, 2023) – s'oppose à la modification de la loi française elle-même, qui pose le viol comme un acte sexuel commis avec "violence, contrainte, menace ou surprise".

" Si vous voulez changer la loi, alors explicitez les inégalités de genre qui existent dans les entreprises, dans les relations intimes, au sein des couples et des familles. Comment exercer son consentement quand on est dans une situation d'inégalité ? [...] Le consentement sert alors à justifier l'obéissance des sans-pouvoir à la loi des puissants", explique MacKinnon.

Selon elle, la loi actuelle devrait être améliorée non pas en y ajoutant le concept de consentement, mais en "y intégrant la dimension de l'inégalité : classe, âge, ‘races’, minorités, nationalités, religions, handicaps, la liste est très fournie et détaillée dans le droit".


Sur la violence sexiste 

Dans le monde, 45 000 femmes et filles auront été tuées par un partenaire ou un membre de leur famille en 2022, selon les estimations du rapport de l'ONU Femmes sur les meurtres de femmes et de filles liés au genre

En Europe, environ deux femmes sont tuées chaque semaine par leur partenaire ou un membre de leur famille, selon la Commission. Mais les données manquent de précision, tant les définitions sont vagues et les informations collectées lacunaires. L'enquête du Mediterranean Institute for Investigative Reporting (MIIR) en coopération avec le European Data Journalism Network (EDJNet) que nous avions publiée en 2022 indiquait par exemple que plus de 6 500 femmes (chiffre en baisse) étaient mortes dans l'UE sous les coups d'un partenaire ou d'un membre de la famille entre 2011 et 2021.

Le 1er octobre, la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique est entrée en vigueur dans l'UE, rapporte Eunews. Et ce, malgré les six pays qui ont refusé de la ratifier (Bulgarie, République tchèque, Hongrie, Lettonie, Lituanie et Slovaquie). Ils devront pourtant s'y conformer, les accords internationaux conclus par l'Union – comme le TFUE – liant les institutions de l'UE et les Etats membres. 

“Le patriarcat est blessé, c'est pourquoi il est plus féroce” - Entretien avec Ilda Dominijanni

Graziella Balestrieri l L’Unità | 22 novembre | IT

Giulia Cecchettin était une étudiante de 22 ans. Le 11 novembre, elle a été assassinée par son ex-compagnon, Filippo Turetta, avec qui elle était restée en bons termes. Depuis le début de l'année, selon les données du ministère de l'Intérieur italien, 102 femmes ont été tuées, dont 82 dans un contexte familial et/ou affectif ; 53 d'entre elles l'ont été par leur partenaire (ou ex-partenaire). 

La journaliste Ida Dominijanni, interviewée par L'Unità, fait une lecture systémique de ce phénomène face aux discours – dans les talk-shows, par les politiciens – qui le réduisent à la criminalité ou à la déviance individuelle : "Il y a toute une partie des faiseurs d'opinion qui s'étonnent qu'il y ait moins de féminicides en Italie que dans les pays du nord de l'Europe et qui en tirent la conclusion qu'il est donc faux d'attribuer le féminicide à une culture patriarcale. Derrière cette objection se cache une méconnaissance totale de ce qu'est le patriarcat”, lance la journaliste.

Le patriarcat est un système sociosymbolique transculturel, qui se retrouve sous diverses formes dans différentes cultures, et qui n'est pas vaincu par la démocratie. Nous avons affaire à un post-patriarcat, qui n'est plus le patriarcat traditionnel, dans lequel les femmes n'avaient même pas besoin d'être tuées, puisqu'elles étaient domestiquées. Nous avons maintenant un patriarcat blessé, blessé par la liberté gagnée par les femmes, qui réagit ensuite à cette liberté d'une manière odieuse", analyse Dominijanni.

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